la tentation du bouc-émissaire dans les crises

Ce petit article a pour origine une question posée par une étudiante (je l’en remercie). Elle s’étonnait de la violence de certaines réactions à l’égard des jeunes qui expriment leur désarroi face à un monde qu’ils n’ont pas choisi (chômage, crise climatique, etc). Je lui ai répondu qu’on assistait à un phénomène de bouc-émissaire, de violence mimétique et de mécanisme de protection et de déculpabilisation personnelle de la part de personnes qui n’assumaient pas d’avoir une part de responsabilité non négligeable dans la situation actuelle. Elle ne cautionne pas la violence et souhaite du dialogue et s’étonnait de la virulence des réactions qui mettaient tous les jeunes dans la catégorie « petits merdeux ». Ce n’est jamais porteur.
En tant qu’adulte nous avons contribué à la situation actuelle. Il nous faut l’assumer. Et la situation actuelle n’est pas une surprise. Le livre « et si les salariés se révoltaient » était sorti l’an dernier et le diagnostic était connu depuis un moment.  Je l’avais résumé sur ce blog. Je lui faisais la réponse suivante : « Parce que c’est plus facile à faire de critiquer les jeunes que d’accepter que nous avons une responsabilité collective. Si je dis ça. Cela m’évite de me remettre en question. Se remettre en question est beaucoup plus difficile et demande du courage. D’ailleurs ce que tu observes est le mécanisme de base de la discrimination contre laquelle il faut lutter. Elle touche les femmes ou les immigrés ou ceux qui sont différents. »

Bouc-émissaire et violence mimétique

Commençons par un préalable. Dans bien sûr qu’il y a des fautifs dans certaines situations. Mais pour le climat et la pollution, c’est nous tous. Même si certains sont plus responsables que d’autres évidemment. Mais la logique de bouc-émissaire ne règle rien.

Les travaux de René Girard indiquent combien le recours à un bouc-émissaire est une tentation fréquente pour gérer la résolution des conflits. Choisir une frange de la population ou un individu si possible à part ou marge du groupe permet de créer un consensus qui recrée de l’unité et permet de gérer la frustration. Hélas le sacrifice du bouc-émissaire ne sert à rien. Les causes réelles du conflit ou de l’opposition ne sont pas réglées et bientôt le conflit va réapparaître et tout sera à recommencer. On ne fait que gagner du temps. Il faudra trouver un autre bouc-émissaire qui servira de victime expiatoire. Ce faisant on n’aura toujours pas traité les causes de nos maux et on n’aura pas assumé notre part de responsabilité dans ce qui va mal. Et la liste des victimes expiatoires va s’allonger inutilement. Le slogan « Macron démission est d’ailleurs dans ce registre« . Elle ne réglerait rien. Le dégagisme est de cette nature.

Le problème de ce phénomène, est qu’il est aussi lié à la propension à de la violence à cause du désir mimétique. On parle de désirs semblables qui vont s’affronter pour l’objet convoité. L’imitation du désir de l’autre est négative voire destructrice. Si rien n’est aussi désirable que ce que désire l’autre… (deux hommes qui veulent la même femme ; deux hommes veulent la même possibilité de consommer sans limite) alors, la concurrence et la rivalité s’installent et ce désir mimétique peut vite déboucher sur le conflit et la violence. Ce ne sont donc pas les différences qui sont source de violence mais bien les ressemblances (tout le monde veut consommer et il faut apprendre la sobriété !). Or dès que la violence a atteint un certain niveau elle est difficile à juguler. Elle a tendance à se perpétuer. C’est un comme un feu qui se propage. Il faut du temps et de l’énergie pour éteindre l’incendie et revenir à une situation apaisée. Il s’arrête quand il n’y a plus rien à brûler ou quand le coût est tellement exorbitant que les protagonistes décident de coopérer pour réduire les conséquences. Peut-être l’explication malsaine du fait que les violences conduisent plus sûrement à une prise en compte des revendications que les manifestations pacifiques.  En théorie des jeux on sait que les situations optimales n’émergent pas spontanément s’il n’y a pas de dialogue et de coopération.

L’erreur de l’explication monocausale

A ces éléments énoncés je souhaite ajouter la tendance mortifère à l’explication monocausale et mécaniste. Anthony Wilden a produit un travail intéressant sur la simplification voire le simplisme qui fait que nous passons du complexe à l’élémentaire et nous ne prenons pas en compte tous les éléments. De plus, un fait observable, quantifiable et mesurable par tous – ne devient un « événement » psychique que par les effets ressentis par tous et par les significations données aux conséquences de ce fait. Il y a donc « pesanteur sociologique » et « inertie culturelle » qui augmentent le temps de réponse et les changement de la société ou des structures nécessaires. C’est le cas notamment pour le climat.  Il faut tout revoir. Mais comme on tarde cela sera dans l’urgence.
Or dans les systèmes complexes l’explication monocausale (la taxe sur le pétrole ou la suppression de l’ISF) ne marche pas. La solution monocausale non plus.  Je vois fleurir des illustrations de cela en ce moment. C’est la faute des jeunes ; c’est la faute des vieux ; c’est la faute du libéralisme ; c’est la faute de l’Europe ; c’est la faute des impôts ; c’est la faute des riches ; c’est la faute de Pierre, Paul ou Jacques. Il faut taxer les riches, il faut supprimer la loi Pompidou-Giscard de 1973; il faut défaire l’Europe. Ben là non plus ça ne marche pas. Tous les paramètres doivent jouer pour la résolution du problème et il faut accepter de laisser du temps.

Je vois bien la suite. On va accuser le gouvernement. Le gouvernement va accuser les manifestants d’avoir affaibli l’économie. Les uns et les autres vont s’accuser perpétuellement. Or s’il a des défauts notre système a permis de sortir une grande part de l’humanité des difficultés. Je l’avais montré en résumant un autre livre qui était en mon sens parfois trop optimiste. Rien n’est noir ou blanc. Il y a des nuances de gris qu’il faut savoir reconnaître.

Dans un monde complexe il faut coopérer

Nous sommes dans un système imbriqué et complexe. Il est le résultat de nos choix passés qui ne sont pas toujours bons et qui créent des hystérèses. Les perturbations et les conséquences du chocs perdurent bien après que celui-ci ait eu lieu. Nos sociétés ont laissé filer les perturbations. Problèmes d’inégalités, de ressources, de pollution, de paupérisation des classes moyennes, problèmes de stratégies rivales entre pays, problèmes d’inégalités Nord-Sud, problèmes d’aménagement du territoire où tout a été pensé pour la voiture. Il va falloir tout mettre sur la table et voir comment, par une fiscalité adaptée, on peut demander des efforts à chacun selon ses moyens pour solutionner les problèmes qui sont urgents et nombreux. Il faudra promouvoir la coopération. Plusieurs livres résumés donnaient des pistes intéressantes.  Mais il faut avoir conscience que cela prendra du temps (hélas nous en avons peu) et qu’il ne sert à rien de chercher des boucs-émissaires. Cela ne fait que retarder les solutions.

Il me semble qu’il faut trouver des solutions en jouant sur tous les tableaux. Patiemment. Et en acceptant de changer d’imaginaire car toute solution reposant sur la croissance est vouée à l’échec. Je l’avais déjà écrit dans un autre article. Il faudra aussi promouvoir la réduction des inégalités.  Gaël Giraud l‘explique très bien.

Il y a aussi eu la marche du climat ce week-end. C’est un pas important pour comprendre que les urgences se rejoignent. Des gens différents vont devoir apprendre à coopérer dans cette situation particulière. Latour ne disait pas autre chose dans « où atterrir ». Il faut aussi savoir qu’il est souvent préférable de jouer sur l’espoir que sur la peur. En tout cas la peur peut être efficace que si on donne un espoir car sinon elle est paralysante. Donc retroussons nous les manches et trouvons des solutions ensemble. Enfin pour rendre la coopération et la solidarité possible il faut se rappeler que l’ordre républicain et la sanction sont nécessaires et que les questions sociales et sociétales sont liées.