Je suis un peu agacé par l’offensive médiatique de M-O Fogiel. Bien sûr, je suis persuadé que lui et son compagnon sont de formidables parents et que ses filles sont épanouies. Mais, il y a un chantage malsain à l’homophobie supposée comme il y a chantage malsain au racisme dans d’autres cas. Ce n’est pas la question. Les parents homosexuels sont aimants et attentifs et ont les mêmes qualités, les mêmes défauts et les mêmes réussites et difficultés que les parents hétérosexuels. Mais sa présentation de GPA ne correspond qu’à sa réalité et pas à la réalité. Il veut nous mettre dans une situation impossible, genre «choix de Sophie», ou toute tentative de contrer son argumentaire nous fait sortir de l’humanisme. Ce n’est pourtant qu’un leurre dont je ne saurais être dupe. C’est précisément par humanisme et parce que je suis attaché à certaines valeurs et que je suis en capacité de résister à cette argumentation.
Plutôt que de développer un nouveau droit, on peut utiliser la logique de la convenance personnelle théorisée par une enseignante juriste de mon université. J’y reviendrais à la fin de l’article.
«On considère ce qui est possible comme absolument obligatoire » disait Gunther Anders dans « Ce qui peut être fait doit être fait ». Titre du second article du tome 2 de «L’obsolescence de l’Homme ». Dans l’immense majorité des cas de GPA il s’agit d’une marchandisation de corps des femmes. On a quelques illustrations en tête. Femmes esclavagisées en Inde, parents hétérosexuels adoptants qui ne veulent pas de l’enfant à la naissance car il est trisomique et qui l’abandonnent (la marchandise est non-conforme). Pour avoir discuté avec un doctorant juriste qui travaille dans mon université, il semblerait que l’immense majorité des cas ne sont absolument pas éthiques. On va montrer deux ou trois cas présentables pour masquer la forêt sordide de la GPA. Je pense que la GPA est une erreur. Ce n’est pas parce que ça peut être fait que cela doit être fait. On est dans le fantasme de la technique aussi dénoncé par J. Ellul. Je ne suis pas le seul à le penser. Dans «Corps en miette» Sylviane Agacinski voit dans les «mères porteuses» une dérive possible vers une forme d’esclavage moderne et une tragique réification du corps féminin. Je pense qu’elle a raison. On est dans la même logique que la prostitution qui pose le même problème. C’est tellement difficile à prohiber totalement qu’on préfère encadrer et limiter cette pratique sans l’interdire et les défenseurs de la pratique reviennent régulièrement à la charge.
Nous vivons un moment du monde où l’éthique, le droit et la politique ne paraissent plus en mesure de s’intercaler efficacement entre le possible et le réel. C’est dangereux car si ces trois instances ne permettent plus de façonner la société nous allons vers un délitement problématique et un rejet de notre architecture institutionnelle. La direction actuelle semble être que tout ce qui sera techniquement possible risque de se réaliser. Est-ce souhaitable ? Je ne le crois pas. Le principal danger est là. Il dépasse largement ce cas d’espèce. Laurent Alexandre dans son livre sur les IA et dans ses interviews appelle même les pays occidentaux à être «sans limites» comme leurs homologues asiatiques. C’est en cela que la GPA ou l’euthanasie ou le transhumanisme participent de ce mouvement.
Les opposants ont raison de le pointer. Nous sommes comme disait Marx dans «les eaux froides du calcul égoïste» : mon désir et mon intérêt avant une réflexion sur la société. Au risque de la déliter. N’oublions pas qu’elle repose sur d’autres piliers que cette simple liberté. La liberté doit est maximisée mais aussi encadrée. Mais je pense aussi (hélas) qu’on aura du mal à l’interdire. Je l’ai déjà dit. Le libéralisme voire l’ultra-libéralisme a pour l’instant gagné aussi bien en économie que pour les facettes de notre vie. Tout au plus on régulera pour éviter le pire. Mais il ne faut jamais oublier que les réflexions sociales et sociétales sont liées. Or si je tiens ces propos c’est que j’ai deux ou trois livres en tête. Je pense tout d’abord à «The rigtheous mind» de J. Haidt ou «la marque du sacré» de J-P Dupuy par exemple. La caricature ultime de ce fantasme de toute puissance est incarnée par les transhumanistes. Ils défendent une vision simpliste de l’homme qui établit une dualité radicale entre corps et esprit : un corps, mauvais, corrompu et décomposable, retiendrait l’esprit et l’empêcherait d’être immortel. Cette vision est une sorte de néo-pélagianisme. Une espèce d’illusion prométhéenne mal maîtrisée. Ces différents «trans-quelque chose» sont semblables à toutes les gnoses qui unissent dans des rapports étroits et paradoxaux imaginaire du progrès et l’amélioration de l’homme avec archaïsme religieux. Avoir une culture religieuse permet de repérer immédiatement le piège et il n’est pas étonnant que les théologiens aient réagi immédiatement en indiquant leur défiance. Par sa volonté et son libre-arbitre l’homme veut se faire l’égal de dieu. On a d’ailleurs ça chez Yuval Noah Harari dans «Homo deus». Or on sait qu’une société de ce type devient liquide au sens de Z. Bauman et généralement fini par s’effondrer. Ce bonheur conçu comme pure maximisation de nos expériences individuelles, socle de la conviction transhumaniste et cette volonté de rendre possible tout ce qui est techniquement possible génère des perdants et des dominés. L’esclavage n’est pas loin. C’est comme dans «Le meilleur des mondes» d’A. Huxley. Pour avoir des Alpha + , il faut des Deltas et des epsilons, voire des sauvages. Je vous rappelle que les ressources disponibles étant limitées toutes ces techniques ou possibilités seront accessibles à une infime minorité de la population mondiale et on se dirige tranquillement vers une humanité à double vitesse. C’est déjà le cas mais on le renforce. Cela ne me semble pas être la bonne direction.
Libre à vous de participer à ce mouvement ou au contraire d’essayer de le ralentir voire de le stopper. j’ai choisi de lutter car je crois cet avenir injuste et dangereux. De plus comme il n’ y a pas d’équilibre entre les intuitions morales qui fondent les sociétés, il est fort probable que cette pente finisse par détruire définitivement nos sociétés.
Cependant la spécificité du bien commun réside dans le lien et l’attention réciproque qui unissent les individus nous dit D. Hollenbach dans «Bien commun et éthique chrétienne». Il insiste sur l’attention aux plus fragiles. La spécificité de l’homme est d’être un individu relationnel. C’est cette relation qui fonde la coopération et l’attention au plus fragiles. Toutes ces techniques sont profondément darwiniennes. Elles génèrent la compétition et stipulent l’écrasement des plus faibles par la sélection. Dans cette histoire on sélectionne les ovocytes sur catalogue avec vérification des antécédents médicaux et sur choix de critères esthétiques du chromosome féminin. L’eugénisme soft sous-jacent est assez affolant. Le tri des embryons fécondés est un autre exemple d’une pratique qui ne peut se prétendre éthique. Il y a un très bon livre de Pablo Servigne qui s’appelle «L’entraide l’autre loi de la jungle ». Je préfère cette logique de reliance.
Je pense sincèrement que l’étude de ces questions ne soulève pas assez la mutation anthropologique qui est en train de s’opérer. Les gens qui promeuvent ses techniques connaissent parfaitement la théorie des minorités actives de Serge Moscovici. Ce qui compte c’est de manipuler l’opinion par l’émotion. C’est très dangereux. Il n’y a plus de délibération éclairée en pesant le pour et le contre et surtout les arbitrages nécessaires quand les moyens sont contraints. On a d’ailleurs le même problème avec le téléthon ou Ela par exemple. Je trouve que les combats sont louables et je fais régulièrement des dons mais j’ai du mal avec le mécanisme sous-jacent. Il faut faire adhérer par l’émotion. Or je voudrai m’arrêter un instant sur un élément personnel. Je connais très bien une personne qui va probablement mourir d’une maladie orpheline. Son espérance de vie est incertaine. L’arbitrage coût de la recherche, probabilité de thérapie, bénéfice patient est plutôt en faveur de sa maladie pour ce que je sais. Mais ce n’est pas comme ça que ça marche. Elle ne bave pas. Elle n’est pas dans un fauteuil. Elle ressemble à vous et moi. Donc elle va mourir car elle n’arrivera pas à émouvoir pour orienter des fonds vers son cas. Toutes les chaînes de solidarité fonctionnent hélas sur ce principe qui ne relève pas d’un arbitrage conscient. J’avais traité cette question dans un article sur les dilemmes moraux dans des cas extrêmes.
Plutôt que de vouloir autoriser ce droit, je pense qu’on peut la théorie juridique de la convenance personnelle. Madame Paricard-Pioux a montré qu’elle est souvent présente de manière invisible comme moteur de nombreuses dispositions législatives récentes mais qu’elle n’est pas forcément visible. Madame Paricard veut mettre le droit au service de la convenance personnelle à découvert. Elle forge deux instruments d’une grande subtilité: la soulte juridique et le comportement divergent. Le comportement divergent n’est ni fautif, ni légitime. En effet, lorsque la convenance personnelle est visée, l’individu peut adopter un comportement différent de celui qui est proposé (le comportement modèle de la société) sans avoir à s’en justifier. Mais en contrepartie, il en paie le prix sous forme de soulte juridique. Il lui est interdit de prétendre aux avantages procurés par le comportement « modèle ». Or c’est bien ce qu’essaient d’obtenir les tenants de la GPA. Rendre légitime leur comportement pour ne plus avoir à payer la soulte juridique. Mais il faut avoir conscience que quand les moyens sont limités, cela sera nécessairement au détriment d’autres droits déjà ouverts ou d’autres pathologies qui nécessitent des moyens. Etant parent d’un Alzheimer je sais un peu ce que signifie la faible prise en charge. Nous avons déjà vu précédemment que le dilemme se pose de manière plus aiguë quand il y a arbitrage pour des moyens limités. Je préfère cette réflexion sur les choix en univers contraint plus ouverte et consciente. Or la manière d’opérer vise précisément à isoler la GPA pour ne pas poser la question dans sa globalité alors que c’est nécessaire.
Je le redis monsieur Fogiel. Je vous pense être un père attentif et aimant. Mais votre offensive pose d’autres questions que votre simple parentalité. Le fait que vous soyez un père aimant et attentif n’est pas l’enjeu de ce débat. Personne ne vous l’enlèvera. Mais libre à vous de participer à ce mouvement mortifère de réification du corps de la femme en le promouvant et en vous donnant bonne conscience ou au contraire d’essayer de le ralentir voire de le stopper. J’ai choisi de lutter car je crois cet avenir injuste et dangereux.