L’Europe : Stop ou encore ?

A l’heure où je rédige ces lignes nous fêtons les 60 ans du traité de Rome. Il est peut être intéressant d’en relater brièvement l’histoire.

Brève histoire de l’Europe.

Les « Six » (Allemagne, la Belgique, la France, l’Italie, le Luxembourg et les Pays-Bas) souhaitaient élargir et approfondir la coopération instaurée en 1951 avec la communauté européenne du charbon et de l’acier. La feuille de route étaient ambitieuse : « Le développement d’institutions communes, la fusion progressive (des) économies nationales, la création d’un Marché commun et l’harmonisation progressive (des) politiques sociales ». Suivrons en 1962 les premiers règlements sur la politique agricole commune et la réalisation de l’union douanière entre les 6 en 1968. L’Europe suivra son chemin et son développement. En 1973, elle s’élargit à 9 (Danemark, Irlande Royaume-uni) en 1973 à 10 (Grèce) en 1981, puis à 12 (Espagne, Portugal) en 1986. les accords de Schengen de 1985 prévoient un effacement des frontières qui ne deviendra effectif qu’en 1995. L’acte unique de 86 élabore la stratégie de réalisation du marché intérieur et l’Union Européenne remplace la CEE en 1992 avec le traité de Maastricht. Celle-ci se constitue de 3 piliers : les Communautés (CECA, CE, CEEA), la politique étrangère et de sécurité commune (PESC), la coopération en matière de justice et d’affaires intérieures (JAI). Par ailleurs, la CEE devient la Communauté européenne (CE). le 1 janvier 1999 l’euro devient la monnaie unique de 11 États membres (Autriche, Belgique, Espagne, Finlande, France, Irlande, Italie, Luxembourg, Pays-Bas, Portugal et RFA). Suivrons, la Grèce en 2001, la Slovénie en 2007, Chypre et Malte en 2008, la Slovaquie en 2009, puis l’Estonie (2011), la Lettonie (2014) et la Lituanie (2015), faisant ainsi passer à 19 le nombre de pays de la « zone euro ». Les pièces et les billets en euro n’ont été mis en circulation que le 1er janvier 2002. Mais les particuliers pouvaient déjà payer leurs impôts ou émettre des chèques en euros dès 1999.

L’élargissement nécessite de nouvelles structures institutionnelles. le traité de Nice de 2001 essaie d’assurer un bon fonctionnement des institutions européennes en prévision du prochain élargissement de l’UE aux pays d’Europe centrale et orientale. Les discussions se focalisèrent  sur le poids de chaque État au sein des institutions européennes (nombre de représentants au parlement, pondération des voix au Conseil de l’Union européenne, nombre de commissaires européens). Le système aboutira à une sur-représentation des « petits pays ».

En 2003, Un traité d’adhésion à l’UE de dix nouveaux États est signé à Athènes. Il s’agit de Chypre, de l’Estonie, de la Hongrie, de la Lettonie, de la Lituanie, de Malte, de la Pologne, de la République tchèque, de la Slovaquie, de la Slovénie. Pour entrer en vigueur, le traité doit être ratifié par les Quinze et par les dix nouveaux membres avant le 1er mai 2004. C’est à cette date que leur entrée dans l’Union devient effective.

Mais les premiers couacs apparaissent. La Convention sur l’avenir de l’Europe, présidée par Valéry Giscard d’Estaing, remet le 18 juillet 2003 un projet de traité établissant une Constitution pour l’Europe présentant les adaptations du cadre institutionnel et politique de l’UE en vue de l’élargissement prévu en 2004.Réunis à Bruxelles les 17 et 18 juin 2004, les dirigeants des 25 États de l’Union européenne adoptent, après d’ultimes et difficiles négociations, le premier « traité constitutionnel » de l’Union européenne. Signé à Rome le 29 octobre 2004, il rassemble en un seul document, l’ensemble des textes qui organisent le fonctionnement de l’UE. Pour que ce que l’on a appelé la Constitution européenne entre en vigueur, elle doit être ratifiée par chacun des États avant la fin 2006. Cela n’a pas été le cas. En mai et juin 2005, la France et les Pays-Bas disent « non » au projet de Constitution européenne. Les parlements et les gouvernements passeront outre. À l’issue d’une période de réflexion entamée après les référendums français et néerlandais, les chefs d’État et de gouvernement s’accordent sur l’idée d’un traité simplifié Les 27 chefs d’État et de gouvernement, après être parvenus à un accord final sur le nouveau « traité modificatif » lors du sommet informel à Lisbonne les 18 et 19 octobre 2007, signent ce traité le 13 décembre dans cette même ville. L’ensemble des ratifications se fait par la voie parlementaire, sauf en Irlande. Ce pays rejette le traité par un premier référendum le 12 juin 2008 avant de l’accepter par un second référendum le 2 octobre 2009. Le traité entre alors en vigueur le 1er décembre 2009.

Une crise majeure

stiglitz-euro-d6efbAujourd’hui l’union européenne est à un carrefour. Les économies du nord et du sud de l’Europe ont divergé. La crise que traverse actuellement la zone euro est révélatrice de ses défauts structurels. Stiglitz pronostique même la fin de l’euro dans son dernier livre (l’Euro comment la monnaie unique menace l’avenir de l’Europe).  Les avantages et avancements permis par la monnaie unique, peuvent être expliqué par la Zone Monétaire Optimale (ZMO), théorisé par Robert Mundell en 1961. L’adoption d’une monnaie unique a de nombreux avantages parmi lesquels la disparition des coûts de transactions (plus de coûts liés au change), une stabilité des prix, une meilleure coordination face aux chocs symétriques (qui frappent un ensemble de pays ou de secteurs avec la même force) ainsi qu’une meilleure efficacité de la politique budgétaire. Les échanges de biens et de services sont donc facilités, tout comme les investissements, tandis que face à un choc symétrique, un choix commun de la réponse à apporter en démultiplie les effets. Il est vrai que l’adoption de toute monnaie unique se double d’effets potentiellement délétères : la perte du levier monétaire et de la flexibilité du taux de change. Ces deux instruments étant des outils de stabilisation macroéconomique. la perte de flexibilité sur le taux de change ne peut être compensée par celle des prix et des salaires. Si on peut douter la persistance d’une courbe en J (gains générés par une dévaluation), on peut cependant constater que le taux de change impacte différemment la performance de chaque pays. La similarité des économies évite également qu’un choc sectoriel ne devienne un choc asymétrique (si des pays sont très spécialisés dans des secteurs différents). Les transferts et l’intégration fiscale enfin, permettent d´ajuster les impôts en fonction de la santé économique du pays et de créer un mécanisme de redistribution et d’assurance. Malgré la liberté de circulation accordée aux citoyens européens, la mobilité du travail reste très faible entre les pays de la zone euro et les pays impactés ne parviennent pas à redresser leur situation. La seule solution serait des budgets de transferts.

La fin de l’union européenne : une hypothèse plausible

Mise en page 1C’est en en tout cas la thèse de David Cayla et Coralie Delaume dans le livre du même nom. Ils évoquent la complexification des règles et des institutions. Or, on constate, d’une part, qu’elles sont de plus en plus nombreuses et contraignantes ; d’autre part, qu’elles sont inadaptées aux situations spécifiques des différents pays. la plupart des pays transgressent les règles édictées ou les contournent. L’Irlande et le Luxembourg transgressent les règles de la concurrence non faussée en pratiquant de longue date un dumping fiscal agressif ; les pays d’Europe du Sud, victimes de la crise et d’une désindustrialisation accélérée, transgressent les règles du Pacte budgétaire ; l’Allemagne, qui doit faire face au défi du vieillissement de sa population, dégage une épargne incompatible avec les équilibres macroéconomiques de la zone euro et fait fi du ratio maximal d’excédent courant autorisé par Bruxelles. A travers un livre structuré en 6 chapitres, les auteurs démontent la crise que traverse les institutions européennes.

Le premier chapitre (Un, deux, trois référendums… puis le Brexit) évoque les référendums des dernières années et la façon dont les peuples rejettent par leur « Non » à la direction actuelle de l’Union Européenne et les conséquences éventuelles de ces scrutins. Dans le second (Le martyr grec et les leçons de l’échec de Syriza) les auteurs opèrent une analysent la crise grecque et les leçons qu’on peut tirer de l’échec d’Alexis Tsipras. Ils insistent sur le rôle de la BCE qui joua tout du long contre la Grèce. Le troisième chapitre (Marché unique, polarisation industrielle et crise de l’euro) développe l’idée que les structures européennes ont fait diverger les économies au profit de l’Allemagne. On peut discuter cette thèse car avec ou sans les structures européennes l’économie génère des phénomènes de divergence et de concentration. Dans le chapitre suivant (Dumping, unilatéralisme et parasitage : l’Europe périphérique condamnée aux pratiques non coopératives) les rédacteurs du livre, analysent les jeux non coopératifs qui voient certains pays mettre en place des stratégies de dumping fiscal pour attirer à eux les impôts des multinationales. Ensuite (« Déficit démocratique » ou démocratie impossible ?) David Cayla et Coralie Delaume montrent comment grâce aux décisions de la CJUE (cours de justice de l’UE), les institutions se sont renforcées au bénéfice de l’Allemagne. Ils n’hésitent pas à qualifier de coup d’Etat juridique permanent le fonctionnement de la CJUE. Le livre s’achève (Rompre avec « l’Europe allemande »  et sortir de la logique d’affrontement) par la mise en cause de l’Allemagne qui se comporte en acteur omnipotent et dénonce la servitude volontaire des autres pays fondateurs qui auraient le poids nécessaire pour lui faire face s’ils s’entendaient. Le constat est sans appel. David Cayla et Coralie Delaume pronostiquent « la fin de l’union européenne. Ce livre est nécessaire et je vous recommande sa lecture. Il fait le point sur toutes les lacunes institutionnelles que nous devrons surmonter si nous ne voulons pas voir cet idéal se déliter sous nos yeux. Pour eux, l’Europe c’est the Walking Dead. Elle est morte, mais ne le sait pas encore. De son projet basé sur l’économie et le marché unique, découle un dumping social, un carcan monétaire qui asphyxie les pays périphériques au profit de l’Allemagne.  L’euro n’est pas responsable de cela mais aggrave la situation.

Des propos à nuancer

Si je devais émettre une critique, elle porterait sur le fait que la fin de l’Europe ne résoudrait pas pour autant les jeux non-coopératifs et la concurrence exacerbée de tous contre tous. Le problème resterait entier. De même, il n’est pas sûr que la fin de l’euro puisse régler un quelconque problème. La courbe en J est beaucoup plus faible voire inexistante et les dévaluations ne régleraient pas les différentiels de compétitivité et n’amélioreraient pas le commerce extérieur. L’aventure de sa fin générerait une période forte d’instabilité. La seule question est de savoir s’il faut organiser sa fin programmée dans l’état des institutions ou aller vers une intégration plus poussée et des budgets de transferts. Mais chaque solution est douloureuse et possède ses avantages et ses inconvénients. C’est aux peuples de choisir en connaissance de cause. Cependant l’état du débat démocratique et la propagande de toute part ne permet pas un débat serein. si Trente ans après la mise en place du Marché unique, quinze ans après l’instauration de l’euro, les performances économiques n’ont jamais été aussi faibles on peut aussi penser que des logiques régionales et un déplacement de l’économie vers le pôle asiatique ont autant pesé que les institutions. Enfin la croissance c’est réduit partout dans le monde et il peut probable que celle-ci revienne de manière massive. Enfin on observe des phénomènes de concentration dans des bassins d’emplois avec ou sans monnaie unique. C’est un des apports de la nouvelle géographie économique (krugman) de mettre en évidence ce mécanisme de loi de puissance.  De tout façon, dans un cadre européen ou national, tout est à rebâtir pour ne pas voir notre continent péricliter et les inégalités régionales se creuser.

Cependant les livres de Stiglitz (l’Euro comment la monnaie unique menace l’avenir de l’Europe)et celui de David Cayla et Coralie Delaume (la fin de l’union européenne) sont des livres indispensables lorsqu’on s’intéresse à l’économie, aux institutions européennes et à l’Europe.