Amis macronistes devenez macroniens

La démocratie est un processus fragile et j’avais déjà fait une article sur ce sujet.
Macron a encore fait preuve de maladresse. A la veille d’une manifestation qui pourrait être violente (on espère que non), il affirme que certains français n’ont pas le sens de l’effort. C’est probablement vrai pour certains et je suis globalement d’accord sur les grands traits (on a des droits et des devoirs) mais la formulation est pour le moins maladroite.  « Les troubles que notre société traverse, a-t-il dit, sont aussi parfois dus et liés au fait que beaucoup de nos concitoyens pensent qu’on peut obtenir sans que cet effort soit apporté. » Et de développer cette phrase alambiquée : « Parfois, on a trop souvent oublié qu’à côté des droits de chacun dans la République – et notre République n’a rien à envier à beaucoup d’autres pays, je peux vous le dire à cet égard -, il y a des devoirs. »

La maladresse est excusable. Nous le sommes tous à un moment ou à un autre. Mais la succession de propos s’apparente tout de même à une forme de violence. Une de plus. Toujours une de plus. Il y en a eu beaucoup quand même.

Macronistes ou Marcroniens ?

Pour commencer je souhaite dire que ce qui suit est valable pour toutes les forces politiques modérées. Pour les plus radicaux cela me semble peine perdue. Ils sont en colère et la colère produit des propos radicaux. Mais sait-on jamais ? Selon les linguistes, il y aurait une différence entre macronistes et macroniens. Le premier terme désignant une attitude belliqueuse et le second une attitude plus pacifique propice au dialogue. Je vous invite à rejoindre cette voie-là et devenir macroniens. Personnellement, je réprouve la violence. La dernière fois que je me suis battu, c’était il y a plus de 30 ans. Je devais avoir 16 ou 17 ans et c’était dans une bagarre générale à l’ancienne lors d’un match de rugby. C’est dire. Une réponse stupide à une provocation bête et méchante de l’équipe adverse et comme mon frère jumeau était pris dans la bagarre j’ai réagi de manière inadéquate et émotionnelle. Mais cela m’a appris que dans certaines circonstances on pouvait déraper. Moi le premier. J’ai retenu la leçon. Je ne suis pas un grand délinquant non plus. Je paie des impôts sans optimisation fiscale et ma plus grosse infraction est d’avoir écopé de 4 points de retrait de permis, pour avoir grillé, un soir par inadvertance, un feu rouge (radar automatique). La sanction était amplement méritée, j’ai payé mon amende. Il n’y avait rien à dire de plus. Je fuis les révolutionnaires et les extrêmes. Ce n’est pas ma tasse de thé. Je les trouve en général dangereux car le désordre touche d’abord les plus fragiles. Donc ni Mélanchon et son amour du Vénézuela, ni le Pen n’ont ma sympathie. Mais je comprends que certaines personnes guidées par la colère soient charmées par ces sirènes. Et comme je puise souvent à mes racines chrétiennes, je pense à cette citation.  «Qui vit par l’épée, périra par l’épée» (Mt 26,52)

Je pense que Vaclac Havel a raison : « La violence engendre la violence. C’est pourquoi la plupart des révolutions se sont perverties en dictatures. ». Je suis ce que l’on appelle un modéré et je dialogue sans difficulté avec des personnes fort diverses dans le spectre politique. Parce que je crois que le dialogue est le principe même de la démocratie. J’ai bien dit dialogue. Pas monologue à deux ou l’invective. Il est parfaitement normal de ne pas être d’accord sur tout. La conflictualité maîtrisée par la confrontation politique des idées est le principe même de la démocratie. Donc chers macronistes, je vous souhaite vraiment de devenir macronien. D’autant plus que je trouve votre offre politique parfaitement légitime.

Pourquoi ces propos ?

Dans une superbe tribune dans la vie Jean-Pierre Denis montrait qu’il ne fallait pas confondre l’ordre juste avec juste l’ordre et il souligne à raison que « Ni le sécuritaire ni le protestataire ne peuvent tenir lieu de politique. Et c’est sans doute de politique, au sens le plus noble, que nous sommes le plus en manque. » et qu’il n’y aura pas d’ordre sans justice sociale. Et c’est ça qu’il faut entendre.

Il n’y aura pas d’ordre sans justice sociale.

Je voudrai vous dire ma sidération devant votre violence. Oui oui. J’ai bien dit VOTRE violence. La violence sociale de personnes qui dénigrent souvent de manière caricaturale leurs opposants et les plus pauvres et qui ne semblent voir que leur intérêt. Vous devez comprendre que cette position sociale oblige à un minimum d’attention au sort des moins favorisés. Je tiens à vous rappeler les inégalités et l’injustice de notre système fiscal.  La Flat tax et quelques autres décisions vont entretenir cet état de fait. Je participe de très longtemps aux joutes politiques et je critique tout azimut. Les idées, pas les personnes en général. J’ai donc critiqué successivement Sarkozy, Hollande et de nombreux décisionnaires (FI, RN ,etc) . Les réactions  plus violentes sont à mettre à votre crédit chers amis macronistes. Vous exercez cette violence sociale et verbale  que vous attribuez un peu facilement aux autres. Certes la contestation est violente et vos oppositions ne font pas dans la dentelle. C’est une violence qui existe qui existera. Elle est tout aussi déplorable et inadmissible et il ne s’agit pas de la cautionner. Par ailleurs, vous pouvez chercher sur mon mur ou dans mes propos, vous trouverez une défense constante de l’état de droit et des forces de polices. Un discours républicain en somme. Nous avons la chance d’avoir très peu de débordement par rapport aux nombre d’interventions. Et leur professionnalisme, malgré le manque de moyens, nous a évité le pire dans les épisodes précédents.  J’ai donc une estime certaine pour nos forces de l’ordre.

Cependant, je ne comprend pas que des gens « raisonnables » mettent de l’huile sur le feu. Désolé mais ça me dépasse. Je m’adresse à vous car, plus que toute autre force politique, vous êtes  diplômés du supérieur, insérés dans la vie sociale et plutôt bien dotés par la vie. Vous savez donc policer vos propos. Vous avez donc, il me semble, un certain nombre de clefs pour comprendre le monde qui vous entoure. La détresse sociale, le sentiment de ne plus rien maîtriser. Les fins de mois difficiles.  Vous êtes en général raisonnables et aptes à comprendre. Vous connaissez le graphique éléphant par exemple.

Les oppositions radicales n’ont pas cet ADN.  C’est normal puisqu’elles concentrent les mécontents. Il me semble plus difficile de leur faire entendre raison et les oppositions modérées ont disparu. Et la violence de votre opposition ne risque pas de se réduire si l’invective, le dénigrement et l’insulte remplacent l’argumentation.  Ne savez-vous pas que les mots  blessent aussi sûrement que les coups ? Ne savez-vous pas que la gestion des émotions et les étiquettes renforcent ce que l’on doit combattre. Pourquoi renforcer la violence du débat politique ? Je croyais que vous étiez au dessus de tout cela. Je lis depuis quelques temps les réactions aux divers événements. Je dois vous dire de manière calme et posée que je pensais pas que les gens insérés pouvaient à ce point mépriser les petites gens. Vous avez peut-être lu que j’ai interviewé les GJ pour la Vie. Ce n’est plus mon monde, même si j’en viens. En fait je devrais même être macronien ou très proche si je n’avais pas perçu instinctivement cette violence dès le départ. Je l’ai expliquée par un schéma que je reprendrai plus bas. Par ailleurs, il se trouve que j’ai gardé des contacts avec les gens de ce rond-point et j’ai vu la montée de la colère et la radicalisation des revendications. Les gens sont à bout. Il faut calmer la colère avant qu’elle n’explose.

Le péché originel
J’avais perçu cette violence dans le mouvement dès le départ et j’avais pointé le danger. J’avais fait un schéma pour montrer le risque. Une libéralisation qui rend la société liquide et qui emporte la société au risque de la faire exploser. Le risque symétrique inverse était d’élire des forces par trop  conservatrices qui feraient imploser la société. Il faut un équilibre entre ces forces contraires pour maintenir la société en équilibre.

Vous vouliez effacer et emporter l’ancien monde pour construire une offre politique nouvelle. En général c’est assez violent. C’était bien la rhétorique voulue puisque le titre de l’ouvrage de Macron s’appelait Révolution. Certains propos donnaient le vertige : « le divorce entre le peuple et ses gouvernants », « la lassitude, l’incrédulité et même le dégoût » « On se plaint. On râle. Des drames arrivent. Du désespoir aussi. La peur s’installe. On en joue. On veut le changement, mais sans vraiment le vouloir. »  En général les révolutions ont tendance à produire des contre-révolutions. Et jamais pour le bien de tous. Comme vous le propose Henrik Lindell,  un autre journaliste de la Vie, allez faire un voyage d’étude aux USA pour comprendre comment les démocrates ont perdu face à Trump.  Je cite «Les sorties bêtes, répétées et assumées, de Griveaux et de Schiappa, notamment, suggèrent que vous méprisez profondément les gilets jaunes et, au-delà, l’électorat populaire. Comme Hillary Clinton, vous voulez rééduquer les gens. Vous leur donnez des leçons de morale. Je suis désolé, mais ce n’est pas ainsi que vous allez les convaincre de quoi que ce soit. Eux, ils veulent de la justice, des salaires décents, de la reconnaissance et de la considération. Ils veulent être pris au sérieux et ils veulent comprendre, intellectuellement comprendre, ce que vous leur dites. Oui, ils sont parfois orgueilleux. Oui, ils sont parfois déraisonnables. Certains sont même violents, et ils vont être condamnés pour des actes effectivement intolérables. Mais n’oubliez pas qu’ils n’ont pas tous votre niveau de vie et votre éducation (au Parlement, vos élus sont les plus bourgeois jamais constatés sous la Cinquième République et au-delà).  Oui, bien entendu, vous avez souvent raison. Mais avez-vous vraiment écouté les gilets jaunes, les vrais gilets jaunes ? »

Les luttes sociales
Une note de la Fondation Jaurès avertissait déjà de ce qui se passe. « La cohésion de la société française est mise à mal aujourd’hui par un processus presque invisible à l’œil nu, mais néanmoins lourd de conséquences : un séparatisme social qui concerne toute une partie de la frange supérieure de la société, les occasions de contacts et d’interactions entre les catégories supérieures et le reste de la population étant en effet de moins en moins nombreuses. ». Il y avait le travail de nombreux chercheurs (Piketty par exemple) ou géographes comme Guilluy l’avaient montré. On peut critiquer leur travail mais l’alerte avait été donnée. Le social est au coeur de nos sociétés. Pour que votre offre politique soit audible, elle doit passer par un processus d’apaisement.

Je vous sais cultivés. Je voudrai vous remettre en mémoire Germinal de Zola. Vous souvenez-vous que le père Bonnemort étrangle la pauvre Cécile. Une rancoeur accumulée. Vous souvenez-vous que Lantrin arrive dans les mines après avoir giflé son patron et qui prendra la tête des révoltes. Vous connaissez même son rôle par la suite. Puisque vous êtes cultivés vous connaissez aussi la grasse matinée de Prévert.

Il est terrible
le petit bruit de l’œuf dur cassé sur un comptoir d’étain
il est terrible ce bruit
quand il remue dans la mémoire de l’homme qui a faim
[…]
Un homme très estimé dans son quartier
a été égorgé en plein jour
l’assassin le vagabond lui a volé
deux francs
[…]
Il est terrible
le petit bruit de l’œuf dur cassé sur un comptoir d’étain
il est terrible ce bruit
quand il remue dans la mémoire de l’homme qui a faim.

Conclusion

Et je reviens à ma supplique. Amis Macronistes devenez Macroniens. La seule opposition qui subsistent est située dans des franges assez radicales. En tant que démocrate modéré, je me retrouve piégé. Je ne souhaite pas voter aux extrêmes et je les différencie dans mon désaccord. Je  ne peux pas adhérer à un chantage qui consiste à dire : « Moi ou le chaos ». Surtout si vous l’entretenez. Personne ne sortira gagnant de cette séquence qui affaiblit encore un peu plus la démocratie. Le dernier baromètre Cevipof est d’ailleurs assez affolant. Lisez-le attentivement.

Il n’y aura pas d’ordre sans justice sociale.

Il va bien falloir négocier, apporter des avancées et sortir de cette impasse.