Zéro artificialisation : attention aux slogans…

Lors du débat municipal, il y a aussi eu une passe d’arme sur le concept de « Zéro artificialisation nette ». C’est la journée de la terre et il est important de ce préoccuper de l’artificialisation des sols. C’est globalement préoccupant. Bravo de le faire. Mais à condition de ne pas le faire n’importe comment. Il existe sur internet de nombreuses sources qui traitent de la question. On peut par exemple aller voir la gazette des communes ou le site d’EcoCo2 ou encore l’observatoire national de l’artificialisation des sols mis en place par le plan biodiversité de l’été 2018. Le gouvernement s’est fixé l’objectif de « Zéro Artificialisation nette » (ZAN) des sols, et l’a inscrite dans le Plan et depuis on a des données plus facilement accessibles à défaut d’une politique toujours cohérente. Mais c’est toujours impressionnant de voir les efforts fait sur cette mandature pour l’accès aux données. Au moins on peut se faire son avis.  L’artificialisation se définit comme « tout processus impliquant une perte d’espaces naturels, agricoles ou forestiers (ENAF), conduisant à un changement d’usage et de structure des sols ». A chaque fois qu’on artificialise, il faut rendre à la nature des sols requalifiés et vierges. Ceci pour au moins trois raisons :
– d’une part, l’artificialisation conduit à des pertes graves de biodiversité aussi bien des sols et des paysages que des animaux ou des plantes. Selon l’IPBES, un million d’espèces animales et végétales sont actuellement menacées d’extinction.
– d’autre part, cela conduit à augmenter les émissions de CO2. Constructions, trottoirs et voiries restreignent la capacité des sols à stocker le carbone. L’agriculture urbaine (ruches, jardins partagés) et la végétalisation des villes, elles en revanche facilitent le stockage.
– Enfin, les sols artificialisés augmentent la pollution des sols, de l’eau, de l’air (liée aux transports et aux activités industrielles) et la pollution sonore, du fait de la faible capacité d’absorption des ondes sonores par les sols artificialisés. Ca tombe bien Albi a décidé de s’occuper de la santé et du bien-être.

En bref on peut dire que la France artificialise plus que ces voisins européens et que cette artificialisation est plus rapide que la croissance démographique (+7,1 % contre +5,4 % sur la même période) mais que ce phénomène a ralenti sur la période 2006-2016 (23 000 hectares en moyenne). En visualisation ca donne ça


Pour faire court, les sols artificialisés sont dédiés principalement à l’habitat (42%) devant les infrastructures de transport (28%), le foncier des services (16%) puis les surfaces commerciales et économiques (14%).

Si vous souhaitez en savoir plus, le rapport annuel de l’Onas (observatoire national de l’artificialisation des sols) permet d’en savoir plus. Voici la carte pour Tarn zoomé sur Albi et environ. On voit bien qu’il y a une forte consommation et qu’il est important de la freiner.

Ne pas utiliser Zéro artificialisation comme un slogan

Un des problèmes majeurs de genre de dossier est qu’il faut raisonner à l’échelle globale et avoir conscience de la dynamique des territoires. Il existe des controverses sur le sujet. Le concept est flou et les études encore trop rares. Conscient de cela, lors des troisièmes rencontres du programme Action cœur de Ville (ACV), la ministre de la Transition écologique a annoncé ce 8 septembre dernier le lancement prochain d’un appel à manifestation d’intérêt (AMI) pour inciter les villes moyennes à s’engager dans une démarche visant l’objectif de zéro artificialisation nette. Albi devrait se saisir de cette question d’autant plus qu’elle à un géographe dans l’équipe en place.

à travers l’exemple d’Albi,  je souhaite montrer que les choses ne sont pas toujours aussi simple qu’on le voudrait. C’est bien de lancer un slogan et de refuser les constructions mais on risque de dire des bêtises. C’est mieux de bosser en détail pour voir ce que l’on peut faire. Décréter un arrêt total de l’artificialisation serait très problématique pour le logement et pour les albigeois.

Explications :

D’une part le logement pèse lourd dans le budget des ménages. Le schéma montre qu’il pèse beaucoup plus lourd chez les plus pauvres. Le logement est le premier poste. Beaucoup plus que pour les ménages aisés. Or la pénurie de logement va impacter les plus pauvres.

Cette réalité est de plus en plus prégnante. L’indice de référence des loyers a connu une progression bien plus importante que l’inflation et que l’indice des prix à la consommation.

Une ville a besoin de construire des logements parce que la composition des ménages évolue dans le temps. Pour prendre un exemple la taille moyenne des ménages a fortement diminué passant de 3 à moins de 2 personnes en moyenne en France. Pour une ville exemple de 60 000 personnes, là où il fallait 20 000 logements (60 000 /3) il en faut désormais 30 000 (60 000/2). Du simple fait du desserrement familial il faut produire des logements.

Pour être plus proche de la réalité voici l’évolution des ménages à Albi entre 2007 et 2017 selon l’Insee.
On constate que la proportion de ménage d’une personne a fortement augmenté (+ 17 %) que les ménages de couples avec enfants sont moins nombreux (-10 %) et que les familles monoparentales (souvent fragiles) sont en progression (+ 9 %). Le portrait de l’Insee concernant l’agglomération décrit une ville pas très riche avec 3 quartiers qui relèvent de la politique de ville. En gros, il ne faudrait pas que les loyers augmentent trop car ils sont déjà hauts. Nous allons le voir plus bas.

On constate qu’il y a déjà un prix de l’immoblier plus élevé que dans le Tarn et cela se traduit par répercusion sur les loyers.

Lorsqu’on décrète un zéro artificialisation net on bloque de fait la construction et on réduit l’offre. Etudions ce que cela implique avec un graphique d’offre et de demande qui est avant tout un exercice de pensée. Comme certains logements vieillissent et sortent du marché on provoque un choc négatif de l’offre de logements. Ce mécanisme provoque une réduction des logements à louer ou à vendre et à une hausse des prix. Comme la ville est relativement attractive il y a dans le même temps un choc positif sur la demande. Ce mécanisme accentue encore plus la hausse des prix. (p1 et q1 représentent la situation initiale, p2 et q2 les prix et la quantité après le choc négatif d’offre, p3 et q3 les prix et les quantités après le choc de demande).

Ce mécanisme théorique est vérifié dans les faits. En effet, lorsqu’on regarde des sites spécialisés comme locservice.fr on constate qu’il est difficile de trouver une location et que les prix sont élevés. Ne pas construire parce qu’on ne veut pas artificialiser pose problème. Surtout pour les plus modestes. C’est étonnant de se poser en champion des classes populaires et de promouvoir des choix qui leurs sont défavorables.

Souvent, les gens qui ne connaissent pas le dossier rétorquent qu’il n’y a qu’à (j’adore les yakafokons) utiliser les logements vacants. Pas si simple car comme le montre, un autre indicateur développé par l’observatoire des territoires le taux de vacance est très faible (7,6 %). On pourrait penser à loger les gens sur les communes limitrophes à la ville centre mais c’est pire dans les villes périphériques de l’agglomération. Le taux de vacance va de 0.4 % à Saliès à 4 ou 5 % pour la plupart des communes. En ne construisant pas parce qu’on est contre on risque de rejeter encore plus loin les ménages les plus modestes. Ils devront aller encore plus loin.

Si on veut accentuer le phénomène Gilet Jaune, on ne peut pas mieux s’y prendre. Avec une bonne intention initiale on va favoriser les propriétaires fonciers, et les loueurs. Merci pour moi, je suis propriétaire et vous contribuez à l’augmentation de la valeur de mon bien. La ville d’Albi qui est aussi une ville touristique doit aussi faire face au problème des locations Rbnb qui diminuent l’offre et participent du choc négatif. En plus on va générer des nuisances routières car l’offre de transport en commun n’est pas suffisante et que les personnes se logent en périphérie. Ce qu’il faut c’est faire en sorte qu’on construise pour les plus modestes. Je le redis, le portrait de l’Insee décrit une ville plutôt âgée avec des locataires et de revenus modestes. Or pour des logements sociaux, il faut des terrains pour les bailleurs sociaux.

On a là un problème difficile. Il existe des logements vacants (la moyenne est à plus de 10 % et de nombreuses communes dépassent le 20 %) mais ils ne sont pas forcément situés au bon endroit et dans les bonnes communes. L’objectif est crucial mais doit être pensé sur une échelle plus vaste que la ville.

Le vrai travail, bien loin du slogan et de regarder avec les professionnels du secteur (agents immobiliers, promoteurs, etc.) le type de logement en pénurie sur Albi et d’étudier la politique de la ville sur cette question et de travailler patiemment avec les bailleurs sociaux.

C’est tout le problème des slogans. les zéro déchet, zéro phyto, zéro viande ou leur opposé positif 100 % autonomie alimentaire, 100 % bio, 100 % local ou d’autres sont souvent stupides quand on creuse un peu la question. Les slogans anesthésient la capacité à réfléchir et à exercer un discernement sur des situation hélas bien plus complexe que le slogan. Déjà que l’écologie n’a pas bonne presse et qu’elle est vécue comme une vision punitive, il ne faudrait pas en rajouter. Si on veut que les gens adhèrent et comprennent il est nécessaire d’aller au delà des slogans. C’est tout l’objet de la démocratie technique et de la pédagogie sur la complexité des situations. Sinon on sombre dans le populisme et c’est vision contre vision sans tenir compte de la réalité. Une autonomie alimentaire à 100 % n’a pas de sens. On est bien placé à Albi pour le savoir. Les territoires agricoles sont souvent plus efficaces qu’une agriculture urbaine mal maîtrisée. Et pourtant je la défends. Roquefort ou Camembert n’ont pas vocation à produire que pour leur territoire. Un écologiste qui veut aller au delà du slogan doit considérer que certaines ressources sont rares précieuses et qu’il faut les utiliser au mieux et avec parcimonie. Certes faire un Leroy Merlin (en créant deux friches industrielles parce que les concurrents ferment) sur des terres agricoles est stupide. Mais refuser tous les lotissements l’est tout autant et je viens de le démontrer. Parce que c’est toujours les plus faibles qui sont victimes de la situation.

L’économie a des défauts mais elle apprend l’allocation optimale des ressources rares. Juste un dernier mot. Le seul slogan de ce type qui trouve grâce à mes yeux, c’est « territoire zéro chômeurs ».