Une campagne présidentielle étonnante et détonante

La campagne présidentielle bat son plein et les programmes électoraux filtrent partiellement. Un certain nombre d’affaires semblent augurer d’une campagne assez violente et très dure avec des rebondissements sans fin. On pressent une forme de décomposition de l’offre politique traditionnelle et un discours anti système très fort. Pour l’instant, il reste difficile de se faire une véritable idée des programmes précis des candidats qui sont susceptibles de l’emporter. A l’heure où j’écris ces lignes ont peut raisonnablement penser qu’Hamon sera le vainqueur de la primaire de la belle Alliance populaire. On connaît donc les principaux candidats de gauche , du centre et de droite. Mélenchon, Jadot, Hamon, Macron, Fillon et Le Pen.

La surprise de l’écologie

Le point notable de cette campagne à gauche et même à droite est la présence d’une réflexion sur l’écologie qui pour une fois dépasse le cadre d’Europe Écologie les Verts. Même Fillon veut promouvoir le marché carbone pour limiter les émissions de CO2. Une véritable surprise tant le sujet n’est généralement pas dans l’ADN de la droite. De plus, on peut noter que le deuxième débat a été marqué par la petite phrase de Benoît Hamon : « on négocie avec les banquiers, pas avec la nature ». La réflexion sur les limites de la croissance, les biens communs à préserver et la pollution ou les perturbateurs endocriniens  est vraiment une première à ce niveau de détail. Généralement ces questions étaient subordonnées aux questions économiques.  Pour la première fois, on entend parler de densité en emplois des énergies renouvelables, de logique agricole suicidaire et de nécessité de se tourner vers l’agroécologie ou la permaculture,  de protection des forêts, de coûts globaux et d’externalités positives ou négatives  et de co-bénéfices. On a aussi vu les candidats s’exprimer sur la dépendance énergétique de l’Europe face à la Russie,  de planification écologique sur temps long, basée sur une lecture claire d’un monde chamboulé, le pic des ressources et  par la contrainte carbone et climatique. Même à droite ces préoccupations se font jour mais de manière moins marquée. On a aussi entendu parler de la révolution numérique. Le tout avec des chiffres à l’appui.
Tous les candidats de l’échiquier insistent sur la transition énergétique et la nécessité de décarboner l’économie. Une différence majeure apparaît sur le rôle du nucléaire. Les verts, le PC-FDG et le PS veulent réduire sa part alors qu’on préfère maintenir le nucléaire à droite ou au centre de l’échiquier. Ce point mériterait d’ailleurs un véritable approfondissement durant la campagne à venir. Le nucléaire a de nombreux défauts mais selon des spécialistes comme Jean-Marc Jancovici, il peut être utile d’utiliser le parc existant pour préparer au mieux la transition. Toute la question énergétique doit être approfondie. Il était temps de se préoccuper d’écologie car ces questions seront cruciales dans l’avenir avec le pic des ressources et la contrainte climatique.

L’angoisse du chômage

chomage-depuis-1996Le problème est grave et ne date pas de Hollande. Sur une population active d’environ 29 Millions, il a presque 7 millions de chômeurs et de sous activité si on intègre le halo autour du chômage.  Il faut être plus offensif et réfléchir aux conséquences sur le lien social. Cela s’aggrave depuis la crise de 2008. Ni la droite, ni la gauche n’ont la solution miracle. Il y a 9 millions de pauvres (60 % du revenu médian) et ce total a augmenté de 1 million en 10 ans. Sans filet social c’est l’explosion sociale assurée ! Tous les candidats en tiennent compte avec des solutions très diverses. Soit baisse du coût du travail à droite et au centre, soit partage du travail et augmentation des revenus à gauche. 

Le revenu universel au cœur des débats à gauche

Il est étonnant de constater à quel point le rapport à l’économie marchande, à la mondialisation, au capitalisme et au travail est en train d’évoluer. Comme si la France pouvait s’extraire du système mondial. Comme si on pouvait aussi facilement rompre avec le capitalisme. L’évolution de l’emploi n’est sans doute pas étrangère à la situation. Il y a un autre raison à cela. Le graphique connu sous le nom d’ «Elephant graph » et que nous reproduisons. (En abscisse, la répartition de la population mondiale par décile, en ordonné, l’évolution du revenu en % par rapport à la période précédente.)

elephant-graphIl montre que les classes moyennes européennes et américaines sont les grandes perdantes de la mondialisation. Le repli identitaire, l’élection de Trump et le Brexit sont la conséquence de cette réalité. Pourquoi défendre la mondialisation quand on est le grand perdant du système. Mais rien ne permet d’affirmer que le repli national permettrait d’améliorer la situation. Nous n’insisterons pas sur ce débat identitaire qui hélas irrigue la campagne.  L’idée d’un revenu universel réapparaît  à chaque crise comme tentative de lutte contre les conséquences sociales d’une société qui se fracture comme aujourd’hui. On trouve des défenseurs à gauche comme à droite dans des versions différentes. Pour les défenseurs du revenu universel, nous affrontons une  triple   mutation qui  menace les  revenus  de beaucoup d’actifs. Tout d’abord une mutation des emplois. En effet, la nouvelle révolution industrielle notamment de l’internet entraînera  le  chômage massif des moins qualifiés.  Il faut trouver des solutions pour lutter contre la pauvreté. Ensuite une mutation du travail : l’exigence de flexibilité (liée à la concurrence mondiale, à l’évolution des objets et des goûts des consommateurs)  transformera  les parcours professionnels en séquences plus ou moins longues ou courtes d’activité suivies de recherche d’emploi.  Le RU  propose un choix sociétal fort pour sa version de gauche. Il s’agit de préparer une société post-salariale et post-capitaliste où le revenu serait  dissocié de la contribution libre de chacun  à la production.  D’une part l’essor des robots va « mettre sur le carreau » des masses croissantes de salariés. Déjà Sismondi au 19ème siècle proposait de verser une rente aux salariés qui auraient été remplacés par une machine. D’autre part le développement de l’économie collaborative avec ses échanges non monétaires (sur le modèle des transferts de fichiers sur Internet) va saper le profit des capitalistes (Jeremy Rifkin, La fin du travail).  Dans ce scénario futuriste,  un RU d’un montant important (certains auteurs proposent 1,5 fois le SMIC)  financée  par un impôt sur le revenu très progressif,   permettrait de faciliter cette « grande transition »,  en évitant l’explosion des inégalités. On peut constater que le financement est pour l’instant le grand absent de ce qui a filtré. Tout dépendra de l’ambition. Pour 100 € par mois et par français, cela coûte 80 milliards. A 500 € il faut trouver entre 300 et 400 milliards selon que l’on donne ou non un revenu complet au français de moins de 18 ans. A 800 €, il faut trouver environ 650 milliards qui correspondent finalement peu ou prou au coût de la sécurité sociale qui bascule ou pas dans un système assurantiel.  Il est pour l’instant trop tôt pour se prononcer.

 

La fin de la croissance semble inconsciemment actée

 Les propositions pour relancer la croissance sont très faibles. Comme si les candidats n’y croyaient pas.  Il semblerait que les candidats aient tous acté que celle-ci sera faible dans les années à venir. Si on en croît un certain nombre d’études, elle devrait être quasi nulle pour les 30 prochaines années. Seul le FN, En marche ou LR s’aventurent à prévoir un peu de croissance. Et les candidats semblent aussi hésiter à indiquer les efforts qui seront à fournir. Ils apparaissent en creux dans les programmes. Mais le mot austérité est banni. Dans une économie en croissance et avec une rémunération du capital inférieure à la croissance, le capital et le travail peuvent croître tous les deux. Quand une économie est stagnante ou à faible croissance, il ne faut pas trop rémunérer le capital sinon il fait inéluctablement disparaître le travail. C’est le cas aujourd’hui car 97 % de la richesse supplémentaire créé depuis 10 ans a été captée par les plus riches dans les pays de l’OCDE. C’est ce queImage4 montre Piketty dans le capital au 21eme siècle avec le fameux R>G. Quand la rémunération du capital est supérieure à la croissance, la richesse se concentre. Or nous rentrons dans une économie stagnante alors que la rémunération du capital continue à être forte. Résultat le travail disparaît car le capital prend un part importante au détriment du travail. Cela est renforcé par la nouvelle révolution numérique et les robots.  Il faudra revoir le rapport au capital et à la dette. Même si pour l’instant, sur le sujet, l’austérité et l’orthodoxie prédomine chez les gros candidats.

Une divergence forte sur le protectionnisme et l’Europe

Les candidats les plus centraux sur l’échiquier veulent ancrer leur action dans les traités existants et dans le cadre des institutions européennes. Au deux bords de l’échiquier, on trouve au contraire des positions souverainistes et très critiques vis-à-vis des institutions européennes et des accords commerciaux. Le grand non-dit du débat reste tout de même l’Europe et ses problèmes. Le Brexit n’est que la dernière péripétie. Stiglitz a pronostiqué la fin de l’euro car la zone n’est pas optimale au sens de Mundell. Il n’y a pas de mécanisme de transfert pour aider les pays en difficultés ou pour régler les divergences et les chocs asymétriques.

David Cayla et Coralie Delaume pronostiquent « la fin de l’union européennfin-unione » dans un livre dont je vous recommande la lecture. Il fait le point sur toutes les lacunes institutionnelles que nous devrons surmonter si nous ne voulons pas voir cet idéal se déliter sous nos yeux. Pour eux, l’Europe c’est the Walking Dead. Elle est morte, mais ne le sait pas encore. De son projet basé sur l’économie et le marché unique, découle un dumping social, un carcan monétaire qui asphyxie les pays périphériques au profit de l’Allemagne.  C’est un réquisitoire solide qui mérite attention. Impossible de le réfuter d’un haussement d’épaule sous prétexte que les auteurs seraient souverainistes. Si je devais émettre une critique, elle porterait sur le fait que la fin de l’Europe ne résoudrait pas pour autant les jeux non-coopératifs et la concurrence exacerbée de tous contre tous. Le problème resterait entier. De tout façon, dans un cadre Européen ou national, tout est à rebâtir pour ne pas voir notre continent péricliter et les inégalités régionales se creuser.

Une volonté de réformer les institutions

La cinquième république paraît à bout de souffle. On constate que tous les candidats proposent des mesures pour redynamiser la démocratie. La démocratie s’inscrit dans une histoire de la prise de parole : revendications sociales et politiques en faveur des droits individuels et sociaux, luttes contre l’humiliation, pour l’égalité et pour le respect du droit de chacun à mener sa vie librement. Or ces prises de parole, qui doivent être impérativement intégrées à l’étude des expériences démocratiques, viennent des sociétés et non des institutions. Il faut donc une participation du citoyen. La diversité des scénographies parlementaires met en évidence un problème essentiel auquel toutes les démocraties sont confrontées : celui d’assurer à la fois la diversité des points de vue et l’unité de la collectivité, dans le but d’éviter la guerre civile. Notre système semble bloqué.  Il existe de nombreuses possibilités pour organiser la démocratie mais on peut affirmer qu’il y a une crise de la démocratie représentative.  Au cœur de celle-ci, le processus électoral connaît un essoufflement qui se manifeste par le retrait des urnes. La France, souvent présentée comme un pays de forte participation aux élections locales, nationales et supranationales, atteint des records d’abstention. Elle traduit la distance que certains citoyens ont, pour des raisons essentiellement sociales et culturelles, vis-à-vis de l’univers politique qui leur paraît tellement loin, tellement étranger, qu’ils ne votent pas. il faudra y remédier mais rien n’assure que les réformes proposées dynamisent réellement celle-ci.