Peut-on parler de virage à droite de la société ?

Des études récentes reprises par le monde indiquent une droitisation des esprits.

Personnellement, je trouve l’explication un peu courte voire simpliste. Je voudrais revenir brièvement sur la théorie de l’identité sociale et la catégorisation. A propos de la catégorisation, Sherif puis Tajfel ont montré que l’on attribuait facilement des catégories et que celles-ci pouvaient être à l’origine de comportements discriminatoires. On a par exemple réussi à générer des comportements discriminatoires sur la simple préférence d’un peintre (Klee vs Kandinsky).

Lorsqu’une société est en crise et que la mobilité sociale individuelle se réduit. Les classes moyennes se réduisent et les pauvres et les trèsriches augmentent simultannément. Les individus ont tendance à ne plus se comporter comme des individus mais comme les représentants d’un groupe. Comme les classes sociales sont moins pertinentes la catégorisation s’établit sur la base d’appartenance communautaires ou religieuses ou en fonction de conceptions sociétales. Surtout si les visions économiques semblent toutes identiques. Dès lors, ils ont tendance à considérer que les intérêts des divers groupes sont antagonistes. Enfin, les signes d’appartenance à ce groupe sont accentués (le foulard islamique en est un exemple. La vidéo de Nasser se moquant de cette prétention est d’ailleurs édifiante sur l’évolution des revendications). On a du mal à voir dans l’autre l’ami mais on voit plutôt le représentant d’un autre groupe, surtout si un évènement vient cliver la société. (je me rappelle d’amis juifs et maghrébins qui avaient du mal à se parler aux moments des intifadas alors qu’ils n’étaient pas concernés) Si on ajoute les minorités agissantes (au sens de Moscovici) qui œuvrent pour promouvoir leurs idées en maniant l’anathème (LGTB, libéraux, Femen, islamistes, antisonistes qui sont souvent antisémites d’ailleurs, extrême droite ou catholiques intégristes), nous sommes face à l’explosion potentielle et la radicalisation. Ces individus ont intérêt à ce que la dimension groupe prenne le pas sur la dimension individu pour cliver la société et accélérer leur revendications. Je me retrouve parfois à devoir défendre le fait d’être catholique alors que je suis plus opposé à certains de mes coreligionnaires qu’à certains athées humanistes tolérants et ouverts d’esprit.  Je trouve à ce titre irresponsable l’attitude de Valls ou l’activisme d’une Caroline Fourest. Les Femen pèsent aussi de manière détestable sur le corps social.

élections-société2La société est toujours un équilibre entre forces conservatrice et tendance libérale. Si les forces libérales se développent trop, elles rendent la société liquide au sens de Z. Bauman. Elle n’est plus capable de resister au moindre choc que provoquerait une force radicale car les individus ne font plus société mais sont des agents dispersés sans liens les uns avec les autres.  Si la société est trop conservatrice elle se replie et contracte sur elle au risque de l’implosion.

Par ailleur, on sait que  la morale fait partie de la nature humaine tout en étant une construction culturelle (J. Haidt & C. Joseph). Il semblerait qu’il existe (au moins) quatre modules psychologiques qui constituent la base sur laquelle toutes les cultures construisent des vertus spécifiques. Ces quatre modules sont constitués par les couples souffrance / compassion, réciprocité / équité, hiérarchie / respect et pureté / sainteté. La plupart des cultures traditionnelles, les cultures musulmanes inclues, valorisent les vertus basées sur ces quatre modules à la fois. Les cultures séculaires occidentales modernes valorisent les vertus liées aux deux seuls modules souffrance / compassion et réciprocité / équité. Quand des cultures moralement différentes se mêlent, cette différence est la source de difficultés et de malentendus. De plus la crise exacerbe les tensions entre des conceptions différentes de la société. En effet les minorités peuvent plus facilement pression sur un corps social fragilisé et moins sûr de ses valeurs pour imposer l’agenda de ses idées.


Je voudrai maintenant parler un peu de la décence ordinaire d’Orwell. Celui-ci parle de la nécessité de créer les conditions d’une société qui maintient des solidarité et des modalités de fonctionnement qui soient apaisées. Le peuple serait conservateur et souhaiterait surtout des protections sociales. Orwell est en quelque sorte le père de la pensée antitotalitaire. La préoccupation d’Orwell, c’est l’homme ordinaire, vous et moi, tout un chacun. Pour juger, nous nous appuyons sur nos expériences, notre environnement quotidien. Orwell avait compris qu’il y a des forces dans le monde moderne qui détruisent l’homme ordinaire, qui le coupent de sa propre expérience et qui font en sorte qu’on ne juge plus à partir de ce qu’on voit et de ce qu’on entend, mais en étant pris par la déformation permanente de la langue. On en a des exemples tous les jours. C’est toujours notre problème d’aujourd’hui.

Je crois que ces deux analyses couplées montrent que le libéralisme sociétal lié  à des renoncements économiques (social libéralisme et pas social démocratie) induisent des « crispassions » (néologisme,  jeu de mot entre crispation et crise qui déchaine les passions) dans la société et un rejet des mesures sociétales. Il faut bien des boucs émissaires non économique car l’éco est complexe et les solutions de long terme. Du coup dans le débat actuel (Dieudonné, mariage pour tous, GPA, PMA, avortement, genre, burkini, Syrie) empêche les opinions nuancées. En économie c’est bien pareil. On est pour ou contre. Noir ou blanc. Et ceux qui ont des opinions plus nuancées et équilibrées, on en fait quoi ?  Face à la masse des chômeurs cela paraît surréaliste de ne discuter que de réforme sociétale et c’est contre productif !

Si on ajoute l’endogamie sociale des politiques, le népotisme et une forme de corruption (pas généralisée mais visible) on crée les conditions d’un rejet global des politiques mais pas un fascisation des esprits. Les inégalités détruisent la société. Si les politiques recréent les conditions d’une amélioration du sort des plus humbles et des plus humiliés (comme le montrait si bien Camus), je pense que les idées extrêmes reflueront rapidement. On n’en prend hélas pas le chemin et l’on se dirige vers un retour de balancier favorable aux forces les plus réactionnaires comme en Espagne.