Panana papers : Gafinhar es pas jogar

Fraude en FranceDes milliers de documents récupérés chez le cabinet, Mossack Fonseca,  cabinet d’avocats panaméen, ensuite exploités par de nombreuses rédactions du monde entier ont permis de mettre au jour un vaste système d’évasion fiscale. Ils montrent la colossale ampleur de l’évasion fiscale. Celle-ci pose un double problème. D’une part,  elle obère les capacités d’action de l’état puisque la perte de recette fiscale en France est estimée à près de 7 % du PIB (environ 140 milliards), selon le Tax justice network. Le syndicat Finance Solidaire estime quant à lui que la fraude ampute de 20 %  les rentrées estimées. D’autre part cela pose le problème du consentement à l’impôt et de la compréhension de l’action de l’Etat par les citoyens.

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Comprendre les chiffres

Ces ordres de grandeur ne parle pas à la plupart des gens. Le PIB de la France est évalué à environ 2 100 milliards d’euros. Résorber la fraude fiscale (140 milliards) permettrait de ne plus avoir de déficit public (70 milliards), de boucher le trou de la sécurité sociale (10 milliards) , de régler les problèmes d’assurance chômage (25 milliards) et il resterait encore de l’argent pour investir dans l’éducation ou la transition énergétique ou même baisser les impôts de tous.

La remise en cause du consentement à l’impôt est inquiétante pour la démocratie

Un sondage (IPSOS /Le Monde) montre que près de la moitié des Français refusent l’idée que « l’impôt est un acte citoyen ». Or le consentement à l’impôt est à la base de la vie démocratique. Nous avions assisté à une forme de fronde fiscale avec les bonnets rouges bretons. Ce consentement à l’impôt est d’autant plus difficile à obtenir qu’il existe de nombreuses niches fiscales en France (près de 500 ) et cela renforce l’idée qu’on fait plus d’effort que son voisin. Cela d’autant plus que l’action de l’État est de plus en plus difficile à décrypter car ses interventions s’étendent. Rosanvallon préconisait déjà il y a 10 ans « une société solidaire ». Il considère qu’il faut mieux d’État et réencastrer la solidarité dans la société. Le scénario social-étatiste avec plus d’Etat correspond à une fuite en avant. De nouvelles augmentations des Prélèvements obligatoires conduiraient à un blocage social et au développement d’effets pervers avec l’amplification d’une économie souterraine, le développement du travail au noir et l’accélération de la segmentation du marché du travail. Le scénario libéral est associologique voire égoïste car les individus en concurrence fragmentent la société. Elle est de plus en plus segmentée en de nombreuses catégories sociales. Dans ces conditions chacun cherche à se placer sur le segment le plus favorable et cela annihile le collectif pourtant nécessaire.

Ne pas se tromper de cible

Le discours sur la fraude a souvent tendance à se focaliser sur les fraudes aux prestations sociales. Il ne faut pas être dupe. Cela arrange bien des gens. La fraude aux prestations sociales est estimée à 4 milliards (hypothèse haute) elle est 25 fois moins importante que la fraude fiscale (100 milliards) et 8 fois moins  que la fraude aux cotisations sociales (30 milliards).

 

Comprendre le Tax rulings et les mécanismes (légaux) de l’évasion fiscale

Dans le jargon financier, les petites combines dont bénéficient ces grands groupes pour payer moins d’impôts s’appellent le tax rulings (ou « rescrits fiscaux », en bon Français). Il s’agit d’accord avec des gouvernements pour payer un forfait fiscal qui exerce un dangereux dumping fiscal et une concurrence entre les Etats. Tous les pays proposent ces « rescrits », y compris la France. Mais certains territoires sont jugés plus attractifs que d’autres.

Les sociétés offshore sont des sociétés extraterritoriales. Il s’agit donc simplement d’une société créée dans un pays où le bénéficiaire n’est pas résident. Elle possède toutes les caractéristiques d’une société classique. Elle est immatriculée mais dirigée depuis un autre pays que celui où elle se trouve. Une société offshore n’est pas illicite. En être bénéficiaire ne l’est pas non plus. N’importe qui peut créer une société dans un pays où il n’est pas résident fiscal, et ce dans tous les pays du monde. Si c’est le cas, alors le bénéficiaire doit déclarer à la fois à son pays de résidence et au pays dans laquelle est établie la société les profits tirés des activités cette dernière. Apparait alors un problème. Ces sociétés sont très souvent utilisées à des fins frauduleuses. En effet, ces sociétés sont créées dans des États qui refusent la coopération internationale et  à la fiscalité très faible avec un système juridique opaque. Ces pays sont des paradis fiscaux. Les sociétés offshore comme le cabinet Mossack Fonseca fournissent également le kit de l’opacité parfait pour le client. Ils effacent les liens entre la société et lui. Le fisc ne peu plus suivre ces évadés fiscaux, et il ne peut plus lutter contre le blanchiment d’argent, la fraude fiscale et la corruption.

Les  systèmes de prêts internes. Une holding (société purement financière qui contrôle les vrais sociétés) établie au Luxembourg ou au Panama prête de l’argent à une autre filiale du groupe située dans un pays étranger, un peu comme s’il existait une banque à l’intérieur même du groupe. Celle-ci se débrouille pour que ces intérêts à payer lors du remboursement soient importants, afin de vider les caisses de la filiale à l’étranger. Ces intérêts sont facturés et déduits du résultat de la filiale. Ils sont alors transférés vers un paradis fiscal, sans passer par la case « déclaration au fisc ». Adieu l’imposition sur les sociétés en France.

Le paiement de royalties. Cette holding peut aussi jouer sur la puissance de la marque et des brevets. La multinationale ouvre dans un paradis fiscal une entité consacrée à la gestion de la propriété intellectuelle. Les autres filiales, ainsi que la maison-mère, lui payent des royalties pour l’utilisation de la marque et des brevets, ce qui permet de diminuer leur bénéfice fiscal. La surfacturation est parfois de mise. « La holding peut jouer sur un tas d’éléments immatériels qu’il est difficile d’évaluer précisément, Il faut cependant que cela reste plausible, la surfacturation ne peut pas être de 200%. » Au final, 80% des royalties sur cette propriété intellectuelle échappent aux impôts, selon l’ICIJ.

 

Responsabilité des paradis fiscaux dans l’instabilité financière

Les paradis fiscaux et judiciaires facilitent une circulation rapide des capitaux, sans aucun contrôle. Ils encouragent la fraude fiscale comme dans l’affaire des Panama Papers.  Ils favorisent aussi la spéculation, notamment sur les taux de change et la fuite des capitaux des économies émergentes, des phénomènes qui ont grandement contribué à la survenance de crises financières. les marchés financiers sont le lieu de rencontre entre les émetteurs et les investisseurs, pour financer l’économie réelle et son développement. Ces marchés sont donc indispensables au fonctionnement d’une économie moderne, en lui permettant notamment de partager les risques de manière théoriquement optimale. Dans ce monde idéal, la finance est au service de l’économie. Mais cette situation peut s’inverser, avec une finance passant au service d’elle-même, voire asservissant l’économie avec des exigences folles de rentabilité. Les marchés financiers deviennent alors une machine très dangereuse, dont les dysfonctionnements entrainent rapidement un phénomène d’instabilité financière. Lorsque ce phénomène prend de l’ampleur (on parle alors de risque systémique), il peut se propager à de très larges pans de l’économie réelle. La situation devient alors dramatique pour la population, qui peut perdre ses emplois, ses retraites, etc. La situation n’est guère meilleure si les Etats volent au secours de leurs institutions financières au bord de la faillite : les montants colossaux apportés se retrouvent ensuite dans la dette des Etats, qui est finalement réglée par les contribuables, souvent au prix d’une crise économique. Une forte financiarisation de l’économie peut être source de dysfonctionnements car elle peut inciter les entreprises au placement financier plutôt qu’à l’investissement. Cela favoriser les raids financiers plutôt que les restructurations industrielles. Le développement de la bulle financière peut engendrer des krachs boursiers qui déséquilibrent l’économie réelle en diminuant la valeur des actifs financiers et en raréfiant la monnaie. Il est donc nécessaire d’envisager des régulations et une taxe comme la Taxe Tobin pourrait décourager cette économie casino.

 

Protéger les lanceurs d’alerte et intensifier la lutte citoyenne

Le procès Antoine Deltour, le lanceur d’alerte de l’affaire Luxleaks est emblématique. Il risque une peine jusqu’à 10 ans de prison. Malgré les Panama Papers, malgré les Swissleaks et malgré les Luxleaks qui mettent en cause Junker, le parlement Européen a adopté la directive sur le secret des affaires, qui exposera à des procès les journalistes travaillant sur les affaires économiques. Il est urgent que les opinions publiques se mobilisent. Dans le cadre du Projet de Loi de Finances Rectificatif 2015, les députés français ont lâchement abandonné un amendement qui prévoyait que les entreprises multinationales rendent publiques chaque année leur chiffre d’affaires, leurs bénéfices, le nombre de leurs filiales et de leurs employés ainsi que le montant des impôts payés et ce, dans chacun des pays étrangers dans lesquels elles sont implantées. Cette transparence permettrait de pouvoir débusquer plus facilement l’évasion fiscale des entreprises. Ce fut une occasion manquée.   La crise de 2008 a quand même  constitué une cassure. Nous assistons à un emballement de la visibilité de la fraude fiscale dans le débat public. Monique Pinçon-Charlot (sociologue spécialiste des Riches)  raconte que les inspecteurs des impôts qu’elle  a interviewés sous couvert d’anonymat expliquent  que leurs conditions de travail sont organisées au plus haut de la hiérarchie de Bercy, afin qu’ils soient tenus éloignés des plus grandes fortunes. Leur travail est cloisonné, parcellisé, ils n’ont pas accès à l’ensemble de l’information. Dès que le sujet est sensible, c’est-à-dire quand il implique des personnalités à fort enjeu car détentrices de plusieurs millions d’euros, les personnels qui s’en occupent sont recrutés exprès au sein de la Direction générale des finances publiques. Pour dire les choses rapidement, ils sont recrutés parce qu’on a confiance en eux pour obéir aux ordres politiques.

 

Nous déjà dit mais le consentement à l’impôt est la base du processus démocratique. Cette série d’événements doit être l’occasion d’une prise de conscience globale de la nécessité de faire société et donc d’une lutte sans merci contre ce phénomène qui mine nos sociétés.

 

Loïc STEFFAN