Le groupe de travail

Le groupe de travail

Rapide résumé de Psychologie sociale du groupe au travail de Augustinova et Oberlé chez De boeck.

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Allport (1924) disait que le groupe n’a guère de réalité, il est plutôt une illusion, car seuls existent les individus qui le composent. Cependant le groupe a bien une réalité phénoménale. Il peut être saisi commun une unité dans la mesure où il génère des actions des émotions qui lui sont propres. cette entitativité (Campbell 1958), c’est-à-dire cette faculté à former une entité ou les individus peuvent être interchangeables, génère un identité perçue par les membres qui en connaissent les caractéristiques et  qui savent ce qui les différencie des autres groupes. Oberlé (1995) a remarqué que cette unité se traduit dans des structures stables, dans la répartition des statuts et des rôles et par des phénomènes de normalisation et d’uniformisation. Le groupe est un système de croyance qui va définir un “nous” et un “eux” par un mécanisme de construction imaginaire (Anzieu 1975). Il y a une mise en commun des enthousiasmes, des capacités, et de la solidarité. À partir de de cette catégorisation (Turner 1978 et Tajfel 1972) ont montré les préférences accordées à son propre groupe qui peuvent aller jusqu’à la discrimination.

C’est à partir de Lewin et de la Gestalt théorie (théorie de la forme qui postule que nos perceptions façonnent la réalité des relations entre différents éléments) que nous allons réellement comprendre que le tout est autre chose que la somme de ses éléments. Il a étudié les différents styles de commandement. Il a montré que le style choisi détermine le climat et l’agressivité ou au contraire le calme et le respect (Lewin 1948, Lippit et White 1943). Les résultats dépendent du groupe, mais pas des traits de personnalité individuels et les gens agissent différemment comme membre de leur groupe ou comme individus isolés. Les travaux précédents conduisent à deux définitions différentes. Le groupe perçu comme une dynamique et le groupe perçu comme une catégorie. Dans la première définition, c’est le système d’interdépendance qui compte. Dans la seconde, c’est le fait de posséder au moins une caractéristique commune ou une similitude.

 

La cohésion d’un groupe étudie ce qui cimente un groupe et le lie ensemble. La définition la plus connue est due à Festinger (1950) qui y voit “l’ensemble des forces qui agissent sur les membres d’un groupe pour qu’ils restent dans le groupe et résistent aux forces de désintégration”. Les forces sont diverses et peuvent soit s’opposer, soit se renforcer. Maisonneuve (1968) propose de distinguer les facteurs socio-affectifs et les facteurs fonctionnels. Pour les premiers, il liste l’attrait pour le but assigné au groupe, l’attrait de l’appartenance au groupe ou pour le fait d’être avec les personnes qui le compose et l’attrait de l’activité collective opérée. On parle aussi “d’être ensemble”. Les facteurs opératoires, sont la répartition des rôles, le leadership et le management.  Les facteurs fonctionnels sont importants dans les groupes de travail. En management on parlera d’engagement organisationnel ou de soutien organisationnel perçu (Morin 2008).

Les groupes vont fabriquer des normes. Il y a une certaine similitude de représentation et d’idées. Les normes ont deux fonctions qui sont utilitaires et axiologiques. La première fonction de fournir des repères, de réduire les incertitudes et donnant un cadre commun auquel on peut se référer en cas de conflit. L’adhésion aux normes permet de réduire le coût des interactions (Thibaut et Kelley 1959) et renforce la cohésion (Hogg 1992). Elles sont socialement utiles.  La seconde fonction permet d’indiquer de manière implicite ou explicite ce qui est apprécié ou réprouvé dans le groupe. S’y conformer permet de se faire bien voir et les transgresser expose à la réprobation (Chekroun et Nugier 2005).

Selon Kelman (1958) on observe 3 formes de conformisme.
Tout d’abord le conformisme par complaisance ou utilitarisme pour être accepté par le groupe, ensuite le conformisme par identification lié au désir d’être membre à part entière et enfin le conformisme par intériorisation où les normes du groupe deviennent notre propre système de valeur.

Le besoin d’affiliation. L’homme possède un fort désir d’appartenance et d’affiliation. Selon la psychologie évolutionniste (Reiczigel et alii 2008 ; Caporel 2007) l’homme a une tendance instinctive à la grégarité et cela serait une partie de notre répertoire comportemental inné. L’expérience de Ash est d’ailleurs assez terrifiante. Accepter de se tromper pour être dans la majorité pose un certain nombre de problème. On sait aussi que l’on rejoint un groupe pour faire ce que l’on ne peut pas faire tout seul (Steiner 1972). Il s’agit des tâches additives, des tâches conjointes et des tâches coordonnées. On y va aussi par besoin d’appartenance,pour réduire l’anxiété ou parce qu’on éprouve de l’affection et des affinités.  On peut aussi considérer que l’échange social nous sera favorable et que les bénéfices seront supérieurs aux coûts (Homans 1961). On y reste aussi par peur du rejet et de l’ostracisme (Williams et Sommer 1997).

Les groupes développent leurs propres règles

Les groupes sont souvent marqués par des rites de passage. L’enjeu est important pour l’individu et pour la relation entre le groupe et l’individu. Il peut s’agir d’un cérémonial d’accueil dans sa forme positive ou d’un bizutage dans des formes plus problématiques. L’étape de socialisation des nouveaux membres est tout aussi cruciale. Il va de l’intérêt du novice et des anciens que l’intégration du nouveau membre se passe bien. C’est par ce processus de socialisation que le nouveau membre va découvrir et acquérir la culture du groupe ( Levine, Bogart et Zdaniuk 1996). Linton (1945) avait d’ailleurs montré que la culture permet une certaine prévisibilité des conduites sans laquelle il serait difficile de fonctionner collectivement. Sainsaulieu (1988) a montré que la culture commune propose une échelle de valeurs qui permet de distinguer ce qui est bien ou mal et qui transparaît dans les normes et qu’elle propose des schèmes d’action qui sont des modèles de conduite.

La réalisation de projets collectifs dépend des ressources de chacun, mais aussi de la coordination des efforts et des compétences de tous. La structure d’un groupe résulte donc de la manière dont il est organisé et peu ou prou dirigé (Sherif et Sherif 1969).

Les groupes définissent des rôles et des statuts

Les groupes vont générer des statuts et des rôles. Les deux grandes familles d’explications émanent d’une part de la sociologie et d’autre part de la psychologie. La première insiste sur le groupe, la deuxième sur l’individu. La psychologie sociale (Doise 1982) cherche à articuler les deux. Les chercheurs ont observé l’émergence spontanée de rôle dans les relations interindividuelles et ont travaillé sur les régularités observées qui se transforment en norme. On observe généralement des statuts assignés et des statuts conquis.

Le rapport rôle-personnalité est très intéressant. On admet généralement différentes façons de tenir son rôle. Le rôle-standard implique une conformité aux attentes sans implication particulière. Le rôle-masque (le paraître) fait que la personne qui cherche à séduire va jouer un personnage. Le rôle-refuge est une façon de se protéger en prenant la position du clown ou de l’expert. Le rôle-soutien (le vouloir être) permet à une personne de surmonter ses inhibitions. Le rôle-dynamique est la libre expression de soi. En fonction de sa personnalité les personnes endossent l’un ou l’autre des rôles. Pour Moreno (1965) quand une personne se laisse enfermer dans un rôle elle perd sa capacité d’adaptation au monde et elle le subit.

Selon Bales (1950) les intervenants n’interviennent pas de la même manière. Les rôles se différencient en fonction du degré d’activité, du type de sociabilité et de la réalisation des buts. Il distingue les aires socio-affective positive (solidarité, approbation, détente) ou négative (désapprobation, tension ou gêne, agressivité) et l’aire des tâches à accomplir dans laquelle certains donnent une direction, des opinions, des informations, ou au contraire reçoivent des informations, des opinions ou des directions. La complémentarité des rôles déterminera l’efficacité des groupes.

La place du leadership et du pouvoir

Lorsqu’on parle de groupe, on pose aussi la question du leadership et du pouvoir. la réflexion sur le leadership a beaucoup évolué. On a longtemps cru aux big men (les seuls traits probants sont l’aisance dans la parole et la confiance en soi) puis aux interactions et enfin à l’accompagnement. On distingue généralement le chef qui est imposé par la structure du leader qui émane du groupe.  Le leader transactionnel est personne qui sait répondre aux attentes des membres du groupes (Homans 1961; Bass 1985). Le leader transformationnel (Burns 1978) est une personne qui au-delà des transactions est capable de proposer une vision pour l’avenir et qui jette un pont entre le présent et le futur. Il donne l’exemple de la constance et de l’opiniâtreté dans l’action et sait stimuler intellectuellement les suiveurs. Le leader adaptatif (Fiedler 1967) quant à lui sait gérer les rapports affectifs entre le chef ou le leader et les subordonnés. Il sait donner des objectifs clairs et compréhensibles qui peuvent fédérer les individus et la dose de pouvoir dont il dispose est accompagnée d’un mécanisme de sanction récompenses dont il sait user pour rendre visible ses choix. La notion de charisme est plus ambiguë. On la doit à Weber (1921) qui désigna ainsi cette force mystérieuse qui permet à certaines personnes de provoquer l’enthousiasme. Mais son caractère flou lui donne un pouvoir d’utilisation faible.

Si les personnes exercent un pouvoir ou un leadership c’est qu’elles ont à leur disposition des mécanismes qui vont induire des comportements. La distinction avec les influences (distinction importante en psychologie sociale) est souvent ténue. La liste la plus connue est celle de French et Raven (1959) qui énonce le pouvoir de récompense, le pouvoir de punir, le pouvoir légitime, le pouvoir d’expertise et le pouvoir de référence basé sur l’identification à une personne attractive.

Le corollaire du pouvoir est la soumission. Les expériences de Milgram (1963, 1965) sur la soumission à l’autorité sont bien connues. L’obéissance est liée à un processus de socialisation durant l’enfance. Il y a aussi le concept “d’état agentique” qui fait que les individus changent de comportement quand ils sont dans une structure. Ils délèguent leur responsabilité à l’autorité et se contentent de faire ce qu’on leur demande. On comprend dès lors que le pouvoir a pour excès l’abus de pouvoir et que les contre-pouvoirs sont une nécessité vitale pour limiter ce risque.

L’efficacité du groupe

Lorsqu’on parle de groupe, les chercheurs se posent la question de son efficacité. Hackman (2002) suggère que trois facteurs doivent être pris en considération pour évaluer l’efficacité d’un groupe de travail. Tout d’abord la performance évaluée en terme de quantité, de qualité et de temps passé. Ensuite, l’augmentation des membres du groupe à travailler ensemble. Enfin l’épanouissement personnel et professionnel des membres. Pour Johnson et Johnson (2009) on peut considérer un groupe comme efficace quand 5 critères sont réunis. Tout d’abord les ressources individuelles du groupe ont pleinement été utilisées. Ensuite le temps a été optimisé. Par ailleurs, la décision ou la réalisation est de qualité satisfaisante. En outre, la décision est appliquée. Enfin la capacité des membres du groupe à travailler ensemble s’améliore. Steiner (1972) ajoute que les pertes dues aux processus (absolument nécessaires) sont minimisées. On peut aussi voir le groupe comme une unité de traitement de l’information (Hinz, Tindale & Volltrath 1997). Les individus sélectionnent,  encodent, stockent puis transmettent l’information. Selon wegner (1986) la nécessité de travailler ensemble requiert l’interaction des représentations et des modèles cognitifs des partenaires. Il faut apprendre à comprendre l’autre. La mémoire transactive est donc cette capacité à trier, encoder, récupérer de manière sélective tout ce qui sera utile à des collaborations. Elle repose sur la connaissance des autres et de leur domaine d’expertise, sur la connaissance des habiletés des uns et des autres à collaborer et de la connaissance du degré de confiance des uns envers les autres sur les deux éléments précédents (Lewis 2003).

La prise de décision dans le groupe

Le groupe nécessite aussi des modes de prise de décision. Nous sommes nombreux à vivre le paradoxe de vouloir des décisions collectives tout en rechignant à nous rendre à des réunions que nous jugeons souvent longues, fastidieuses ou ennuyeuses voire inutiles. Pourtant bien souvent nous acceptons le coût de cette présence, car nous jugeons que ces instances collectives sont nécessaires pour que chacun puisse dire son mot. Elles sont aussi importantes pour prendre des décisions qui sont plus risquées que nous n’aurions pas pris individuellement (Stoner 1961). C’est un paradoxe apparent qui semble contredire le constat d’Allport (1924) qui montrait que les opinions étaient plus modérées en groupe. Cela tient au fait que la prise de risque est partagée. Myers et Kaplan ont aussi conduit une expérience intéressante. Ils ont simulé un procès d’assise avec des preuves fortes ou des preuves faibles. Le jugement de culpabilité était bien sûr différent en fonction du niveau de preuve. Mais il était devenu plus fort après discussion quand les preuves étaient fortes et il est devenu plus faible quand les preuves manquaient. Ce qui plaide en faveur du processus de dialogue. Le groupe arrive à dégager une opinion majoritaire reconnue en fonction de la qualité des arguments qui lui sont soumis. Il faut donc accroître l’intelligence collective par de l’information contradictoire de qualité. La polarisation dépend aussi du nombre de répétition d’un argument. Plus vous répétez une argumentation (à l’oral ou à l’écrit) et plus votre attitude se renforce (Tesser 1978) si rien ne vient contredire votre opinion. Mais il faut aussi faire attention aux méfaits potentiels du groupe. Janis (1972) a montré que lorsqu’un groupe est très cohésif peut prendre des décisions stupides. L’accord préalable des membres et leur désir de cohésion leur fait minimiser les éléments contraires à leur opinion. Il faut donc maintenir de la diversité pour éviter les phénomènes d’endogroupe et les visions négatives et stéréotypées des groupes rivaux. Pour éviter le phénomène de la pensée de groupe, il faut prévenir le groupe de son existence et de ses effets pervers. Il faut un animateur impartial qui laisse toutes les opinions s’exprimer. Il faut définir le rôle de l’avocat du diable. Il faut favoriser l’expression du doute. Il est préférable que plusieurs groupes indépendants traitent la question. Il vaut mieux intercaler sous-groupes et plénières pour éviter la mise en place initiale d’un avis unique. Il faut enfin valoriser les informations uniques plutôt que les informations partagées par trop de membres et repérer les préférences initiales. Si on en reste à celles-ci sans questionner leur robustesse on peut passer à côté de certains aspects. Il faut faire attention à l’influence informationnelle (on fait confiance à l’expert) et l’influence normative (on fait confiance à la personne parce qu’on l’apprécie). Le véritable consensus ne peut venir que d’opinions divergentes correctement traitées.