Canavière : quel gâchis !

Pour ceux qui ne sont pas d’Albi, Canavière, c’est  le lieu choisi pour l’autosuffisance alimentaire à Albi.  Sur le papier le projet est sympa. Dans la réalité, on en est encore au stade « vœu pieux« . Reporterre en avait fait une critique acerbe qui n’était pas dénuée de fondement. Il y a en effet un écart important entre l’affichage et la réalité. Trop peu de surfaces par rapport aux besoins de la ville. En fait la ville est déjà (théoriquement) autosuffisante grâce à l’agriculture locale. Mais les débouchés des agriculteurs sont plutôt en circuits longs. Pa ailleurs,  nous le verrons plus loin, les fruits et légumes, c’est une petite part de l’alimentation d’un français. C’est un début mais c’est insuffisant.

Sollicité par un maraîcher, je m’y suis rendu

Samedi dernier, je me suis rendu sur Canavière voir un maraîcher. Je prends le temps de l’écouter. « La mairie n’a pas tenu ses promesses et maintenant elle souhaite m’expulser ». Il me montre la lettre reçue de l’élu en charge du dossier. Je fais le tour de la parcelle. Il y a très peu de production à cette période de l’année. Beaucoup de semis directs à même le sol et 80 planches sont installées. 20 sont encore à faire et il y a encore pas mal de chardon. «Les chardons sont encore présents mais ils sont maîtrisés au regard des années précédentes » me dit le maraîcher.  Un champ à côté en agriculture conventionnelle empêche toute production bio.  Je ne vois pas comment il pourrait obtenir un label. J’essaie de comprendre la démarche. On voit que le sol a été revitalisé et que le discours sur la permaculture est maîtrisé. Pour la démarche, elle est vraiment permacole mais assez radicale. Je ne sais pas encore à ce stade de la conversation, si c’était la volonté des élus ou du maraîcher. Je connais un peu le domaine et il faudra  de nombreuses années pour sortir un revenu avec cette trajectoire technique qui consiste à réutiliser ses propres graines, à limiter l’arrosage et à créer une dynamique entre les plantes. Mais comme les élus ont accepté la trajectoire (voir les extraits du rapport cité), il est assez dégueulasse de vouloir le virer maintenant.

Déjà, on sait que cela peut marcher. Pascal Poot par exemple bien connu des spécialistes de ce type d’agriculture a mis 15 ans avant d’obtenir des résultats probants. La ferme de Bec Hellouin ne s’est pas fait en jour. Il y avait aussi des moyens financiers et de l’accompagnement. Je l’interroge. «Je n’ai eu de l’apport en matière organique fournie par la mairie que pendant un an. Depuis rien. Ils ont fait venir un sourcier pour chercher de l’eau et faire un puit artésien. 1200 € passés à la trappe car j’ai le tuyau en plastique dans le sol mais pas d’eau. Je n’ai pas d’électricité. Je pompe dans le Tarn en utilisant un groupe électrogène mais en passant par la route. J’ai demandé des arbres, mais ils ne voulaient pas d’agroforesterie.(je me demande bien pourquoi les forêts commestibles sont considérées comme à la pointe de l’agro)  Pour les serres idem. Je n’ai pas d’autorisation et je bricole. J’ai finalement eu des arbustes très petits en bordure de parcelle comme barrière naturelle (au vu de la taille des plants deux ans après ce n’est pas sa faute à lui) et j’ai acheté une cinquantaine de fruitiers… Mais il faut des années pour que ça pousse. » Je continue à poser des questions. «Je suis au RSA. Ne pouvant pas vendre sans bail agricole, je partage ma production avec mon entourage et quelques bienfaiteurs me font des dons contre des légumes. Je n’ai pas de statut car, ils m’avaient promis un bail au bout de deux ans qu’ils ne m’ont jamais accordé. Pourtant ils étaient d’accord avec le projet de permaculture et conscients disaient-ils que ça prendrait au minimum 5 ans pour retrouver une terre fertile et donc de la rentabilité économique des cultures. (je confirme, il y a un extrait d’un rapport de 2016 qui montre que l’élu était dans la logique décrite). Ma demande était claire, et il me semblait que c’était partagé avec la mairie, en 2018 je leur rappelais dans une lettre  “pour une vision long terme, voir moyen terme, qui permette d’ajuster un projet agricole au bénéfice de la biologie des sols et donc de la rentabilité économique des cultures, il faut un contrat agricole de plusieurs années qui donne accès aux dispositifs d’aide agricole, de mutualisation des outils nécessaires et ainsi de renforcer concrètement ma contribution au programme d’auto-suffisance alimentaire de la ville d’Albi”. Sans bail pas d’installation possible à la chambre d’agriculture, pas de possibilité de vendre mes produits. Aujourd’hui, je continue à améliorer le sol, avec des techniques que j’ai adapté n’ayant plus de matière organique livrées sur place. L’idée c’est de faire mieux avec moins, c’est ma situation tous les jours alors je l’applique. Je me suis adapté, j’ai mixé les pratiques permacoles et celles qui sont plus traditionnelles. J’ai investi dans un motoculteur pour retourner le sol à certains endroits et je mets de l’engrais vert pour étouffer le chiendent et fixer l’azote dans le sol. J’ai surtout l’impression que la mairie m’a utilisé pour faire de l’affichage, les articles disait “création de plusieurs emplois” et nous avons joué le jeu quand les photographes et journalistes sont venus. Une fois la mairie nous a demandé de tondre la culture en place pour que ce soit net pour les journalistes, nous nous sommes exécutés mais ils ne sont pas venus chez nous. La situation s’est dégradée depuis l’article dans Reporterre et depuis que certaines personnes ont compris que le projet n’était pas solide et peut-être pas si sincère. J’ai posé des questions et soulevé les contradictions dans les discours. On m’a tenu pour responsable. Je sais que je ne produis pas assez. Mais il faut du temps. Et j’ai investi de l’argent dans les arbres, les semences et le matériel et quatre an de ma vie pour refaire vivre les sols et rendre le projet viable. Aujourd’hui, on dénie ce travail. J’ai joué le jeu, ils m’ont demandé de passer un test de compétence en permaculture et je l’ai passé haut la main. On m’a proposé une formation en permaculture (formateur : Henri Bureau) porté par le Lycée agricole mais je ne voyais pas comment ils pouvaient m’aider à mieux connaître la permaculture”.  Je suis dépité. Je vois mal effectivement la DDT donner une autorisation d’exploitation des terres ou un service valider un projet d’installation. C’est trop risqué et précaire comme modèle. Je comprends en plus la position de la Chambre et je ne comprends pas comment la mairie a pu laisser un tel cercle vicieux se mettre en place. Les responsables, s’ils avaient un minimum de connaissances agricoles auraient dû savoir qu’il fallait aider (matériellement et humainement) et laisser installer des serres. Quand on a de faibles moyens, on ne peut pas mécaniser et investir dans du matériel. Tout est beaucoup plus long. Mais avoir accepter cette installation, c’était la garantie que la personne serait un moment à vivre de son RSA. Je pense aussi qu’il y a eu des incompréhensions car le lycée agricole est super. Une médiation et un dialogue plus poussé aurait probablement permis de lever les obstacles. Je ne sais à qui imputer les torts. Je n’ai pas la version des deux parties. Je trouve la situation incroyable. Mettre un maraîcher installé par la mairie dans l’obligation de faire du « black » pour écouler sa production. Cela me semble totalement déraisonnable. Je dis cela car je connais aussi des rapports rédigés bien en amont de ce courrier pour mettre le maraîcher dehors. L’élu avait été destinataire du rapport. Il avait même validé ses propos et il ne peut donc pas dire que le maraîcher ment. Il ne fait qu’affirmer ce que l’élu disait dans le rapport.

Je voulais défendre Canavière. En l’état ce n’est plus possible

Jusqu’à présent j’essayais de rester positif sur le projet. En effet même si je ne suis impliqué qu’indirectement en tant que membre du comité de pilotage, je connais bien le projet. Pour diverses raisons. Déjà parce que je connais tous les acteurs. Entre autre, parce qu’une amie parisienne avait fait un rapport sur l’agriculture urbaine en 2016(Exbrayat) et était venu auditer le projet. D’ailleurs si je n’avais pas le rapport cela serait parole contre parole et j’aurais du mal à montrer que la mairie n’a pas tenu ses engagements.  l’experte avait d’ailleurs alerté sur le projet et son montage. On avait longuement discuté. Elle ne comprenait pas pourquoi les spécialistes étaient tenus à l’écart. Elle m’avait demandé de l’éclairer sur les jeux de pouvoir qui la désolaient. Le problème est connu de longue date et je pensais sincèrement que le bon sens prévaudrait. Un de mes partenaires sur la licence que je copilote avait produit un projet très complet qui était resté lettre morte. La mairie sur la base de leur production avait même essayé d’obtenir le financement de la Fondation de France qu’ils avaient préconisé. Pas très « fair play » surtout après les avoir écarté de recycler leur travail. Je voyais les jeux d’acteur et de pouvoir entre les différents services et différents acteurs associatifs. Je voyais les volontés de tirer la couverture à soi. Des conseillers compétents mais sans réel pouvoir politique et sans moyens. Un comité de pilotage arraché au forceps mais qui se réunit à des horaires qui ne me permettent de m’y rendre que très rarement. Je pensais que le battage médiatique (avec médias nationaux télévisuels à la clef) permettrait de générer un effet de cliquet qui obligerait les élus à passer des paroles aux actes. En fait, cela n’est pas le cas. Je m’étais tenu à l’écart pour ne pas interférer par respect pour une démarche que je trouvais courageuses. Je sais bien que d’autres aspects avancent. La chambre d’agriculture fait un travail de filière pertinent pour rendre l’approvisionnement plus local. Quelques actions sporadiques essaient de faire vivre le projet. Mais bien trop peu par rapport à l’ambition affichée. Et surtout je suis triste qu’on puisse traiter de la sorte les gens et les maraîchers installés.

Retour sur le rapport de 2016.

En regardant le projet on mesure tout le décalage entre l’intention et l’action. Voici ce que déclarait l’élu dans le rapport cité précédemment. « Recrutement des agriculteurs urbains sous conditions de profil : la Mairie veut prioriser les chômeurs longue durée et ceux touchant le RSA – par exemple mais avec un minimum d’expérience de la terre. Sur les trois que nous avons interviewés simultanément, certains n’ont que des rudiments très faibles de la culture de la terre. Ils ne sont pas encore réellement accompagnés par une formation professionnelle. Seul Henri fait son possible pour leur apprendre les fondamentaux de la permaculture. Au vu de notre visite sur les terrains, cela ne suffit apparemment pas … Nous ne sommes loin du Jardin d’Eden … Chaque candidat nous fait une demande d’attribution d’une parcelle en présentant leur candidature et leur projet. Ces terres appartiennent à la commune et on les loue avec des modalités sociales : les 2 premières années, les maraîchers ne paieront rien. Au bout de 2 ans, si leur projet est viable et qu’ils réussissent à vivre de leur production en vendant des paniers au niveau local, ils restent et on fait un bail agricole, pour 80 euros par an et hectare par exemple. – Création d’un cahier des charges « bio » : Jean-Michel a écrit un cahier des charges « biologique » que chaque nouveau maraîcher recruté se doit de respecter. Ce CDC impose, entre autres, de cultiver l’hectare alloué sous un mode permaculturel, sans intrant chimique et sur un mode de vente directe de paniers : soit sur le marché d’Albi ou à l’épicerie solidaire.  Sensibilisation et formation à la permaculture : en accord avec la Mairie, le coordinateur des IC, Henri, suit et sensibilise les nouvelles recrues à la permaculture. Il précise cependant qu’il n’a pas le diplôme adéquat pour donner des formations reconnues mais que cela « ne l’empêche pas de donner de la formation informelle aux maraîchers urbains ».    (Exabrayat 2016 p 52). Voilà ce que pontait le rapport de 2016. Le maraîcher rencontré sait où il va. C’est le deuxième projet permacole de Tamer, il a déjà installé avant une foret comestible et de l’élevage sur la même surface pendant 5 ans, cela lui permettait à la fois de se nourrir et d’en dégager un revenu. Il sait donc où il va. Mais à condition de l’aider. Pas quand on lui met des battons dans les roues.
En relisant le rapport, je mesure tout le décalage et l’amateurisme entre les déclarations et les intentions. Comment vendre quand on ne peut pas s’installer ? Pourquoi ne pas réellement dialoguer et aider les gens quand on les a mis dans la galère pour satisfaire sa soif de communication.

La mairie conçoit l’autonomie uniquement sous le prisme des fruits et légumes. Ok mais c’est moins 20 % de la ration alimentaire(source ANSES 2017). On consomme d’abord des laitages, puis des céréales et des légumineuses, des produits carnés et enfin des légumes. C’est le petit bout de la lorgnette. En plus concrètement la production annoncée, c’est une goutte d’eau pour l’Albigeois. Et si on prend l’agriculture Tarnaise l’autonomie est là puisque le département produit plus qu’il ne consomme. On a donc une vision très idéologique dans la présentation du projet. Je relie le rapport qui pointait les lacunes.  «Albi, malgré toute la bonne volonté de l’adjoint à l’AU est un modèle top-down qui a du mal à décoller compte tenu de l’absence de soutien de la Mairie et d’un manque cruel de coordination de projet. La Mairie ne donne pas un budget suffisant au projet, l’élu en charge est plutôt isolé et financièrement démuni, parallèlement les projets ne sont pas coordonnés […]  Il y a aujourd’hui, une énorme dichotomie entre le discours et la réalité, un « gap » qui commence à être pointé du doigt par la presse spécialisée. À ce jour, l’agriculture urbaine, à Albi, ne constitue pas un enjeu essentiel de politique publique pour la Mairie » (Exabrayat 2016 p61).

C’est un immense gâchis

Ce gâchis est d’autant plus triste que le lycée agricole, l’université et la Chambre d’Agriculture possèdent toutes les compétences nécessaires pour que ce projet prenne son envol. Il manque juste de la volonté politique et des moyens contrairement à ce qui est affirmé. Il faut coordonner et enrôler des acteurs concernés sans les discriminer en fonction de leur étiquette politique. Pour l’instant un beau raté en somme qui pourtant peut être corrigé. Mais ma conviction est qu’humainement, on n’a pas le droit de mettre une personne dans une telle situation. On n’a pas le droit de l’abandonner comme cela. Et qu’à minima on indemnise ou on assume sa responsabilité.  L’agriculture urbaine est un vrai enjeu. Elle mérite mieux que ce jeu de dupe. Et de citer le rapport pour conclure « L’agriculture urbaine est un moyen de résilience pour anticiper un choc, celui de l’effondrement de nos modes de production et de transports alimentaires totalement dépendants du pétrole. Il y donc urgence à développer des modes de circuits courts, l’agriculture urbaine et péri-urbaine répond à cette problématique en permettant à sa population de s’affranchir progressivement des énergies fossiles et des pesticides, eux-mêmes à base de pétrole.C’est donc une formidable opportunité à prendre pour les collectivités et les citoyens. Les exemples qui fleurissent chez nous et en Belgique doivent nous servir d’enseignement pour les copier, les améliorer et développer des programmes d’agriculture urbaine un peu partout, dans nos villes, grandes et petites. Comme disait un des chercheurs, non dépourvu d’humour, interrogé pendant l’enquête : « L’AU est un moyen résilient de subsistance alimentaire. Quand on n’aura plus de pétrole et donc plus rien à bouffer, il sera trop tard pour pleurer. C’est s’y mettre maintenant ou s’entretuer demain ! » (Exabrayat 2016 p105).