Comment se retrouver piégé, colère et complicité au moment des limites

Un interview complet avec David Korowicz par Alexander Ac


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Traduction Loïc STEFFAN
Ceci est document de travail (draft) que je mets à disposition pour les francophones. Il ne s’agit pas d’une traduction de professionnel.

 

 

 


 

Interview initialement enregistré à Brno, République Tchèque en janvier 2014 pendant la tournée de cours de David en Slovaquie et République Tchèque. Il a ensuite été réédité les mois suivants. Cet interview comprend deux parties : Comment être piégé et colère et implication au moment des limites.

David Korowicz est un physicien et un écologiste des systèmes humains qui travaille sur la stabilité et l’effondrement des systèmes socio-économiques complexes. Il est particulièrement attentif à la gestion des risques à grande échelle et à la résilience. Il travaille comme consultant indépendant à David Korowicz Human Systems Consulting. Son site internet est www.davidkorowicz.com.

 Alexander Ac travaille comme chercheur en post-doctorat au Global Change Research Centre (Académie des Sciences de la République Tchèque) dans le domaine de la physiologie des plantes et sur le nettoyage appliqué par les plantes. Ses intérets de  recherche portent aussi sur les impacts du changement climatique et les systèmes socio-économiques naturels, sur le pic pétrolier et les systèmes énergétiques en général et sur l’économie de la raréfaction des ressources. L’auteur administre aussi le blog « Limits to Growth » et publie régulièrement dans des journaux.

 

Partie I: Comment être piégé

 

AA: Comment avez-vous commencé à vous intéresser à l’adaptation des systèmes complexes et pourquoi?

DK: J’ai toujours eu un intérêt pour les relations dynamiques qui unissent les choses, en étant attiré par la pensée post structuraliste et métaphysique de la pensée bouddhiste, par exemple. Ces perspectives mettent l’accent à la fois sur la conditionnalité et l’interdépendance de l’univers, de la vie, des mots et concepts. Mon parcours universitaire se fit en physique et on n’a jamais eu cours sur les systèmes complexes. J’ai accompli un travail universitaire sur l’origine de l’entropie et du temps dans l’univers, ce qui amène à la naissance de la complexité.

Mais un basculement dans ma vie m’a conduit à faire ce que je fais maintenant. Il survint de manière toute à fait inattendue. Je vivais en Asie Centrale et j’avais l’habitude de passer du temps dans un petit village du Kirghizistan, pour aller voir un ami ethnobiologiste qui faisait des recherches sur les pommes et les jardins familiaux. Cette région est le berceau des pommes et il y a encore énormément de biodiversité. Le village voisin comptait 49 variétés. Les jardins familiaux fournissent de la nourriture et donnent un revenu complémentaire qui peut représenter un tiers des liquidités disponibles, soit quelques centaines de dollars.

Pour rompre avec cette longue histoire, un projet de développement fut proposé pour augmenter l’efficacité de ces jardins et par la même assurer une augmentation des revenus des familles. La vie peut être dure et au minimum cela assurerait un petit matelas pécunier en cas de crise, ou pourrait permettre l’installation de sanitaires. Cela fut promis en l’intégrant dans un discours global qui parlait d’augmentation des richesses, d’opportunités, de droits sociaux et politiques. Il justifiait aussi le vision sociale et économique progressiste du monde des agences de développement occidentales qui étaient vertueuses, aventureuses, et bien sûr à droite.

La proposition était de fournir de nouvelles variétés d’arbres –ceux qui produisent des pommes sucrées et parfaites qui peuvent être vendues pour un bon prix, plutôt que l’assortiment hétéroclite des pommes existantes qui étaient trop amères, trop sujettes aux maladies, trop laides et ainsi de suite. En outre, ils fourniraient les pesticides, des engrais et de meilleures variétés de graines pour augmenter la production domestique et les revenus. Cela pourrait être pris en charge par des microcrédits, bien qu’ils ne soient pas si «micro» en termes relatifs.

C’était une de ces situations où vous pensez que tout cela va de soi, car c’est vu hors des contextes familiers. J’avais lu des choses sur le changement climatique et le pic pétrolier, et je me demandais quelles seraient les implications de leurs propositions.

Je pensais que les villages n’iraient pas loin avec ça. La productivité des sols augmenterait et la dette serait remboursée. Les besoins seraient satisfaits et avec le temps les désirs deviendraient des besoins. Des niveaux de dépendance nouveaux et plus complexes apparaîtraient à mesure que les revenus supplémentaires faciliteraient les emprunts souhaités. Le coût de cette intégration (une voiture, des études universitaires) augmenterait. Ils seraient toujours pauvres au regard des standards européens, mais aussi plus vulnérables aux augmentations de coût des intrants nécessaires.

Ensuite, si le prix des carburants fossiles augmentaient significativement les villageois seraient contraints de réduire les intrants agricoles. La production chuterait significativement et le fardeau de la dette par rapport au revenu augmenterait. Si en plus, dans ce contexte le réchauffement climatique commençait à affecter leur pommiers « parfait », ils n’auraient rien pour revenir en arrière, car la biodiversité inefficace mais résiliente de leurs graines, de leurs sols et de pommiers bigarrés auraient été perdus.

Si la croissance était une douce et positive progression, le retournement pourrait être une défaillance relativement abrupte multi-systèmes qui laisserait les gens dans une situation pire qu’avant le début du projet. En outre, une fois qu’on a entrepris un tel chemin, il est plus difficile de faire le chemin inverse. Cela me donna une démonstration claire de la façon dont on se fait piéger. Mais il s’agissait du récit pour une société relativement simple. Qu’est-ce que cela pouvait signifier pour la société beaucoup plus complexe de laquelle je venais et à quel point étions nous pris au piège ? L’augmentation de la connectivité et l’intégration mondiale a été dans une grande mesure très bonne pour le bien-être humain et la réduction des risques, mais il semblait que la balance des risques se retournait. Avec beaucoup de curiosité et une certaine inquiétude, je repartis en Irlande avec l’intention de m’engager dans ce genre de réflexion, quoi qu’en soit le résultat !

A cette époque, on me présenta enfin Richard Douthwaite et Feasta. Richard avait cette merveilleuse capacité d’encouragement d’une intelligence puissante et critique. Crucialement pour moi, il s’intéressait à l’argent et au crédit, comment ils naissaient et comment ils façonnaient le monde. Donc, je commençais à essayer de comprendre l’économie globalisée, non comme un économiste le ferait, mais plutôt comme un naturaliste, mais dans un sens j’étais un observateur avec des œillères et avec des biais de perception. Le domaine des systèmes complexe adaptatif avait déjà développé des concepts qui convenaient à mes inclinaisons naturelles et des outils d’analyse qui pouvaient être appliqués à l’économie mondialisée. Il me parut évident que si on voulait comprendre l’évolution, la stabilité et l’effondrement des sociétés complexes, l’économie universitaire disposait d’un pouvoir explicatif, et que malheureusement elle était structurellement aveugle face à des transformations simples à mesure de l’augmentation de la complexité et des transitions catastrophiques.

Heureusement le projet du village n’obtint jamais de feu vert.

 

AA: si vous regardez aujourd’hui les médias dominants et les discours politiques, tout le monde veut relancer la croissance. Est-ce une bonne idée ?

DK: C’est une bonne idée en quelque sorte. Cela fait partie de notre vision du monde, des méthodologies, de nos structures institutionnelles. Notre société est prévu pour la croissance. La croissance n’est pas seulement un indicateur, elle représente et parfois cache des dépendances structurelles complexes. Si nous n’en avons pas, il y a de fortes répercussions sociales économiques et politiques. Si nous voulons conserver tout ce que nous prenons comme acquis, oui, bien sûr, nous devons redémarrer la croissance.

Le problème est que poursuivre la croissance économique n’est pas nécessairement une option pour nous. Je pense que nous sommes aux limites de la croissance (je ne discute pas si c’est fait ou si il reste quelques années). Notre système financier et monétaire, dont des liens de confiance et d’attente animent le monde dans un véritable acte de foi, est de plus en plus instable car il a promit beaucoup plus que ce qu’il pouvait fournir. Le flux de pétrole (et donc de nourriture) qui maintien l’organisation socio-économique global est à un pic, et de plus en plus, les effets du changement climatique et des pénuries d’eau nous rattrapent. De plus, notre dépendance à l’égard d’une économie mondialisée complexe, sa structure et sa dynamique, nous rendent extrêmement vulnérables à de telles contraintes.

Nous sommes probablement en train d’entrer dans une spirale déflationniste chaotique qui va déstabiliser le monde. Un cycle de baisse de confiance, d’abondance de liquidités et de crédit qui conduit à un chômage en hausse, des salaires et des recettes des gouvernements en baisse, des hausses de mauvaises créances, des faillites bancaires et une augmentation du coût réel de la dette. Il y aura aussi conjointement un risque grandissant de chocs catastrophiques monétaires et financiers avec des conséquences sévères de toutes sortes. Une bulle mondiale de crédit s’est gonflée au moment du pic pétrolier, et une spirale déflationniste amènera un krach. Cela dit, nous pourrions ne pas voir au départ les contraintes de pétroles (le prix de l’énergie risque de baisser alors qu’elle est moins disponible) car une dépression et même un choc financier potentiellement catastrophique auront brisé la capacité de l’économie mondiale à utiliser l’énergie et les ressources. Et si cela arrive, il n’y aura pas de retour en arrière, nous serons entrée dans une nouvelle phase de localisation forcée et nous aurions des défis immenses à relever.

Il est assez facile d’indiquer les problèmes liés avec notre dépendance au pétrole ou à l’égard de notre système monétaire, ou à l’absence de redondance dans les infrastructures essentielles. Il y a beaucoup d’ardents promoteurs par exemple de la monnaie non basée sur la dette et dépensée en circulation. Pour utiliser le « quantitative easing » (assouplissement monétaire) pour réduire la dette privée. Ou un plan de « Chicago » pour venir à notre secours. Mais pour croire à ces idées comme solution, il faut avoir une mauvaise représentation de la situation car c’est au mieux un management du risque. Ce dont on entend beaucoup parler, ceux sont les risques implicites et les incertitudes pour de telle propositions. Cela ne veut pas dire qu’elles ne devraient pas faire partie de la gestion dynamique des risques mais dans le contexte actuel, elles ne peuvent pas écarter tout risque ou avoir un résultat certain. Un aspect, juste à titre d’exemple. Les mesures préventives peuvent provoquer un changement de comportement en réponse à ces actions  –pour prévenir le dit risque– qui finirait par provoquer la crise.

De plus, pour prendre de telles décision de gestion des risques, il est nécessaire de comprendre ou de deviner intuitivement la nature du risque– ce qui pourrait être perdu et à quelle vitesse cela pourrait arriver si les choses tournent mal– et très peu de membres, des politiciens ou des décideurs publics le comprennent réellement. Pour le dire plus directement, si vous voulez faire une cure radicale sur le système monétaire à quoi ressemble votre planification de la sécurité alimentaire ? Cela est particulièrement vrai pour tous ceux qui essaient de faire face à un risque systémique à grande échelle –quoique l’on fasse, il y a plus de risques d’effets négatifs que de bénéfices potentiels et cela rend les responsables monétaires prudents. Il y a une grande différence entre donner son avis en n’étant pas en responsabilité et le risque de gérer un processus intrinsèquement incertain et dangereux ou l’on pourrait être tenu pour responsable d’une catastrophe. Même si nous pouvions « résoudre » nos problèmes financiers et monétaires, nous marcherions directement vers des crises  pétrolières et des crises alimentaires qui sont systématiquement déstabilisatrices de manière systémiques.

Notre situation et la tragédie des tentatives de changement est la suivante : étant donné le temps disponible et les contraintes de ressources,et la réalité du fait que nous sommes dépendants d’un système réseau délocalisé sans contrôle central, comment pouvons-nous changer le système tout en veillant à ne pas détruire ses fonctions essentielles. La diminution de la résilience et la complexité croissante, l’interdépendance, le couplage important et la vitesse des processus dont nous dépendons rendent cela fondamentalement incertain, complexe,  décourageant ce cycle de défis dangereux. Donc nous creusons parce que nous ne pouvons pas arrêter de creuser. Nous réclamons de la croissance, nous achetons du temps, nous avançons et en cela nous devenons plus vulnérables à chaque pas.

Donc, l’idée que la croissance est une bonne ou une mauvaise idée est un peu à côté de la plaque –on ne va pas continuer à en avoir bien longtemps encore, et il n’y a pas grand-chose que nous puissions faire à ce sujet.

 

AA: Vous ne croyez pas à une sorte d’état stationnaire d’une économie sans croissance ?

L’état stationnaire au niveau où nous sommes rendu  est, selon de nombreux indicateurs écologiques, en dépassement par rapport aux  capacités de la planète. Donc s’il y avait une économie stationnaire soutenable, elle serait en terme de consommation de ressources bien en dessous de ce que nous utilisons aujourd’hui. Très très en dessous. Et comment pouvons nous y arriver?

Pour toute sorte de raisons, la possibilité d’une décroissance contrôlée et orchestrée vers un état stationnaire viable est probablement extrêmement trompeur. Je voudrais juste signaler un point. Un tel point de vue entretien la confusion sur le fait que parce que l’économie mondialisée est une construction humaine, elle est par la même créée, compréhensible et contrôlable –les être humains peuvent le faire localement, mais la structure qui émerge de nombreux territoires locaux qui interagissent sur de nombreuses échelles au fil du temps ne l’est pas. Cela reflète le genre d’arguments rendus célèbre par William Paley dans sa théologie naturelle qui disait que l’existence d’organisme vivant prouve l’existence d’un dieu créateur/concepteur par analogie avec la façon dont une montre nécessite de croire en l’existence d’un horloger intelligent. Un demi siècle plus tard, Darwin et ses disciples ont montré que la sélection naturelle pourrait parvenir à une création émergente sans « contrôleur » –l’horloger aveugle selon les mots de Dawkins. Mais en tant que croyant dans le progrès de l’homme, nous semblons avoir pris le rôle que Paley attribuait à dieu – comme nous sommes les créateurs de l’économie complexe globalisée, il est donc concevable de la contrôler et qu’elle est potentiellement perfectible si seulement les bonnes personnes et les bonnes idées sont au poste de pilotage. Nous trouvons toute sorte de confusions qui découlent de cette idée fausse,  lorsqu’on tente d’appréhender linguistiquement  l’économie, en confondant émergence complexe interdépendante et  création intentionnelle (en économie c’est le capitalisme/le néolibéralisme/le socialisme dont nous avons besoin pour changer l’architecture monétaire).   Donc même sans entrer dans les détails au sujet de l’irréversibilité des systèmes complexes, ou de la myriade de problèmes liés à une décroissance contrôlable, la puissance de la croyance en cette possibilité, relève pour moi, d’une hybris (démesure) digne du Titanic.

 

Cela dit, un effondrement ou une décroissance désordonnée nous amènerait vers une nouvelle ère où nous nous retrouverions avec une capacité réduite pour accéder aux ressources et éliminer les déchets. Mais nous aurions encore à répondre à d’autres problèmes et cela nécessiterait cependant d’utiliser toutes les ressources et l’énergie que nous aurions à portée de main. Par exemple, les émissions de gaz à effet de serre d’origine anthropique diminueraient probablement drastiquement –une bonne chose– mais les effets néfastes du changement climatique continueraient à se faire sentir en raison des inerties dans le système climatique alors que notre capacité d’adaptation par rapport à aujourd’hui serait brisée. Ainsi le coût réel du changement climatique dépasserait notre capacité à payer  et plus rapidement que ce que les modèles économico-climatiques le suggèrent. Le danger ici est que, dans un état de pauvreté et d’ancrage territorial forcé nos tentatives pour répondre à un tel stress et aux crises ne consiste pas à saper les bases de nos environnements locaux et leur capacité à nous soutenir à terme. Ainsi toute forme d’économie à l’état stationnaire dans un avenir prévisible est problématique en soi.

Mais dans un temps,  où certains d’entre nous pourraient être en mesure de maintenir une économie simple, l’état-stationnaire par  acculturation à cette nouvelle réalité pourrait exister, au moins pendant un certain temps. Peut-être un monde où les poètes parcimonieux et les conteurs en guenilles  sont aimés et admirés,  tandis qu’une affliction pour des objets rendrait plaintif et sans perspective. Je suis relativement sûr qu’il aura des gens qui vivront de bonnes vies utiles, écologiquement responsables longtemps dans le futur.

AA: Si c’est le cas, ne pouvons-nous pas basculer vers la croissance verte ?

DK: Tout d’abord, s’il y a de la croissance, nous consommerons toujours de l’énergie et des ressources. D’autre part, la trajectoire sera toujours dépendante de ces contraintes. Troisièmement la technologie ne peut pas inventer de l’énergie, mais uniquement aider à trouver traiter et distribuer ce qui est déjà là. Et ce qui reste potentiellement, renouvelable ou pas est moins adapté à nos économies, car cette énergie est de moins bonne qualité et avec un retour sur énergie moins favorable que celle qu’elle remplace. Donc il n’y a pas de solution magique pour ce problème central. Quoi qu’il en soit, à quoi pensons nous quand nous parlons de « basculer »? Cela suggère un niveau de compréhension et de contrôle de l’économie mondiale que nous n’avons pas. Cela implique une transformation rapide qui dans la réalité est intrinsèquement limitée (les révolutions de l’énergie ont eu lieu sur plusieurs décennies), et dépend de la cohérence et de l’intégrité continue de l’économie mondialisée et de ce qui constitue ses systèmes essentiels.

En outre la résolution de problèmes dans une société complexe souffre de la baisse des rendements marginaux. Les nouvelles solutions demandent de plus en plus d’efforts scientifiques, économiques et sociaux et des économies d’échelles et plus de ressources. Elles ne vivent pas dans le vide. Elles vivent dans le système interdépendant de l’économie mondialisée. Par exemple la plus petite particule, l’électron, a été découverte dans les années 1890 par Thompson dans son laboratoire; aujourd’hui il a fallu 10 000 doctorats, un accélérateur de particule de 27 km et la cohérence de notre économie mondialisée pour révéler la nouvelle particule, le boson de Higgs. La découverte de la pénicilline dans les années 1920, ne coûta presque rien en valeur actualisée mais eu un impact révolutionnaire; maintenant nous dépensons des centaines de millions pour faire des progrès mineurs pour des médicaments marginaux. La résolution du problème de la croissance par la croissance verte requiert toujours le coût croissant de la résolution de problèmes complexes –et cela demande plus de flux d’énergie et de ressources qui sont eux-même dépendants de la baisse des rendements marginaux (énergie produite par rapport à l’énergie investie EROI).

En fin de compte, nous manquons de temps. Les implications de ce franchissement de la croissance, sont que les systèmes complexes mondialisés (finance, monnaie, comportements sociaux qui s’adaptent, chaines logistiques, infrastructures critiques, usines, accès aux ressources et traitement de celles-ci, R&d, etc.) qui sont nécessaires à inventer et à déployer à large échelle pour cette croissance verte  connaissent des stress et ils perdent leur résilience et finalement se brisent.  Dans ce cas là, notre aspiration à une croissance verte sera hors d’atteinte au fur et mesure que le système socio-économique s’effondrera sous nos pieds.

AA: Mais il est préférable d’avoir une croissance verte que de continuer dans le Business as usual ?

DK: Si nous l’avions bien fait, certains investissements de la croissance verte nous aurait aidés à être résilients dans le futur mais de manière marginale. La plupart du temps cependant, la croissance verte est conçue et adaptée à l’hypothèse d’une croissance économique soutenue et la persistance de l’intégration du système dans l’économie mondiale.

Par exemple, si nous mettons l’énergie renouvelable dans un réseau intelligent à grande échelle et que nous sommes touchés par une crise parce que notre système financier déraille, par exemple, et que la demande chute de 80 %, alors une grande partie de cet approvisionnement renouvelable variable finira par être totalement inutile. L’une des raisons est qu’une production de charge minimale est nécessaire aux réseaux intelligents pour absorber cette alimentation renouvelable, et une autre vient du fait que le réseau perd des économies d’échelle. Dans un tel scénario cela peut devenir un investissement gaspillé pour rien. Il serait plus résilient si nous mettions l’énergie produite dans des réseaux localisés conçus pour s’adapter à la variabilité, qui sont résistants aux ruptures d’approvisionnement et utiles pour protéger les installations critiques pour le bien être comme l’assainissement. Un tel investissement n’est pas logique économiquement à l’heure actuelle, il est totalement inefficace.

A nouveau, je pense que nous manquons de temps pour n’importe quel type de croissance.

 

AA: De toute évidence nos sociétés sont « accro » à la croissance. Quelle est votre explication de cet état de fait ?

DK: Eh bien, il y a de nombreux points de vue.

Nous sommes bloqués dans des processus et comportement socio-économiques de plus en plus complexes et dépendants à la croissance. Ces processus permettent que nous soyons nourris, que les lumières puissent s’allumer, que notre eau soit potable et que les hôpitaux soient ouverts. Ils assurent que les biens et les services circulent dans le monde donnant ainsi de l’emploi et du pouvoir d’achat. Alors que la situation économique mondiale se détériore et que notre capacité d’adaptation (épargne, crédit pour l’investissement, recettes fiscales du gouvernement, stocks) deviennent tendues, nous (les individus, les entreprises, et les pays) devons rester dans le jeu pour éviter de tout perdre et de souffrir beaucoup plus des conséquences immédiates. Nous avons besoin de croissance pour maintenir les systèmes dont dépend notre travail et pour éviter d’énormes risques socio-économiques. A nouveau, nous creusons car nous ne pouvons pas sortir du trou, en dégradant la résilience du système.

Avec tout cela, les sous-système critiques comme notre système financier et monétaire sont dépendants à la croissance. D’autres systèmes critiques et réseaux sont à échelle adaptative, par exemple les infrastructures et les revenus discrétionnaires. Tous sont instables et en contraction économique sévère ou prolongée. Il ne faut pas oublier que les mythes et les histoires, les visions du monde, les réseaux de confiance attendent tous de la croissance.

À un niveau plus large l’économie mondialisée est un système qui s’auto-entretien, et par la même crée les conditions de sa propre expansion. C’est un processus auto-organisé, sans créateur ou contrôle central, comme les écosystèmes qui évoluent, c’est la main invisible d’Adam Smith. Par exemple, les niveaux croissant de complexité encouragent à persister  (économiquement et socialement) dans la complexité  avec un environnement dynamique qui comprend une compétition pour les ressources, les positions sociales, l’efficacité, la bande passante, etc. Un système d’une plus grande complexité relative dans sa dimension et sa résilience signifie en moyenne une plus grande probabilité de persistance  mais cela nécessite plus d’énergie et plus de ressources en moyenne. Autrement dit, il y a un avantage à maximiser la puissance (énergie par unité de temps). C’est la connexion établie par Howard Odum entre l’économie et l’écologie sur ces trente dernières années. Sur le plan sociétal, cela fait partie de la façon dont la plupart d’entre nous finissent par se joindre d’une manière ou d’une autre à la complexité / croissance (utiliser internet, les supermarchés, les avions). La croissance est en ce sens naturelle – à condition que vous puissiez accéder à des flux d’énergie.

Laissez moi donner un exemple. Imaginez quelques amis qui s’organisent pour imaginer une organisation basée sur la décroissance, la première chose qu’ils devraient faire cela serait de monter un site internet, une page Facebook, organiser des conférences publiques, se renseigner chez un spécialiste de la sonorisation pour des haut-parleurs, organiser une collecte de fonds, c’est à dire payer le coût de la complexité et des ressources nécessaires pour coopérer avec  un système socioéconomique complexe où il seront obligés de rivaliser pour attirer l’attention afin de diffuser leur message. En faisant cela, ils ajoutent de la complexité au système d’ensemble. Ils incrémentent la complexité du système, soutenant ainsi leur investissement continu dans la complexité. Ils ajoutent une autre source de déchets dans l’écosystème global. Une échelle croissante entrainerait une augmentation croissante des coûts fixes d’exploitation et la nécessité d’un financement plus important. Ils façonneraient leur petite échelle mais le monde les intégrerait sous la forme des nouvelles dépendances et interdépendances qu’ils requièrent.

Mais l’origine de la croissance est plus fondamentale que nos déboires économiques. La vie évolue mais les grands traits persistent et se reproduisent dans la lutte à long terme pour les ressources. Si vous regardez n’importe quelle espèce, elle se développe jusqu’à atteindre les limites environnementales  posées par les autres espèces et l’environnement. Si vous regardez un bâtiment abandonné depuis des années vous trouverez de l’herbe, des arbres qui sortent des fissures, et des espèces rampantes dans tous les recoins disponibles. Ou alors une espèce invasive peut détruire un écosystème si elle n’a pas de prédateur naturel. Ce qui se passe dans un écosystème quasi-stable est que les espèces se côtoient et interagissent avec l’environnement et les autres espèces dans un sorte de régulation mutuelle qu’on observe dans les modèles « prédateurs-proies » même les plus simples.

Nous évoluons dans la rareté et des environnements difficiles et nos instincts naturels (comme le désir/aversion, statuts, endogroupe/exogroupe, réponse aux stimuli, adaptation et actualisation) sont adaptés à cela (Voir Nate Hagens dans Fleeing Vesuvius [livre non traduit en français, NDT) pour une bonne introduction). Mais il y a quelques 80 000 à 50 000 ans années, nous avons développé la capacité à utiliser le langage qui a permis la pensée abstraite, l’apprentissage  et le partage, les organisations sociales sophistiqués et la capacité rapide d’adaptation par rapport aux changements génétiques. Notre capacité à résoudre les problèmes d’environnement ou de contrainte des espèces a été fortement amplifiée, mais cette habileté est encore au service de nos instincts archaïques.  Donc nous dépassons les contraintes et nous sommes plus nombreux à survivre et à vivre mieux. Mais la première limitation de contrainte, celle de l’énergie primaire, a été surmonté quand nous avons appris comment exploiter les énergies fossiles. Cela a initié deux cents ans d’un cycle auto-entretenu de désirs et d’innovation, de croissance supplémentaire, de stratification sociale, d’émergence de la complexité  de sorte que même les avertissements de Malthus ont rejoint les souvenirs et l’histoire et la poubelle des prédictions erronées.

Nous désirons et  voulons atteindre de nouveaux niveaux de confort et de sécurité, nous nous y habituons et nous ressentons l’angoisse de la situation ou prenons conscience  d’un nouveau manque qui nous mine puis recommençons un nouveau cycle de désir. Épicure disait il y a 2400 ans:

« Tant que l’objet de notre désir est inatteignable il nous semble plus précieux que tout. Dès qu’il est notre, nous désirons autre chose. Donc une soif inextinguible pour la vie nous maintient prisonnier. »

Une telle observation est contenue dans les Quatre Nobles Vérités du Bouddhisme qui furent rédigées à la même époque en Asie. Cela fait partie de notre patrimoine évolutif,  nos instincts aiguisés par le risque et la rareté existaient bien avant que la publicité n’apprenne à l’exploiter. Cependant, une fois que nous nous sommes habitués à quelque chose, sa perte est difficile. L’accès à une douche chaude, à un lave-linge, la chirurgie, même la télévision sont maintenant considérés  comme une nécessité dans les pays développés. Nous remarquons à peine ce que nous prenons pour acquis. Presque tous les écologistes que je connais (mea culpa) qui parlent de la nécessité de moins consommer, vivent en réalité des vies plus ou moins comparables à celle de leurs voisins non-écologistes.

Il y a une perspective encore plus large. La croissance des organisations complexes (étoile, planète, vie, organisation humaine) peut spontanément émerger dans des lieux où les niveaux d’énergie sont contraints. L’existence de tels gradients d’énergie, en réalité le temps qui s’écoule, dépendent des conditions thermodynamiques au début de l’univers. L’augmentation de la complexité est la manière optimale qu’utilise l’univers pour tendre vers l’équilibre. De ce point de vue, l’émergence de notre civilisation mondiale complexe et son effondrement inévitable est juste une manifestation des lois de la physique qui nous concerne.

Le point important est que la croissance et l’effondrement est un processus beaucoup plus fondamental que le capitalisme, le système monétaire basé sur la dette ou le changement technologique, comme nous le montre l’histoire des civilisations disparues ou les extinctions d’espèces. C’est une partie de nous et une part de la vie.

Les gens peuvent être mal à l’aise avec de telles explications sur l’évolution. Il ne s’agit pas de mécanismes déterministes mais statistiques. Les petits groupes et les individus seront toujours plus surprenant que les grands groupes. Après tout, se balader dans un couvent de célibataires ne signifie pas que le sexe est mort ! Pas plus que de tels arguments ne définissent de manière rigide les comportements. Par exemple, Stephen Pinker rassemble quelques preuves (dans The better angels of our nature) pour montrer qu’il y a eu une baisse remarquable du risque de violence, qu’il a associé à la hausse des richesses, à la mondialisation, aux États et aux systèmes juridiques indépendants, aux changements de culture et à l’expansion de notre empathie. Bien sûr, nous restons sensibles au risque de violence, il n’y pas de raison que la situation ne puisse pas s’inverser, mais il démontre que nous sommes devenus plus sociables et attentifs aux autres de bien des manières!

Mais reconnaître que nos comportements sont façonnés par ces processus à grande échelle, c’est accepter notre place dans la grande trame de la vie, de l’univers et notre place dans l’histoire. C’est ce que nous partageons avec les autres animaux et qui nous permet de nous reconnaître en eux. Cela suggère aussi que comme espèce nous devrions nous pardonner à nous-mêmes. En tant qu’espèce, en tant que civilisation, nous ne sommes pas mauvais ou le malfaisants.

 

Partie II: Colère et complicité au moment des limites

AA: Et nous avons aussi un autre type de croissance. En fait quels sont selon vous les facteurs explicatifs derrières l’augmentation du nombre de gens en colère ?

DK: La colère est une partie naturelle de l’être humain et elle peut se produire car certaines personnes sentent qu’ils ont été mal traités, qu’une limite personnelle a été franchie, ou quand ils se voient refuser quelque chose. Il fait aussi partie du comportement collectif qui peut réguler le stress ou l’augmenter.

Nous faisons partie d’une société intégrée et globalisée qui heurte les limites financières et écologiques, et cela commence à remettre en question les attentes des peuples. Il y a une apparition claire de tensions et la colère se diffuse dans de nombreuses régions du monde depuis le début de la crise financière. Les effets de la crise et les réponses données à celle-ci ont mis les gens en colère contre le secteur financier, les gouvernements, les « un pourcent », les institutions financières ou le capitalisme lui-même. Les contraintes écologiques apparaissent dans les flambées des prix alimentaires et pétroliers. Les prix de l’alimentation ont toujours été un facteur déclencheur de troubles sociaux, en France en 1789 et l’année des révolutions de 1848. Plus récemment Yaneer Bar-Yam et ses collègues ont montré une forte corrélation entre la flambée des index alimentaires de la FAO (Food and Agricultural Organization) et les troubles sociaux. C’était un frémissement mais cela a fait remonter à la surface les antagonismes comme dans le printemps arabe.

Nous devons être clairs. La situation difficile à grande échelle et les contraintes socioéconomiques dont nous commençons à faire l’expérience n’ont que peu à voir avec la fraude, la corruption et l’avidité d’un petit nombre. C’est en grande partie lié au fait que notre civilisation humaine arrive à ses limites. Comme le stress socioéconomique augmente et que l’incertitude s’accroit, nous pouvons nous attendre à ce que la colère se répande de manière plus sévère et à plus grande échelle dans les années à venir. Rage incompréhensible tournée contre nos sociétés et les étrangers, fantasmes cathartiques de révolution, extrémisme et autoritarisme, accumulation agressive de pouvoir ou de production et boucs-émissaires sont justes quelques exemples de comportements destructeurs que nous sommes susceptibles de voir.

Les enjeux de ces transitions signifient qu’il est important d’interroger notre colère et de questionner son origine. Voilà pourquoi je dirais que dans la partie riche du monde, il y a pléthore de biens pensants qui pointent du doigt des comportements, ce qui non seulement est illusoire mais peut-être aussi préjudiciable pour la façon dont nous traitons les défis collectifs à venir. Rien de tout cela ne signifie, par exemple, que l’équité et les inégalités (surtout en groupe) ne sont pas naturellement importantes pour les gens, et les sociétés qui échouent à s’engager pour les corriger dans les années difficiles à venir ajoutent des risques de fractures sociales catastrophiques qui ne donneront rien de bon pour personne.

En tant qu’espèce nous sommes très sensibles aux drames entre humains, et dans cette période de crise croissante, nous essayons de créer des récits sur ceux qui sont avec nous et ceux qui sont contre nous. Nous revendiquons notre propre introspection sur la vertu, la sagesse, la victimisation et la compréhension et nous supposons trop facilement que ceux avec qui nous sommes en désaccord sont plus stupides, plus vénaux et qu’ils nous en veulent .

Le stress socio-économique grandissant est systémique, très complexe, et bien au delà de la capacité de compréhension de la plupart des gens. Les décisions peuvent être prises avec de bonnes intentions, mais elles peuvent générer des résultats désagréables et des compromis. La tentation est de simplifier et de personnifier les effets néfastes en accusant des personnes ou des institutions. Uniquement si « notre idée » a été mise en œuvre, si le gouvernement a changé, ou si la banque centrale européenne était gouvernée avec des visées vertes, de manière astucieuse et éclairée comme nous même, tout irait bien ou tout du moins beaucoup mieux. Cela pourrait être le cas, ou pas, ou cela peut signifier que nous sommes en train de nous nourrir d’illusions.

Les gouvernements ne font pas de «l’austérité» ou ne renflouent pas les banques parce qu’ils aiment faire souffrir et qu’ils sont attirés par les gigantesques bonus des banquiers. La politique est mise en œuvre dans l’incertitude et la complexité, dans des secteurs sur lesquels il y a peu de prise et où les conséquences potentielles sont beaucoup plus catastrophiques que celle qui sont survenues en Grèce. Les choix sont limités et comportent des risques, des incertitudes et des compromis. La plupart du temps les décideurs agissent de bonne foi. Rien de tout cela ne signifie que nous devrions faire preuve de complaisance envers les gouvernements, ou que nous ne devions pas être franc dans les comptes qu’on leur demande de rendre.

Mais il bon de remettre les choses en perspective et même d’être reconnaissant alors que nous voulons nous plaindre. Nous, simples citoyens européens voyons ce que nous n’avons pas et regardons ceux qui ont plus que nous, mais comparaison faite avec le reste du monde et la plupart des peuples dans l’histoire, nous sommes bien lotis. Nous sommes tellement habitué à cela que la moindre perte de ce que nous prenons comme acquis peut mettre les gens en colère. D’un côté nous sommes sensible à l’équité, particulièrement à l’intérieur de notre propre groupe. Nous sommes en colère à propos des « un pourcent » (71 millions de personnes), mais nous qui sommes parmi les 15 % (1,14 milliard de personnes) mais nous sommes peu attentif au fait que 85 % de la population au dessous de nous, et la moitié de la population de ce groupe n’a pas accès aux conditions sanitaires de base. Rappelez vous qu’en terme de revenu, lorsque vous gagnez 40 000 € vous faites partie des « un pourcent » – combien d’activistes radicaux et globe trotteurs gagnent moins que cela ? Et si vous obtenez les prestations chômage en Irlande, vous êtes dans les 15 % avec les avantages supplémentaires d’avoir accès à des soins de santé performants et des niveaux élevés de sécurité et de liberté (en terme relatif aujourd’hui ou dans l’histoire). Donc, ici nous parlons de quelque chose de très humain voire animal et relatif en terme d’habitude et de statut relatif entre groupes.

Alors que les sociétés font face un nombre croissant de défis dans les années à venir, et que les gouvernements et les institutions internationales ne parviennent pas à tenir l’ensemble de nos attentes, nous pouvons nous attendre à beaucoup plus de colère et plus de gens pour alimenter celle-ci. Une sorte de contraction économique désordonnée est presque certaine et rien ne changera cela. Comme l’a souligné l’économiste Colm McCarthy, la colère n’est pas une politique. En fait, nous ne savons pas grand chose sur la façon dont une société pourrait en pratique fournir à une population nombreuse et déboussolée la nourriture de base, les soins de santé, les services essentiels, la sécurité et la gouvernance souhaitée dans le contexte d’une société qui se désagrège.

La colère peut être une force positive pour du changement, une motivation et un levier pour satisfaire de vastes intérêts et pour assurer un niveau satisfaisant d’équité au sein d’une société. Mais elle peut aussi être une dépendance et être une forme narcissique d’un lien social qui se nourrit de lui-même; rétrécissant la portée de l’empathie, réduisant la gamme des options, encourageant des simplismes désastreux, transformant les gens et groupes en chiffres, le tout en offrant le confort facile de la certitude et de la justice. Au pire, surtout en période de bouleversement, il peut se transformer en quelque chose de violent, tout en invitant à celle-ci et en la justifiant; privant d’oxygène les classes moyennes, minant la confiance de la société, absorbant les ressources rares, et semant les graines d’antagonismes prolongés et créant des fractures psycho-sociales.

Généralement nous pouvons remarquer ces traits chez les autres et même éprouver une fierté en les faisant remarquer; le défi moral est d’abord en nous-mêmes. Et l’histoire de l’Europe fournit assez d’alertes sur cette bête immonde que nous nourrissons à nos risques et périls.
AA: Donc nous sommes comme ces 15 % car nous nous plaignions en ignorant ceux qui sont en dessous de nous.

DK: Laissez moi utiliser une expression anachronique. Nous sommes la haute-bourgeoisie qui dénonce l’aristocratie tout en réclamant le manteau du prolétariat. Cela nous permet de nous sentir juste tout en évitant les questions qui nous rendent complices.

AA: Donc nous n’avons aucun droit moral d’être en colère ?

DK: Nous allons être en colère ou non, c’est selon, quelle que soit la face morale ou intellectuelle que nous donnons au phénomène.

Quoi qu’il en soit, quel est l’objet de notre colère ? Les « un pourcent » ou une fraction de cette catégorie ? La plus grande part de leur richesse est basée sur des promesses abstraites et futures qui ne pourront pas être transformées en biens et services sauf à la marge. Une grande partie de cette richesse est financière, et la richesse financière globale équivaut à 350 % du PIB mondial. Si les riches essaient de convertir cette part en argent la valeur se volatilisera (qui achèterait ces actifs ?). Et que dire des 50 millions de £ du manoir Belgravia et d’une collection de vieux maîtres ? Ils sont parfois appelés biens Veblen. Ils sont des biens désirables car leur prix est élevé, qu’ils sont généralement uniques, et conçus avec des ressources produites il y a longtemps. Une fois de plus, si les riches essaient de les vendre à grande échelle, les prix chuteront. Mais imaginons que les super-riches, par désir ou parce qu’ils y sont contraints, vendent leur richesses que l’on évalue à 3 fois le PIB mondial pour obtenir des liquidités pour aider les pauvres. Il n’y aurait pas plus de circulation de biens et de services produits dans le monde sauf marginalement (en supposant que l’inflation qui en résulterait n’entraîne pas l’économie dans une chute vertigineuse) – faire cela requiert de l’énergie, des ressources et la coordination d’un système socio-technique complexe qui a déjà atteint ses limites.

De plus, si toutes les ressources et la consommation d’énergie personnelle des super-riches étaient partagées entre les habitants du monde entier, on ne le verrait qu’à peine. Ils sont trop peu nombreux et de toute façon, à part un super yatch, quelques voitures de collection, le fait de courir entre les quelques maisons qu’ils possèdent, c’est à dire un peu plus d’énergie et de consommation de ressources, cela ne prend pas grand chose aux autres. Par exemple, il y a 60 000 navires de plus de 10 000 tonnes dans le monde et un peu de temps sur Google doit suffire à convaincre qu’il n’y a qu’un tout petit nombre de super-yatch de cette taille – c’est un simple soubresaut statistique sur le total. La plus grand part de la richesse des super-riches ne nécessite presque pas de ressources sur le plan mondial. Il s’agit de considérations abstraites.

C’est pour cela que lorsque Oxfam dit que les 100 personnes les plus riches ont assez de richesse pour mettre fin quatre fois à la pauvreté dans le monde, c’est profondément trompeur. Ils confondent la richesse réelle avec les revendications virtuelles sur la richesse. Mettre fin à la pauvreté nécessiterait des investissements massifs dans des infrastructures gourmandes en ressources (énergie, eau, déchets, routes, télécommunications); en nourriture (plus de pesticides issus des énergies fossiles, des engrais, du drainage, de l’irrigation, du stockage, de la logistique); logement; soins de santé (hôpitaux, cliniques, médicaments, équipement, formation) et éducation. Cela ajouterait une exigence énorme pour l’énergie et des ressources au delà de ce qui nous utilisons déjà alors que nous sommes à la limite.

La seule chose possible, que nous puissions faire au niveau mondial pour fournir de l’énergie et les ressources d’investissement nécessaires aux pauvres est de prendre dans le monde le plus riche, les ressources réelles, et non pas des piles de papier et de promesses électroniques. Et ces ressources sont utilisées pour notre nourriture, nos vêtements, notre santé, notre assainissement, nos voitures et nos vacances, nos appareils électroniques, nos livres, notre lumière et notre chauffage. Derrière ces biens personnels et ses services, il y a des infrastructures complexes, des usines et d’autres usines, de l’expédition et des aéroports, des écoles et l’administration civile, etc, partout à travers le monde. Pour réduire significativement la pauvreté réelle par trois, il faudrait prélever au moins 25 % des ressources ce qui signifierait une chute importante de la consommation, et cela affecterait aussi la protection sociale à travers l’Europe, et cela, dans notre monde interdépendant, causerait des perturbations fortes qui affecterait aussi les pauvres. Comme je l’ai mentionné, notre système socio-économique complexe vit de la croissance et des adaptations d’échelle. Cela signifie que la réduction de la consommation d’une telle ampleur provoquerait un effondrement largement incontrôlable et systémique de l’économie mondialisée. L’énergie et l’utilisation des ressources s’effondrerait (80, 90% ?) dans notre économie mondialisée et avec, ce qui est nécessaire pour fabriquer des biens, et déployer des mesures de lutte contre la pauvreté. Ainsi la pauvreté concernerait tout le monde!

Bien sûr que les statuts sociaux comptent. cela donne du pouvoir, comme le fait l’équité par exemple. Et les inégalités ont des conséquences négatives. Mais je pense que les attentes des super-riches sont plus vulnérables que ce qu’on pense – il y a peu de chance que les latifundia (propriétés foncières) résistent comme pour les protections dans l’empire romain qui se mourrait.

Les compagnies de l’énergie ? Bien, si nous ne voulons pas de ces compagnies (ou le grandes firmes en général), et les déchets produits par l’énergie, les ressources et la production associée aux énergies renouvelables et avec le système de combustibles fossiles alors tout ce que nous avons à faire est d’arrêter de consommer. Comme consommateur nous avons plein de possibilités (ce que l’Irlande dépense pour l’alcool correspond au PIB du Kirghizistan qui a la même population; ce que les femmes anglaise dépensent pour les cosmétiques est équivalent au PIB de la république de Centre Afrique). En effet, si le groupe relativement restreint des écologistes du monde développé, anti fracturation hydraulique, partisan d’Occupy Wall Street, réduisent leur consommation, cesse d’avoir des enfants, et détruisent leur épargne, il y a une bonne chance d’amener l’économie mondiale déjà vulnérable vers une énorme dépression. Cela serait l’effondrement de la consommation d’énergie, des acteurs de l’énergie, des émissions des gaz à effet de serre et tout cela se traduirait par une souffrance catastrophique. Une argumentation similaire a été développée récemment par David Holmgren dans son article « crash on demand ».

Qu’en est-il de tous ces efforts qui entravent la lutte contre le changement climatique ? Tout d’abord, si on veut réduire les émissions, arrêtons de consommer et alors, il n’y aura pas besoin de convaincre les gouvernements ou les sociétés – uniquement certains de vos concitoyens.Si vous êtes inquiets au sujet des climato-sceptiques, cessez de les nourrir de l’attention dont ils dépendent, et de toute façon, depuis quand les gouvernements ont-ils besoins d’un consensus total pour faire quelque chose ?Il y a un large consensus à la fois politique et dans le monde de l’entreprise pour dire que le changement climatique est un risque réel. La question est le coût, et les entreprises et les gouvernements ne veulent pas payer les coûts de la réduction des émissions si elle compromet leur compétitivité ou si cela entrave la croissance économique. Quelles entreprises se mettrait volontairement hors jeu, elles et leurs employés, en n’ayant plus de travail ? Cela est particulièrement important lorsque les gouvernements tentent de faire grimper le PIB pour contenir la pression sociale et pour empêcher que dans sa chute le système financier tombe sur la tête de tout le monde.

On a  estimé que le coût de la réduction des émissions de CO²eq à 550 ppm serait d’environ 2 pour cent du PIB par an (Stern, estimation révisée). D’autres disent que cela ne coût presque rien. Un problème essentiel est que les économistes ne savent pas comment modéliser l’énergie, ni ne comprennent la dynamique des systèmes complexes (un exception notable est l’ancien groupe de Michael Kumhof au FMI qui a mis au point un modèle plus réaliste pour appréhender le pic pétrolier mais comme ils le disent, ils ne savent pas décrire les effets à grande échelle). Si vous voulez réduire les émissions mondiales de 3 % par an par exemple, tout en assurant que les pays pauvres puissent avoir accès à l’énergie (en supposant que vous puissiez obtenir un accord), alors vous pouvez utiliser un système comme le « Feasta-developed Cap & Share ». Cependant je pense que cela ne marchera jamais. Amener la quantité de carbone à ce taux dans notre économie mondialisé revient créer un pic puis déclin de l’énergie dans l’économie, qui conduit à un renchérissement des prix alimentaires mondiaux. Cela provoquerait une contraction de l’économie. A nouveau cette contraction est instable et cela causerait probablement un effondrement global de l’économie en quelques années, et cela détruirait le système des permis d’émission. Quelles sont les chances qu’un État démocratique accepte une pareille calamité ? La plupart des questions que nous discutons sur les politiques du changement climatique sont à côté des vrais problèmes et conviennent à tout le monde : militants, financeurs, grands public, gouvernements, CCNUCC, et ainsi de suite. Comme je l’ai indiqué dans la première partie de l’entrevue, les émissions sont susceptibles de chuter très sensiblement, en raison des effets de la crise de la dette, de la crise financière et monétaire et du pic pétrolier.

Dans la même veine, un des nombreux privilèges que nous, européens, avons eu, est de ne pas avoir à subir les conséquences massives et inéluctables (à cause des lois de la thermodynamique) des déchets, des dangers et de la destruction environnementale qui vient de notre consommation de premier ordre. Cela a impacté des gens beaucoup plus pauvres que nous et avec beaucoup moins de liberté d’adaptation. Ainsi, si nous protestons contre les éoliennes ou la fracturation hydraulique (la dernière étincelle de l’âge des combustibles fossiles et avec un temps restant très court), nous ne réduisons pas notre consommation et nous ne reconnaissons pas notre complicité. Nous ne protégeons pas l’environnement mais nous protégeons notre part de l’environnement, les privilèges auxquels notre groupe des pays développés sont habitués. Il n’y a pas de quoi être moralisateur ou jouer au sainte-nitouche.

Les politiciens ? Ils sont humains, imparfaits et parfois délirant, élus par les mêmes. Qu’attendez-vous pour le devenir ? On peut se donner beau jeu en disant que nous voulons de la durabilité, que nous voulons préserver nos standards de vie européens, et que nous voulons une équité globale ; c’est non seulement impossible d’un point de vue d’économie biophysique, mais aussi douteux concernant la façon dont on pense que les gens vont réellement se comporter; c’est persister dans l’évitement et l’illusion. Si vous souhaitez des politiques qui sauvegardent votre niveau de vie, qui réduisent l’incertitude et qui vous propose une main secourable toujours disponible, alors tous les politiques vous tromperont.

Tout cela ressemble à de l’hypocrisie, mais nous devrions être plus tendre avec nous-mêmes. Comme les psychologues évolutionnistes –tels que Robert Trives et Robert Kurzban– l’ont étudié, les interactions sociales sont des exercices de gestion de l’impression. Dans de telles situations, être considéré comme altruiste et empathique envers les autres est un avantage;nous sommes considérés comme faisant partie des personnes à avoir à ses côtés dans une période de besoin et nous arrivons à partager les bénéfices de la coopération. Mais nous ne sommes jamais parfaitement altruiste. Les comportements qui encourageraient à traiter son propre bien être, celui de ses enfants et de sa propre communauté, de la même manière que celui d’un parfait étranger disparaîtraient de nos existence à cause de la sélection naturelle. Au contraire, dans les situations sociales nous pratiquons l’hypocrisie qui est la solution de « passager clandestin » qui permet de passer pour quelqu’un d’altruiste en se comportant égoïstement. La meilleure façon de convaincre les autres de notre vertu est d’y croire nous même. La dissonance cognitive est le prix à payer occasionnellement de cette séparation mentale entre nos croyance et nos actes. Cependant, dans nos propres groupes d’intérêt, vous trouverez des membres qui ne parlent pas de cette complicité, car elle est à leur avantage.

Reconnaître ces réalités quelque peu inconfortables est très important. Comme nous faisons face à des défis à venir, une acceptation de notre complicité et le degré d’humilité nécessaire permettront d’adoucir la vaste conversation dont nous avons désespérément besoin. Se contenter de concentrer les attaques sur des groupes réduits mais influents indique au grand public que la situation pourrait être résolue si seulement les cibles des attaques étaient aussi vertueuses et sages que ceux qui les critiquent. Balivernes ! Quels que soient les arguments sur les compagnies pétrolières et les climato-sceptiques, ils sont marginaux et ne représentent que l’écume des choses par rapport aux responsabilités collectives auxquelles nous sommes confrontés. Nous sommes une civilisation complexe qui dépasse les limites de la planète et nous devrions être reconnaissant d’avoir eu à peu prêt le meilleur de ça.

Les limites de la croissance vont probablement s’exprimer par une crise financière et économique, ce qui signifie que les contraintes écologiques qui sont le noyau dur des limites seront occultées. Si on en arrive à ce que les gens finissent par blâmer les banquiers et les politiciens, nous aurons perdu les idées les plus cruciales que nous devons poursuivre; le sens de la dépendance et de l’interdépendance et l’idée que nous devons préserver l’environnement qui nous permet d’exister. Nous pourrions aussi, dans notre rage et notre rigidité morale, remplacé nos institutions politiques imparfaites par d’autres plus pourries dont la récente et excellent série de John Michel Greer sur le fascisme donne un aperçu du processus à l’œuvre.

Notre meilleur espoir pour aller de l’avant est d’apprendre à lâcher prise et laisser de côté ce qui provoque notre colère et nos illusions. Une grande partie des dénonciations courantes est fondamentalement de nature conservatrice, car ces dénonciations cherchent à maintenir un statu quo impossible, même si cela fait vaciller les drapeaux des plus radicaux. Cependant, la grande conversation que nous devons avoir se situe les uns avec les autres. Et pour cela, nous avons plus besoin d’avoir des guérisseurs fragiles (reconnaissants, hésitants, compatissants, complices) plutôt que des prophètes de malheur qui expriment leur rage.

AA: Mais si nous perdons notre travail, nos revenus…

DK: En fait, c’est la vie ! Nous sommes une espèce en dépassement. Nous sommes les 10 % qui ont la meilleure part du gâteau. C’est injuste, uniquement si vous pensez que vos attentes sont un droit ou qu’elles sont due à votre action. Mais qui le produit ? Tout est conditionné par la viabilité d’une économie historiquement contingente et auto-organisée et par le flux des ressources nécessaires. Ces conditions vont disparaître et aucun groupe de riches, aucune entreprise, aucune banque centrale, aucun politicien, aucun effort de la communauté ne peut rien y changer.

Alors oui, les emplois, les revenus et les visions du monde seront détruites. Bien sûr que c’est triste. Mais nous devons juste apprendre à l’accepter et lâcher prise. La partie la plus passionnante et nécessaire du débat est de savoir comment nous répondrons à ces changements. Peut-on apprendre à vivre dans l’incertitude et la perte ? Peut-on s’adapter de façon créative et façonner de nouvelles attentes qui exhalent les meilleures aspirations humaines ? Pouvons-nous nous soutenir mutuellement pour œuvrer au bien commun ? On peut donc se demander si les chômeurs sont les nouvelles victimes, ou s’il leur a été donné l’occasion d’être des défricheurs et des guides pour les nombreuses personnes qui les suivront. Comment peuvent-ils être pris en charge pour faire cela ?
AA: Quelles sont selon vous les conditions clés nécessaires pour un futur durable ?

DK: Nous avons besoin de nourriture de base, d’eau, d’un toit, de sécurité et de communautés où nos voix sont entendues et respectées. Si cela peut être fait sans impacter le bien-être ultérieur, c’est que nous sommes la bonne voie. Une fois que les besoins de base sont pris en charge, et si nous sommes si sages et brillants que nous le pensons, alors nous n’aurons pas besoin de plus pour rester heureux et nous divertir. Notre besoin de statut social, par exemple, peut être trouvé dans des activités beaucoup plus écologiques et sociales.

 

AA : Si vous avez un estimation, quand aura lieu le pic de population mondiale ?

DK: Je m’attends à un pic de population, mais comme les scénarii des Nations Unies le prévoient. Notre économie mondialisée et complexe a massivement augmenté la capacité de portage de la planète, alors que dans le même temps elle a réduit la possibilité pour cette économie mondialisée de nous soutenir. Si nous connaissons un krach majeur – et c’est probable dans les décennies à venir – un gouffre va se creuser entre nos besoins réels et ce que nous seront capables de produire, ce qui sera accessible et abordable. Les défis de la mortalité sont récurrents dans l’histoire humaine : la faim, les maladies, sont des risques très réels. Je pense que dans les sociétés complexes, les risques de la faim et de la maladie sont grandement minimisés, alors que les risques de violence sont probablement surestimés par les commentateurs.

Mais cela fait partie de nos défis : la façon dont nous définissons les conditions à remplir pour améliorer les résultats. Au final, nos dépendances seront très largement localisées et cela dessinera une gamme large de conditions écologiques et environnementales pour les différentes communautés et les régions qui doivent composer avec ça. Après cela, il vaudra choisir qui nous sommes, comment nous nous préparons et comment nous avançons à bon escient.
AA: Pensez-vous que l’on puisse réduire la consommation d’énergie fossile disons de 80-90 % d’ici au milieu de ce siècle ?

DK: Eh bien, je peux imaginer comment cela pourrait se produire (une baisse de 80 %, ce qui nous ramène au niveau de la consommation mondiale d’énergie au milieu du XXème siècle). Cela ne se fera pas par décision collective, mais plutôt parce que les circonstances nous y aurons amené. Et nous n’aurons peut-être pas besoin d’attendre le milieu du XXIème pour voir ce scénario se réaliser.
AA: Pensez-vous que des changements de comportement à grande échelle vers la soutenabilité sont possibles?

DK: Ce sont les circonstances qui dictent les comportements. Et la façon dont les comportements s’adaptent aux circonstances peuvent être très différents. C’est pourquoi il existe plein de possibilités différentes.

 

AA: Quelle est votre empreinte carbone ?

DK: Je dirais qu’elle est un peu inférieure à la moyenne pour l’Irlande mais qu’elle est bien au-dessus de la moyenne mondiale.

 

AA: Quelle fut votre plus grosse erreur professionnelle ?

DK: Au début de ce travail de conférences, je sentais un besoin important d’avertir le public, les politiciens et les décideurs; donc je l’ai fait en Irlande et ailleurs mais cela pouvait être abrutissant. Je pense que cela n’en valait pas la peine pour diverses raisons – bien que ce ne soit pas une critique du public. Maintenant, je préfère travailler avec ceux qui ont commencé à faire une partie du voyage et qui sont déjà intéressés et concernés.

Ce qui me fait grincer des dents est mon incapacité à modifier mon propre travail. Trop souvent, j’ai publié des textes avec pour seul résultat ma boîte de réception courriel remplie de textes furieux sur mon orthographe, les mots manquants, les mots inversés, la grammaire calamiteuse, qui mélangeaient la droite et la gauche, le positif et le négatif. Je suis dyslexique et j’ai peu de compétences stylistiques. Ça va mieux maintenant et j’ai eu des textes édités par d’autres … mais parfois des choses m’échappent.

AA: Dans quel genre de monde vivons-nous ?

DK: Toujours immanent, se montrant telle qu’il est. En fin compte, c’est ni bon, ni mauvais. Mais je pense que ce sera beau, profond et improbable… On ne peut pas être pessimiste sur l’univers et sur notre place en son sein. Je vais marcher dans la ville maintenant, le long du canal sous les ramages des arbres, là où les familles nourrissent les cygnes –je me complet dans l’habituel et le banal– comme le poète Patrick Kavanagh l’a écrit pour ce genre de marche. Nous vivons la journée, à chaque pas, avec la brise sur notre peau et avec les gens que nous rencontrons. Il n’y a pas besoin de s’inquiéter du futur, le monde dans lequel nous vivons est bien suffisant.