Albi et agglomération : vous avez dit gratuité ?
Le débat municipal est lancé. Nous avons constaté que la notion de gratuité revenait souvent dans le débat. Pour les cantines scolaires ou pour les transports notamment. La première mission relève de la commune alors que la seconde relève de l’agglomération. Voici quelques éléments pour éclairer les débats. Lorsqu’on parle gratuité, il faut savoir qu’il y a forcément quelqu’un qui paie. Soit le bénéficiaire, soit le contribuable. Pour autant, il ne faut pas écarter d’emblée cette possibilité. Elle peut avoir du sens. Pour la réduction des nuisances liées au trafic routier par exemple ou pour lutter contre les stationnements ventouse qui congestionnent la ville. Pour les cantines, la gratuité ou la modification des achats peuvent être intéressants pour promouvoir les achats responsables, locaux et bios ou pour un objectif social. Tout cela peut être intéressant mais autant savoir comment cela fonctionne. Voici quelques éléments pour fixer les ordres de grandeurs.
Tout d’abord le transport
Aujourd’hui, les transports en commun albigeois transportent 1 600 000 passagers par an. On compte 8 000 passagers jour en semaine sur les 16 lignes régulières qui desservent 11 communes. C’est ce qu’annonce le site de l’agglomération. Dernièrement celle-ci a décidé d’augmenter la cadence de certaines lignes. C’est le cas de la ligne C entre Cantepau et le centre d’Albi, la H entre Rayssac-Veyrières et le centre et la R entre les Portes d’Albi, le centre et InnoProd. Ainsi, les bus passent, à partir d’aujourd’hui, toutes les 15 minutes en heure de pointe au lieu de 25 minutes et toutes les 20 minutes en heures creuses. Cela représente 40 passages quotidiens. Qui dit passage dit bus supplémentaires ou réorganisation. Le trajet moyen est de 25 minutes d’un bout de ligne à l’autre. Avoir une fréquence plus grande implique plus de bus et plus de chauffeurs. Il faut en général un peu moins de 2 chauffeurs par bus. Le parc actuel est de 35 bus pour 61 chauffeurs. L’agglomération va investir 900 000 € pour de nouveaux bus (2 hybrides et troisième véhicule). Il y a aussi un peu plus de 1 million budgété pour le futur centre des bus. On peut supposer que la réorganisation va générer des embauches. La masse salariales est déjà de 3.65 millions d’euros.
Venons en maintenant au coût de la gratuité. Il faut savoir que la recette de fonctionnement des bus se répartit en trois grandes masses. 750 000 € qui correspondent aux droits de transport. Si on rapporte aux nombres de passagers transportés cela fait un peu moins de 50 centimes par voyageurs. Il y a ensuite la taxe acquittée par les entreprises locales. Le versement transport (VT) est une contribution locale des employeurs qui permet de financer les transports en commun. Il est perçu par l’Urssaf qui le reverse ensuite aux collectivités territoriales en charge des transports. Pour notre agglomération en dépasse légèrement les 4 millions d’euros. Il y a ensuite la subvention d’équilibre qui est prise sur le budget de l’agglomération et qui se monte à un peu plus de 900 000 €.
La gratuité implique de se passer de 750 000 € de recettes. Soit environ 13 % de la masse financière en jeu. Il faut donc soit augmenter la taxe versée par les entreprises, soit augmenter la subvention d’équilibre. C’est un choix politique. C’est donc une réflexion importante. Cependant, on peut aussi envisager le problème de la qualité de l’air à Albi. Une gratuité lors d’une journée de pollution ne représente que 5 000 € environ (on peut considérer que les passagers transportés passent de 8 000 à 10 000 personnes et on multiplie par le prix moyen d’un transport à 50 centimes). Nous avons le sentiment que ce mécanisme est plus pertinent qu’une gratuité permanente et absolue. D’autres événements ou modalités de mise en œuvre peuvent être envisagées. Améliorer la dégressivité à l’usage, cibler des catégories particulières d’usagers, etc. L’exemple est ici à titre d’illustration.
Ensuite les cantines
La ville d’Albi produit 3400 repas jours dont 2600 sont destinés aux scolaires pour les jours d’écoles (il y en a 162 par an en France). Les 800 autres repas sont destinés aux aînés et aux crèches et le fonctionnement est permanent tout au long de l’année. Si on additionne on peut évaluer à plus de 650 000 repas servis tout au long de l’année. La cuisine centrale municipale va être refaite et elle intégrera une légumerie. C’est une bonne nouvelle pour travailler des produits plus frais et moins transformés. La contractualisation avec la Chambre d’Agriculture a permis d’augmenter la part des produits locaux. On arrive aujourd’hui à 19 % pour un montant de 280 000 €. Cela revient à dire si on prend cette base que la cuisine centrale achète pour près 1.5 millions d’euros de denrées et que le coût matière d’un repas peut être estimé à 2,20 €. Le coût final d’un repas après avoir intégré l’amortissement du matériel et des locaux, les fluides (eau, électricité, gaz), le coût de la main d’œuvre revient à 8,40 € environ. Ce n’est pas le coût payer par les familles. Les tarifs s’échelonnent de 1,17 € à 4,37 € (6.70 € pour les hors commune) selon le quotient familial. Il y a aussi une dégressivité pour les fratries. -5% pour deux enfants, -10 % pour trois enfants et -15 % au-delà.
Si on prend un prix moyen facturé aux familles de 2,50 € et qu’on multiplie par le nombre de repas servis en milieu scolaire (un peu plus de 400 000) on voit immédiatement qu’il faudrait débloquer plus d’un millions d’euros pour financer cette mesure. l’ensemble des repas servis nécessitent un budget de 5,5 millions. Rappelons que le budget annuel de la ville est de 58 millions environs. Si on décide d’augmenter le coût matière de 10 % pour permettre un approvisionnement local de qualité avec des produits bios par exemple, la mesure ne coûtera que 800 000 €. On peut aussi réduire ce montant en œuvrant contre le gaspillage. Si on estime à 20 % le nombre d’enfant très pauvres qui pourraient bénéficier d’une gratuité totale la mesure ne coûte que 100 000 €. On voit donc qu’il y a des choix politiques à faire. Et la gestion rigoureuse doit toujours être au service d’un projet politique. Nous avons déjà écrit sur les grandes masses du budget municipal et il faut avoir les ordres de grandeurs en tête. Il paraît déraisonnable de continuer à augmenter la pression fiscale.
Et pour les loisirs et la culture ?
Pour la scène nationale le budget est de 3 millions avec une subvention de la ville de 885 000 €. Nous n’avons pas les chiffres mais on peut supposer que celle-ci se situe dans la moyenne nationale c’est à dire avec des recettes propres autour de 20 %. Soit environ 600 000 €. Le reste provient de subventions de la région et de l’État. Là aussi la gratuité dans la diffusion est un choix politique. Rappelons que quelques autres associations touchent entre 280 000 € et 400 000 € et que l’office de Tourisme absorbe près de 800 000 €. La seule manière de faire est donc de cibler les aides et les publics ou de réaffecter les montants entre les principales masses. Certes tout ne dépend pas de la ville mais les trois mesures cumulées coûteraient 2,5 millions à la ville (il y en a quand même une qui dépend de l’agglomération). Cela ne nous paraît pas raisonnable.
Pour les espaces nautiques les recettes se montent à un peu plus de 900 000 €. On pourrait multiplier les exemples mais cela ne nous paraît pas opportun.
Conclusion
Ces éléments nous paraissent indispensables pour une réflexion responsable sur les choix politiques à conduire dans une ville et son agglomération. Cependant tous les calculs fournis ont été opérés par nos soins. Ils ont été construits à partir d’éléments parcellaires retrouvés dans divers articles En effet aucuns documents, ni à la ville d’Albi, ni à l’agglomération ne proposent ces éléments de réflexion de manière claire et synthétique. Or c’est uniquement avec de la transparence et de la clarté dans les choix et les objectifs qu’on pourra avoir un débat démocratique apaisé qui éclaire le citoyen. C’est la condition pour un choix en conscience et cette condition n’est hélas pas remplie aujourd’hui.
Loïc Steffan