Albi : bref historique de l’autonomie alimentaire

Les élus de l’actuelle majorité ont encore fait la promotion de l’agriculture urbaine en se positionnant comme des pionniers de la démarche et en revendiquant des réalisations conséquentes. 1,57 %. Voilà la réalité du projet. 1.57 % d’autonomie alimentaire selon le cabinet Utopies en 2017.  Essayons maintenant de revenir sur ce qui peut expliquer cette situation.

Pourquoi ça bloque

Les connaisseurs du dossier savent deux choses :
– il y a un très grand écart entre l’affichage très ambitieux et ce qui est réellement réalisé qui est particulièrement faible ;

– les élus ne sont pas des pionniers mais ils ont pris en marche un train d’initiative qui existaient sans la mairie parce que c’était dans l’air du temps.

C’est l’occasion de revenir sur la démarche initiée il y a quelques années, pour comprendre les blocages actuels et comprendre ce qui pourrait être fait. Bref historique de l’agriculture urbaine à Albi.

Albi s’inscrit dans l’air du temps

Un très rapide détour par un moteur de recherche permet de constater que fin 2013, début  2014, concernant l’agriculture urbaine, il s’agit déjà d’un phénomène mondial. Donc, Albi essaie juste à ce moment là de surfer sur une tendance. Le projet a été en partie négocié avant les élections et les élus promettent de le mettre en oeuvre s’ils sont réélus. Il y a des jardins partagés ouvriers depuis longtemps. Avec un peu de greenwashing, on va pouvoir survendre le truc.

Le rôle des incroyables comestibles

Pour connaître la genèse du projet albigeois, il faut s’intéresser à un personnage Alsacien. Il s’agit bien sûr de François Rouillay. Communiquant pour le Parc Naturel des Vosges, il entend parler en 2011  d’ « Incredible Edible » un mouvement citoyen né en 2008 à Todmorden, ville ouvrière du Nord de l’Angleterre qui a atteint 83 % d’autonomie alimentaire. Il décide de fondé les « Incroyables comestibles » en France : « C’était à un moment où j’étais las de mon métier de communicant, car je prenais de plus en plus conscience de la crise écologique : le réchauffement climatique et les risques de pénurie alimentaire. Je me suis dit que je ne voulais plus faire de compromis avec le vieux monde… » disait-il. A vivalbi par l’intermédiaire de certains de nos membres nous sommes régulièrement en contact avec lui et il exprimait sa déception. C’est vraiment un type bien et un sacré bonhomme.  Aujourd’hui, après avoir passé la main aux Incroyables Comestibles France, il s’occupe de l’Université Francophone de l’Autonomie Alimentaire qu’il a fondé pour diffuser les savoirs faire agricoles. On vous propose ici un magnifique schéma de sa conception des choses.

La genèse du projet

Au début de projet albigeois, il y a un entrepreneur à la retraite, personnage haut en couleur et quelques amis à lui. Ils ont entendu parler de François Rouillay. Ils le contactent et commencent à se former et montent une antenne locale des Incroyables. Comme il est le beau-père d’un personnage politique national, il a des entrées un peu partout.  On est au début du mandat actuel autour de 2014. Leur capacité de persuasion, leur permet, avec la mairie et l’élu en charge du dossier qu’ils ont convaincu, de mettre en mouvement (ou tout du moins de fédérer) des initiatives éparses qui émergent. Il y a déjà pas mal d’AMAP sur la ville et un intérêt pour le sujet. Le terreau est favorable mais dominé par la gauche écologiste.

Rapide portrait de l’élu

L’élu est en charge du dossier est ce qu’on pourrait appeler un écologiste « positiv.fr » du nom du magazine en ligne éponyme. Il a un vision techniciste de l’écologie. Il n’intègre pas le facteur humain dans ses réflexions. Il est fasciné par les robots qui peuvent tondre dans les vignes par exemple, et il partage des choses de ce type sur sa page Facebook. Il s’enthousiasme pour les véhicules électriques ou hybrides ou l’aspect technique sans montrer une réflexion sur les stocks d’énergie, les problèmes de diffusion des techniques ou même si la technologie en elle-même est pertinente. Il se montre autoritaire quand par exemple un personnel de l’agglo publie une opinion inverse à la sienne sur les réseaux sociaux. On verra ultérieurement que c’est précisément ce qui bloque.

Vision trop techniciste pas assez humaine

Il survalorise la technologie et sous évalue les facteurs humains et organisationnels de coordination des acteurs ayant des représentations différentes des siennes d’une agriculture urbaine, durable, locale et biologique.
Il n’appréhende pas la complexité de ce type de changement. Il se dit volontariste. Il pense qu’il suffit de vouloir pour pouvoir et n’a pas toujours conscience des obstacles techniques, matériels financiers et humains à résoudre. Il est proche de l’École des Mines. Les ingénieurs savent trouver des solutions. là une fois de plus, ils en trouveront.  Et il va aider l’amorce du projet mais n’obtiendra jamais un réel budget à hauteur de ses ambitions.

Le projet se diffuse

Les liens avec l’école de l’art et de la matière permettent les premières réalisations. Pour tout dire, il y a une vision. Mais c’est celle de Rouillay qui a eu des succès au Maroc à Brachoua.
L’Université Pour Tous propose des modules de formations à la permaculture avec le chef d’entreprise à la retraite déjà cité. Il se garde bien de dire que les cours ne sont pas écrits par lui. Il veut se donner l’image d’un visionnaire et d’un spécialiste; L’université Champollion propose un jardin mandala et son directeur de l’époque est très actif. Il sait enrôler des étudiants. Se mettent en place des initiatives par l’intermédiaire des étudiants. L’école des Mines a son initiative tout comme le centre des compagnons. On ne sait pas trop ou ça va mais la communication et l’affirmation de la volonté de parvenir à l’autonomie alimentaire d’ici 2020 rend visible une effervescence locale plus liée au contexte national qu’à la capacité d’impulsion de la commune.  Cette communication va d’ailleurs générer un emballement intéressant à analyser mais qui ne fait pas l’objet de cet article. Les médias nationaux survendent le projet.

Puis bloque

Cette énergie communicationnelle et personnelle qui est au départ un atout,  se révèle rapidement être un handicap de la part de l’entrepreneur local à la retraite.  Les porteurs du projet aiment prendre la lumière et tirer la couverture à eux. Ils n’aiment pas non plus avoir à gérer des oppositions ou des points de vue différents des leurs. Ils écartent toutes les associations ou les personnes proches de l’opposition municipale. Les écologistes pourtant très impliqués naturellement dans ce genre de projet sont tenus à distance. Ils ont tendance à ne pas respecter le travail proposé par des partenaires ou des consultants et se l’accaparent. Ils mettent des partenaires devant le fait accompli. Au moment de la mise en place d’un PAT, ils décident de faire cavalier seul au lieu de proposer le projet à l’échelle de l’agglomération qui est plus pertinente. Ils fixent arbitrairement une limite de 60 km (c’est grosso-modo le Tarn) alors que les spécialistes parlent plutôt de 150 km pour ce genre de projet. Des partenaires institutionnels (lycée Fontlabour, chambre d’agriculture, Université Champollion) obtiennent aux forceps un comité de pilotage du PAT après avoir menacé de faire un communiqué dans la presse. Mais celui-ci est pensé comme une interface experts-associations et non comme un lieu de co-décision et de co-construction. Du côté associatif, de guerre lasse, un certains nombre de bénévoles quittent les projets qui composent ce paysage. Il y a aussi le cycle naturel des carrières. Le président de l’université change et la nouvelle directrice à moins d’appétence pour ce genre de projets. Mais ce renouvellement est aussi lié aux nombreux étudiants qui ont un cycle de présence sur la ville assez court.

Le temps passe

Il y a de nouvelles personnes et de nouvelles dynamiques. Cependant la volonté de main mise de la mairie dérange un certain nombre de protagonistes. Malgré l’embauche d’un chargé de mission sur ces questions ça patine. Ce n’est pas un problème de compétence mais de lettre de mission trop fermée. De plus la communication est toujours excessive. On survend de petits projets non coordonnés entre eux mais on ne met jamais en place des indicateurs de pilotages globaux. On reparle de projets comme nouveaux juste pour communiquer. Les jardins partagés de Cantepau existent depuis 1997 et ceux de Lapanouse depuis 2008. Les surfaces restent modestes à l’échelle d’une agglomération comme Albi.  Mais de nouveaux acteurs existent et se sont emparés de la problématique. Un des maraîchers est en situation délicate avec la mairie. Il a osé dénoncer les procédés des élus et son commodat est rompu. Il entame une procédure judiciaire.

Le projet devient un enjeu politique

Face aux difficultés du projet, les élus d’opposition commencent à formuler une critique de plus en plus virulente. Ils ont d’ailleurs des informations très fiables puisqu’un très grand nombre d’acteurs des projets associatifs sont culturellement et politiquement proches des élus d’oppositions. Ils mettent aussi en place des résistances et des coordinations indépendantes du mécanisme mis en place par les élus. Ils ont aussi une vision politique de l’écologie et n’admettent pas que l’élu marqué à droite s’empare de ce sujet. Il est donc considéré comme non légitime et cela se ressent dans les coordinations. La personnalité des équipes municipales très conflictuelles ne sont pas là pour arranger la situation.

Il y a plusieurs élus sur ces questions

Un autre problème tient au fait que les délégations de l’équipe municipale en place sont pensées en silo. On peut identifier au moins 3 élus différents sur ses problématiques. La coordination entre les différentes délégations est mal assurée et on sent qu’il y a des enjeux de pouvoir et de prérogatives qui ne facilitent pas la prise de décision et l’efficacité.

C’est avant tout un problème de coordination et d’enrôlement

Au final, lorsqu’on regarde l’exemple Albi, on constate un phénomène très bien connu des sociologues. Il y a surtout eu des problèmes de jeux d’acteurs et humains qui ont fait capoter le projet par méconnaissance des modalités de gouvernance de ce type de projet. Il y a une incapacité humaine à concerter et un manque de respect de protagonistes très importants dans la dynamique. Juste parce qu’il n’appartiennent pas à la même sensibilité politique. Il y a donc des frustrations et des colères qui génèrent des inerties ou des blocages. Il y a des gens qui partent. Un correspondant de l’université sur ces questions a par exemple demandé à être relevé de ses fonctions face aux divers blocages et à l’absurdité de la gouvernance.

Ce qui pourrait être fait

L’aspect positif, c’est qu’il existe une base de travail. Et de nombreux acteurs sensibilisés. Il y a aussi une communication nationale qui implique de faire pour ne pas se dédire. Voici en quelques lignes ce qu’il faudrait faire.

– Avoir une attitude plus humble et valoriser systématiquement les partenaires en rendant à César ce qui est à César quand cela est le cas. Faire en sorte que les habitudes de dialogue et de transparence remplacent la conflictualité dans les relations à l’autre.

– Tenir compte des remarques qui sont faites. En 2016 une experte de l’agriculture urbaine était venu auditer le projet. Elle avait rendu rapport (Exbrayat2016), avait émis un certains nombre de remarques qui n’ont pas été prises en compte. C’est donc presque 3 ans de perdu.

– Travailler avec des sociologues et des géographes (il y a tout ce qu’il faut sur place avec l’université) afin de comprendre les représentants et les freins éventuels à une modification des pratiques.

– Modifier le fonctionnement des délégations d’adjoint afin qu’elles soient pensées en terme de mission et non plus superposées aux services. Il est parfois nécessaire de coordonner plusieurs services. Il est peut-être préférable de mettre des binômes d’élus voire des équipes pour que la fluidité soit meilleure.

– On peut aussi imaginer une cartographie des initiatives de lien sur le territoire de l’agglomération. Il est assez extraordinaire d’imaginer que la seule carte existante est le fait d’un particulier inséré dans le tissu local et qui gère porteur de liens. Cela paraît quand même un outils de coordination indispensable.

– Promouvoir des indicateurs de pilotages. On sait par exemple que la ville d’Albi est peu arborée par rapport à d’autre ville de même nature. Les système d’information Géographique permettent maintenant à peu de frais d’obtenir des cartographies qui seraient très utiles. On peut faire ce type de carte pour les jardins mis en culture et indiquer année après année la progression pour objectiver la performance.

– On peut calculer la réelle autonomie alimentaire de la ville. Le cabinet Utopie a réalisé ce calcul pour Albi. L’aire urbaine est à 1.57 % d’autonomie alimentaire. Oui vous avez bien lu. 1.57 %. Outre la méthodologie du cabinet Utopie on peut penser à celle de Terre de lien ou de nombreux autres organismes.

– Publier la part de produits locaux et bios valorisés dans la production au niveau de la restauration collective. La publication régulière de l’indicateur permet de mesurer la progression de la démarche. Il faut expliquer les fonctionnements de l’autonomie.

– Procurer des baux ruraux ou des commodats longs au maraîchers de Canavière pour qu’ils aient le temps de développer une stratégie commerciale. Signer des contrats de fournitures de denrée pour sécuriser la trésorerie et l’installation. Les montants doivent être modestes pour rester dans le cadre des marchés publics.

– Faire circuler l’information et prôner la transparence pour améliorer la situation. Accompagner les porteurs de projets.

– Utiliser la très grande compétence des services parcs et jardin pur envisager des serres municipales tournées vers le maraîchage. Mieux accompagner les porteurs privés en leur proposant de la matière carbonée.

Au final il ne manque pas grand chose pour progresser et faire que cette belle ambition devienne réalité et que l’autonomie alimentaire augmente.  On aussi prévoir de la formation, de la transformation de l’aide à l’installation. Nous avions essayé de résumer tout cela dans ce schéma qui scinde l’action entre ce qui relève du collectif et ce qui relève des particuliers.