2016 : un basculement définitif dans une autre économie
Christine Lagarde du FMI annonce une croissance mondiale « décevante et inégale » en 2016 …, Jacques Attali ou Patrick artus prophétisent un krach boursier comparable à 2008 …, sans parler du phénomène climatique El niño qui pourrait déstabiliser les marchés agricoles. Mais c’est une gageure d’énoncer des prévisions. Plutôt que jouer les prophètes, il faut comprendre quelles sont les tendances de fond qui bousculent un monde en transition. Esquissons quelques tendances.
Baisse des prix de l’énergie et des produits de base
La première tendance de fond est la baisse du prix de l’énergie qui a lourdement chuté en un an. Cela s’explique par le ralentissement de la croissance mondiale qui contractent la demande alors que l’offre continue de progresser : retour de l’Iran sur le marché international, guerre des prix de l’OPEP qui inonde le marché pour freiner le gaz de schiste américain. Cette baisse de prix pénalise les pays exportateurs, dont la croissance chute, sans améliorer fondamentalement la situation des pays importateurs car le prix final dépend surtout des taxes. S’il n’y avait pas les Chinois qui constituent un énorme stock stratégique, le pétrole serait à 20 dollars. Certains spécialistes se risquent pourtant à prévoir une hausse à cause de l’instabilité du Moyen – Orient.
Montée des services et désindustrialisation
Une seconde tendance est la montée des services qui deviennent le moteur de la croissance au détriment de l’industrie. Cette vague de fond bouleverse les structures de nos économies. Tout d’abord, si on achète plus de services que de biens cela provoque la réduction du commerce mondial. Une sorte de « dé mondialisation » : les services s’exportent moins que les biens. Les enquêtes montrent la baisse des intentions d’investissement des entreprises, le freinage de la productivité, la baisse des profits et la hausse des défaillances. Ensuite l’économie de service creuse les inégalités. Fortes rémunérations peu nombreuses dans les services sophistiqués -informatique- et nombreuses faibles rémunérations dans le service peu qualifié -tourisme, service à la personne- qui freine la consommation des ménages et la croissance.
Hausses déstabilisantes du taux de la FED et du dollar
La troisième tendance est le retour à de fortes perturbations monétaires. Depuis 2008, la baisse des taux de la FED -banque centrale américaine- fut le moyen de soutenir l’économie. Mais mi-décembre, Janet Yellen, sa présidente, a décidé une hausse de 0,25 à 0,50 % avec une perspective de 1 % en fin d’année. A contrario, Mario Draghi décidait la poursuite de sa politique de facilitation monétaire et le maintien d’un taux à 0,05 %. Ces décisions ont été anticipées par les marchés et ont induit des mouvements de capitaux et de fortes déstabilisations dans une croissance très incertaine. Le monde aurait besoin de coordination alors que les pays ont des stratégies rivales.
Répondre à l’illusion du progrès indéfini et de la croissance infinie
Daniel Cohen dans son essai Le monde est clos et le désir infini, s’interroge sur un modèle économique vertueux dont la croissance ne serait pas le moteur principal. Daniel Cohen nous avertit : “La croissance est la religion du monde moderne”. Elle est “l’élixir qui apaise les conflits, la promesse du progrès indéfini”. “Il faut admettre que la croissance matérielle s’éloigne, et essayer de s’engager dans cette ère nouvelle de bonheur (psychologique, immatériel), parier que le progrès tout court n’est pas devenu une idée morte”.
Les mirages de l’économie numérique
La révolution numérique n’a pas d’impact sur le dynamisme de l’économie. Pour la première fois dans l’histoire, une révolution industrielle ne s’accompagne d’aucun taux de croissance positif.
Toutes les révolutions techniques du passé – l’électricité, l’automobile… – avaient un effet la croissance. C’est faux aujourd’hui. Cohen nous rappelle que Robert Gordon nous promet un stagnation séculaire.
Il faut oser penser un monde sans croissance.
Acceptant cet augure, mais aussi les contraintes environnementales, Daniel Cohen estime qu’il faut sortir de ce fantasme d’une croissance sans fin.
Repenser les solidarités
Dans ce nouveau cadre, il faut “s’immuniser contre les aléas de la croissance”. Nous dit-il.
A la manière des pays nordiques, il faut bâtir une flex-sécurité pour se prémunir contre la crainte du chômage et inciter les gens à innover en créant de l’activité. Plusieurs pistes sont explorées. Des droits de formation comme le juriste Alain Supiot le propose ; transformer les modes de management comme l’indique de nombreux chercheurs. ; réinventer la ville pour rompre avec les ghettos ; rebâtir les solidarités sociales ; engager comme le souhaite Edgar Morin une “politique de civilisation”…
A l’aide des travaux de nombreux chercheurs récents, Daniel Cohen explore “le défi nouveau de la finitude du monde”. Réorienter le sens de nos priorités : vivre mieux, sans attendre le miracle d’une croissance qui ne reviendra plus, avant longtemps.
Loïc Steffan