Réforme du Code du travail : vers une flexi-sécurité à la française ?

 

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Avec un jeune sur quatre au chômage, la situation est alarmante en France (21ème sur 28 en Europe). Les CDD représentent 90 % des embauches. Voulant s’inspirer de différents modèles de «flexisécurité », (dont le Danemark fut le pionnier), le gouvernement projette une refonte partielle du code du travail. Ce projet a déclenché une tempête de réactions syndicales et une pétition hostile qui dépasse le million de signataires. Analysons les effets de ces mesures.

Le paradoxe de la flexibilité de l’emploi

Selon un collectif d’économistes (Tirole, Aghion, Blanchard notamment), la réforme du code du travail proposée par Myriam El Khomri irait dans le bon sens. Comment ? En réduisant le coût et l’incertitude qui accompagnent les décisions de licenciement et d’embauche. Moins un licenciement est coûteux ou « difficile », plus un employeur sera incité à embaucher en CDI. Plusieurs études empiriques aux USA confirment ce lien. Dans un environnement économique instable la demande dépend de la conjoncture, du changement technique ou de la compétition mondiale. La rigidité du contrat de travail nuit indéniablement à l’emploi des plus fragiles (les jeunes et les non diplômés). C’est le sens du soutien apporté par ces économistes. Le projet veut limiter la durée de la procédure de licenciement (le juge reste décisionnaire). Il donne aussi une définition précise du licenciement économique : une baisse des résultats plusieurs trimestres consécutifs. Les syndicats redoutent des fermetures de sites en France par des firmes multinationales pourtant prospères. De même, pour raccourcir la procédure aux prud’hommes, le projet propose un barème d’indemnisation (de 3 à 15 mois de salaires), en fonction de l’ancienneté du salarié licencié. Les syndicats y voient un dessaisissement de leurs compétences prud’homales.

 

Le référendum d’entreprise pour moduler la durée du travail

Une troisième innovation est l’extension du referendum d’entreprise sur la durée du travail. On a vu l’Allemagne en 2009, touchée de plein fouet par la chute de ses exportations, absorber ce choc grâce à des accords « défensifs » de temps partiel. Cet exemple avait inspiré l’ANI de 2013 (Accord National Interprofessionnel de sécurisation de l’emploi). Aujourd’hui, le gouvernement veut des « accords offensifs » pour améliorer la compétitivité et l’emploi potentiel. Par exemple, le personnel pourra signer un accord de modulation des horaires à la demande de syndicats (représentant au minimum 30 % des voix aux élections professionnelles). Il devient possible de signer des accords au plan local qui dérogent aux accords de branche. La durée légale des 35 heures et les seuils de 48 et 60 heures dans certaines branches ne sont pas remises en cause, ni les bonifications des heures supplémentaires. Mais plusieurs syndicats dénoncent la possibilité d’un « chantage à l’emploi », et redoutent une perte de leur influence au plan national. Au contraire, selon la ministre du « Dialogue social », qui souhaite augmenter de 20% le crédit d’heures des délégués syndicaux, «  il n’y aura pas de souplesse sans négociation. Le besoin de souplesse des entreprises les poussera à des accords qui seront équitables ». Elle souhaite aussi augmenter les moyens alloués aux syndicats. Le faible taux de syndicalisation de la France   (7,7 %; une des plus faible de l’OCDE), semble lui donner raison.

 

Sécuriser les parcours professionnels

La création du compte personnel d’activité (CPA) à compter du 1/01/17 est le  complément sécuritaire de la flexibilité. Il accompagnera le travailleur au long d’un parcours professionnel, dont on prévoit qu’il nécessitera de nombreuses adaptations.   Ouvert à   tous les statuts d’actifs (salariés, indépendants, demandeurs d’emploi) il sera mobilisable pour financer une formation, une création d’entreprise ou un bilan de compétence. Il donnera aussi droit à une formation qualifiante aux jeunes sortis de l’école sans diplômes ( 120 mille chaque année). Le projet soumet à la négociation collective obligatoire un « droit à la déconnexion » numérique pour combattre le « burn out » (épuisement professionnel). Enfin les entreprises de moins de 50 salariés, pourront mettre en place des conventions en « forfaits-jours » avec des travailleurs autonomes dans l’organisation de leur emploi du temps.

 

Limites de la flexisécurité et conditions du   dialogue social

Spécialiste du droit du travail, Alain Supiot, du Collège de France,   est favorable au compte personnel de formation mais critique une flexibilité « néo-libérale » et des accords d’entreprise « limitant  la capacité de résistance » que les salariés tirent des conventions collectives négociées au niveau des branches. La flexisécurité n’est donc pas une panacée. Chaque pays a ses spécificités, peu transposables. Ainsi le Danemark   allie une flexibilité totale des emplois (pas de CDI) à un niveau élevé d’allocations et d’accompagnement des chômeurs. A l’échelle de la France, selon Guillaume Duval d’Alternatives économiques, cela représenterait un doublement des sommes allouées avec un surcoût de 2,4 pts de PIB (53 milliards). En Grande Bretagne, la flexibilité l’emporte largement sur la sécurité, et génère trop d’emplois précaires. L’Allemagne promeut une dualité salariale avec un secteur industriel bien rémunéré et un secteur de services peu qualifié et sous payé. La Suède et la Finlande ont parié sur la formation et la qualification de toute une classe d’âge, là où nous excluons 20 % des jeunes. Finalement, le point commun des relatives réussites observées en Europe tient en une longue pratique du dialogue social. C’est le point faible de notre pays qu’il est urgent de débloquer.

 

Christian Branthomme et Loïc Steffan