Des deux côtés des Pyrénées, le tableau de bord économique sort du rouge mais la reprise est fragile. L’Espagne renoue avec la croissance et la création d’emplois dans l’industrie, grâce au redémarrage des exportations. C’est peu (+0,1%) et beaucoup à la fois, après 4 ans de récession : le PIB a maigri de 30 milliards et 1,5 millions de chômeurs ont grossi le chômage qui touche un espagnol sur quatre. La France, moins affectée par la crise financière, qui a tout de même détruit 500 mille emplois depuis 2008, repart (+0,2%) et stabilise juste son taux de chômage à 10 % …. Mais il n’y a pas de quoi contenter les opinions : le 22 mars à Madrid, une « marche de la dignité » a fait converger à Madrid deux millions d’« indignados ». En France, la déroute électorale du parti au pouvoir est un désaveu de la politique suivie. Quelles leçons tirer de leur comparaison ?
Mêmes objectifs : éviter l’insolvabilité et sauver l’euro
La politique suivie par les deux pays est impulsée par la Commission européenne en conformité avec le Traité de Stabilité Coordination et Gouvernance européen (2013). Le déficit doit repasser au –dessous de la barre des 3 % d’ici 2015 et des « réformes structurelles » doivent redresser la compétitivité. Il s’agit de restaurer la confiance des marchés financiers et de sauver l’euro. Car depuis 2010 plusieurs pays de la zone : Grèce, puis Portugal, Irlande, Espagne, ont été incapables de rembourser leur dette publique. Nourrie par les déficits accumulés (proche ou dépassant 100% du PIB), elle devient immaitrisable : le pays doit emprunter pour rembourser, d’où perte de confiance des marchés, hausse du taux d’intérêt, insolvabilité . La faillite partielle de la Grèce en 2012 et le risque de contagion aux poids lourds de la dette : l’Italie , l’Espagne (1000 mds) et la France (2000 mds ) aura été le signal d’alarme .
L’Espagne saisit le taureau par les cornes … et évite la faillite
Dès 2012, le gouvernement Rajoy coupe 65 milliards de dépenses publiques, relève encore la TVA (de 18% à 21 % après +2% par Zapatero) , gèle les salaires des fonctionnaires et les pensions, restructure les banques et réforme le marché du travail. Cette politique semble payer, la dette ralentit sa course, le pays emprunte sans peine à moins de 3 % sur les marchés. La commission retire l’Espagne de sa liste noire des pays en déséquilibre » , l’agence Moody’s relève pour la première fois sa notation à BB+ ….
La France esquive et se retrouve au pied du mur
Face aux exigences de l’UE, la France de Sarkozy à Hollande a cherché à temporisé par crainte trop d’austérité ne casse la reprise. Cherchant un compromis entre les politiques de l’offre – favorable aux entreprises – et de la demande – aux ménages – elle a préféré en 2013 augmenter les impôts plutôt que de tailler dans les dépenses. Cette stratégie n’améliore pas assez nos comptes publics et notre compétitivité-prix : l’heure de travail dans l’industrie coûte 37 euros en France contre 36 en Allemagne et 22 en Espagne. D’où le pas vers une « politique de l’offre » assumée (pacte de responsabilité).
Ne pas « jeter bébé euro avec l’eau du bain »
Dans les deux pays retentissent les sirènes d’autres politiques possibles. Les « néokeynésiens » réclament une « relance par la demande » – hausse du pouvoir d’achat et de l’investissement public (prônée par Keynes en 1929). Celui-ci raisonnait en économie fermée, mais avec la mondialisation, 54 % des biens manufacturés achetés en France sont importés. Relancer la demande sans améliorer la compétitivité de l’offre reviendrait à creuser les déficits. Un courant plus radical, protectionniste, réclame une sortie de l’euro et une dévaluation « offensive », le refus de payer la dette et l’arrêt des politiques d’austérité. Les peuples n’acceptent plus de payer une crise dont ils ne sont pas responsables sans voir qu’ils ont voté pour ceux qui l’ont générée. Mais la crise persistante de l’Argentine (inflation à 25 %), dix ans après sa faillite (2002) ne plaide pas en faveur de ce changement de cap.
Trop longtemps l’Europe a servi d’excuse à nos politiques pour différer les réformes. L’euro n’est pas le problème mais bien la solution à la crise si les pays se coordonnent mieux.
Christian Branthomme et Loïc Steffan
Tableau de bord de la France et de l’Espagne
source : Perspectives de l’OCDE, novembre 2013