TINA, s’il te plaît expliques moi !

Il est nécessaire d’avoir une information plurielle, didactique et compréhensible par le plus grand nombre pour permettre d’éclairer le débat et améliorer la prise de décision par les politiques. Pour cela, nous devons savoir ce que l’on comprend réellement de la société et de ses rapports de force. Il faut ensuite savoir à quelles informations les citoyens accèdent pour former leur jugement.

TINA est l’acronyme généralement utilisé pour désigner l’expression « there is not alternative ». Façon de dire que  l’économie obéit à des lois aussi fiables que la loi de la gravitation ou le mouvement képlérien par exemple.

Les études récentes montrent que les bases scientifiques de la science économique sont en réalité très faibles et que cette discipline est avant tout politique. Les sables sont mouvants et la fondation très instable. La vision marginaliste, les fonctions d’utilité, les prix sont des fictions tellement simplificatrices qu’elles ne rendent compte d’à peu près rien. La formalisation mathématique permet au mieux d’acquérir un niveau d’abstraction qui sera utile pour penser la complexité et briller dans le cénacle des économistes.

Une grande partie du discours, sous couvert de scientificité, n’est que le véhicule de la mise en place d’une violence symbolique et un instrument pour écarter le profane trop curieux. La séquence de présentation du discours de politique générale du gouvernement Valls est la dernière illustration de ce phénomène. J’espérais que les commentateurs donneraient des éléments d’explication et non des éléments à charge ou une apologie des décisions prises.

Il a été affirmé comme une évidence qu’il fallait baisser les déficits pour ne pas aggraver la dette et que l’austérité était la solution. S’il n’est pas possible de laisser filer les dettes dans le système actuel on peut s’interroger sur l’absence d’évocation du multiplicateur budgétaire. Des travaux récents d’Olivier Blanchard ont montré que le multiplicateur est supérieur a 1 et que l’austérité contracte fortement le PIB empêchant la réduction des déficits. Il n’a pas été question, de la restructuration des dettes qui serait une autre solution.

Nous avons compris que le coût du travail était trop élevé et qu’il fallait baisser les cotisations. Le dernier rapport de l’OCDE montre que le coût du travail est plus taxé en Allemagne (elle qui sert en permanence d’élément de comparaison). Nous oublions de dire que le coût du travail représente 20 à 25 % du coût de production permettra au mieux une baisse de 0.5 à 0.8 % du coût final. Trop peu pour relancer la compétitivité pour un coût exorbitant.

Le discours a ensuite évoqué la nécessité de diminuer la valeur de l’euro par rapport au dollar pour favoriser les exportations. Des études affirment que les importations sont moins élastiques que les exportations (5,4 % contre 6.5 %). Au final cette mesure pourrait creuser le déficit sans améliorer la compétitivité.

Des commentateurs ont dénoncé le rôle de la BCE et de sa politique.  Cependant il n’y a pas eu d’explication sur la déflation qui menace et sur le piège de la trappe à liquidité (moment ou une baisse des taux ou une injection de liquidité n’arrive pas à faire remonter l’inflation).

Il a ensuite été question du CICE et du pacte de responsabilité. Là aussi, une étude récente a montré que celui-ci concernait des entreprises qui n’exportaient que très peu et que son coût était important pour un intérêt limité. Il est donc nécessaire d’avoir des études contradictoires qui alimentent le débat.

Sur tous ces points, il est apparaît qu’un parti pris est à l’œuvre. Les gens qui savent et qui appartiennent au courant dominant monopolisent le traitement, la diffusion de l’information et la prise de décision. Les acteurs sont sous influence. 1700 lobbyistes œuvrent à Bruxelles et les dirigeants politiques sont conseillés par des individus à la neutralité plus que discutable.

Une information didactique, plurielle et nuancée permet aux citoyens de comprendre les enjeux et donc de choisir en conscience.  C’est un enjeu démocratique fort. Nous sommes face à du bruit informationnel. Il est difficile de trier le bon grain de l’ivraie. Un sentiment de mensonge généralisé se propage et ce n’est jamais bon pour la démocratie.

Il existe aujourd’hui une concentration des média et un bruit informationnel important qui favorise la pensée dominante. Une information contradictoire qui permet de former son propre jugement demande un traitement long et fastidieux. On ne peut pas se contenter des premiers résultats des moteurs de recherches. Il faut aussi se poser la question de la neutralité du web et du pouvoir exorbitant des algorithmes de recherche.

Du coup, Certaines personnes se détournent des médias traditionnels, supposément menteurs pour chercher des sources alternatives. Mais le même travers resurgit. Ils vont privilégier une autre source unique susceptible de leur fournir une vérité si ce n’est la vérité et n’auront pas d’avis pluriel pour se forger une opinion. Ensuite, ils auront tendance à chercher des complots et des bouc émissaires. Il n’y a pas de cause unique à la crise (voir les 10 plaies d’Egypte). Juste une conjonction de crise. Un peu comme le battement d’aile du papillon qui entre en résonance avec d’autres phénomènes et qui crée un ouragan à l’autre bout du monde. Bien sûr les banques ont une immense responsabilité, bien sûr l’euro est fait contre les peuples. Mais chercher un seul responsable c’est réduire la complexité de la réalité.

Nous avons tous tendance à rejeter les informations qui nous dérangent. Ce phénomène bien connu se nomme « dissonance cognitive ». Il faut cependant lutter contre nos certitudes pour continuer à mieux comprendre.

Je voudrai un peu de pédagogie et de controverse (au sens universitaire). Cela permet de confronter les opinions et d’avancer dans la compréhension des mécanismes. Cette attitude permet de participer plus efficacement à la démocratie et aux choix citoyens. N’oublions jamais que l’économie est toujours de l’économie politique.

Loïc STEFFAN