Ce texte est une réinterprétation libre d’un texte de Colletis et Pecqueur paru dans la revue Economie & institution
L’économiste parle de production de richesse. Le géographe étudie les ressources d’un territoire, les coordinations et les jeux de pouvoirs.
Le géographe est à l’interface des sciences de la Terre, de l’homme de la nature, de la culture, des sciences sociales et humaine. il déploit le verbe, la carte et le chiffre. avec une approche compréhensive globale (toutes les dimensions physique, mentale, émotionnelle, familiale, sociale, culturelle, spirituelle).
Il s’aperçoit qu’il n’est pas seul à parler des biens communs. Mais comme l’économiste monopolise trop la parole, il doit savoir écouter son collègue. Il doit même lui laisser la parole.
Pourquoi ce dialogue
le dernier ¼ de siècle et la mondialisation montrent les problèmes de division internationale du travail, les inégalités de création et de répartition de richesse et l’a-spatialité du capitalisme. Il peut fonctionner partout au grès de ses intérêts. Pourtant les hiérarchies spatiales demeurent.
L’intérêt du territoire
Examinons les relations de proximité. La proximité des agents a un rôle important et les espaces sont les lieux ou se créent les liens sociaux et les coordinations. Ils sont importants car ils permettent d’identifier les ressources ou actifs spécifiques qui ont un rôle à jouer. Ils expliquent les trajectoires différentes (déclin ou prospérités).
En général l’économie étudie les formes de concurrence. Elle s’axe sur le prix et la maîtrise des coûts et en fait une condition essentielle. Même si le terme est imprécis, la flexibilité est aussi déterminante pour l’innovation, pour adapter les volumes au marché tout comme pour répondre au changement. Oui mais le territoire demeure. Il évolue mais plus lentement.
Les ressources deviennent des actifs
L’économiste parle de ressources génériques. Il étudie principalement 4 éléments : la main-d’œuvre, le capital, la matière première et l’information. Oui mais ce qui est générique existe ailleurs d’où l’a-spatialité. Les ressources sont transformées en actifs quand on les utilise. Un bois est une ressource. Les arbres qui le compose deviennent un actif quand ils sont utilisés pour produire des chaises par exemple. Mais ils restent génériques s’ils n’ont pas de spécificité. Ils sont transférables et s’échangent sur des marchés. Le prix est le critère premier. le lieu est indifférent. Qu’importe. Nous sommes dans le monde de l’économiste.
Elles peuvent devenir du patrimoine
On peut rendre les ressources spécifiques si elles deviennent un patrimoine. C’est une combinaison originale de connaissances et de savoir-faire sur un territoire. Sur la façon dont les éléments sont produits, combinés et utilisés. Ce n’est pas abstrait. Il faut patiemment le définir concrètement pour un territoire. Ici de la terre et des potiers, là une histoire et des bâtiments qui attirent des touristes, ailleurs des fablab et de l’innovation grâce à des écoles. C’est plutôt le domaine du géographe.
Le géographe rend visible
Prendre conscience de cette spécificité qui s’est construite au fil du temps, permet de comprendre le mécanisme qui permettra pour le futur de repérer et construire des externalités positives. Elle tient en fait en peu de mots.
Capacité de coordonner et de fédérer des acteurs sur un territoire
Cette prise de conscience autour des forces et des faiblesses permet d’imaginer la nécessaire coordination dans le temps et dans l’espace afin d’imaginer des solutions aux problèmes actuels et futurs. Mais c’est obligatoirement et toujours ancré sur un territoire. Le géographe a plus à dire que l’économiste.
Les territoires (villes, agglo, régions, etc) sont des espaces socialement construits (qui découlent des hommes et de leur dynamique) autour de collaborations mais aussi de rapports de forces avec des avantages pour la proximité (moindre coût de transaction, éco d’échelle, etc ;). Il faut comprendre la coordination des acteurs. L’économiste la constate, le géographe donne des faisceaux d’explication.
Pour mieux conserver
Une fois ce travail entrepris, on peut mieux protéger un territoire sans pour autant le clore ou le fermer. Déplacer un actif spécifique (lié à un lieu) devient onéreux. Les ressources génériques se déplacent mais pas les connaissances du lieu et son organisation sociale originale. Et cette intelligence collective est non commensurable (pas possible de fixer un prix ). Ces éléments n’existent que parce qu’ils résolvent un problème spécifique dans un lieu spécifique. C’est complémentaire au marché, ça protège des effets délétères de l’a-spatialité et c’est l’histoire d’un lieu. On parle de révélation car cela n’apparaît pas spontanément au regard. Marshall parlait d’« atmosphère industrielle ». On peut alors décider de créer des atmosphère écologiques, d’innovation ou la production rend aussi des services écosystémiques. Penser les ressources permet de penser l’économie circulaire, et des symbioses.
Des applications concrètes dans la gestion des territoires
Reprenons simplement. Pour obtenir ces actifs spécifiques tant recherchés par les territoires pour prospérer, il faudra prendre les ressources génériques d’un territoire (terre, MdO, matière première, capital) pour en faire des actifs. Il faut donc apprendre à utiliser correctement ce dont on dispose. Mais on peut amener de l’intelligence et de la coordination pour transformer ces actifs génériques en actif spécifiques ; Ce double processus peut être qualifié de métamorphose car il est souvent irréversible. Ce qui veut aussi dire que les mauvais choix se paieront dans le futur. Une terre polluée pour extraire des matières peut poser problème. Ici à Albi, un lieu de stockage du charbon est contaminé à l’arsenic dégagé au cours du temps par le stockage. C’est un processus connu. Cela sera très long à corriger. Une terre agricole transformée en magasin ou en parking et perdue se retrouve difficilement. Il faut apprendre à gérer la ressource dans le temps. Des géographes nous disent qu’il faut trouver la combinaison optimale de ressources puis trouver les capacités cachées, éparpillées ou mal utilisées pour réfléchir à des solutions optimales.
Ainsi on peut déceler un potentiel et l’activer en l’inventant par un activité économique particulière. Permaculture, agroforesterie. recyclerie. Etc.
Une démarche utile pour envisager la résilience
Cela justifie une approche sociale des territoires et montre que la dynamique non-marchande est très importante. Sans elle pas de sphère marchande. À rappeler sans cesse, surtout face à des décideurs qui survalorisent la sphère marchande car ils pensent que c’est ce qu’on attend d’eux. La coordination en dynamique permet de construire un territoire.
Cette notion de territoire révélé en dynamique permet de montrer les situation de coordination, d’activation et de spécification et que la sphère non-marchande est très importante.
Enrôler les acteurs d’un territoire
Il me semble, que les décideurs ont tendance à considérer que le territoire est là, donné ex-ante comme existant avec un stock de ressources. Pourtant on peut le construire avec une intention.
Dans le rôle de décideurs et de coordinateurs compétents, ils peuvent mobiliser un territoire pour influencer les autres acteurs dans une direction plus efficace. Leur rôle de leaders et d’impulsion en accord avec les autres acteurs du territoire est primordial. C’est cette impulsion qui va déterminer la direction. La proximité, la coopération et l’appartenance se renforce. Elle augmente le sentiment d’appartenir à un territoire. Ce mécanisme est d’autant plus important quand il permet de créer des externalités positives.
Construire une connaissance utile à tous
Ce mécanisme nécessite de créer des connaissances nouvelles pour comprendre puis pour résoudre des problèmes existants ou inédits. La mémoire des coordinations antérieures réussies et leur diffusion inspire confiance. Elle peut aussi être le fondement d’une autorité de légitimité. Un territoire n’aura de sens que si il permet de bien vivre dans le temps sur un espace. Le capital social facilite l’interaction entre individus. Il permet la circulation d’information et des normes qui engagent pour un bénéfice mutuel. Le capital social est source d’une richesse potentielle car il active ressources existantes et ressources latentes. Le géographe montre finalement des choses essentielles. La création et la circulation de l’information est primordiale.
Qui permet d’évaluer les pratiques et les modifier
Certains auteurs, par exemple, proposent d’avoir une lectures des politiques et pratiques agricoles comme des politiques d’arbitrage entre patrimoine et marché. Cela amène à comprendre que le patrimoine reste dans le temps et pour les générations futures. Il ne faut pas tout sacrifier au marché. On peut alors voir que la frontière entre bien public, bien privé, biens communs, biens marchands et non-marchands ne sont pas fixes mais relèvent du choix politique.
Il ne reste plus qu’à faire
Comme souvent la coordination est le résultat institutionnel mais pas la condition initiale. Il faut l’améliorer quand elle est déficiente et la renforcer car cela joue dans les deux sens. Une proximité institutionnelle facilite la coordination mais une volonté de coordination facilite la proximité. La circulation de connaissances et de bonnes pratiques permettent de reproduire par affinité intellectuelle (voir l’exemple des Fablab ou des reséau de connaissance en permaculture. les gens sont éloignés mais ont une proximité réelle) mais certaines pratiques nécessite des face-à-face. Si la circulation de connaissance n’exige pas la proximité, la mise en place sur des territoires avec les pratiques et savoirs tacites, les essais erreurs et tâtonnement demande de la proximité.
En conclusion la capacité à coordonner un territoire dans un but clairement défini peut procurer un avantage décisif comme facteur de différenciation spatiale. Il aide et facilite l’émergence de solutions. La seule véritable richesse dont dispose un territoire (et non contient car les ressources non renouvelables s’épuisent) sont les coordinations passées (mémoire, confiance) et sa volonté dans construire de nouvelles. Plutôt que de raisonner en terme de protection face aux aléas des marchés mondiaux, il faut construire des trajectoires territoriales en utilisant ces outils que nous venons de décrire.
Merci au géographe pour cette analyse qui montre la nécessité de la réflexion sur les externalités souvent culturelles et sur le lien social et enfin sur la coordination par des institutions adhoc dans un territoire donné.
Messieurs les élus et amis. Faites beaucoup plus appel aux géographes. Embauchez des agents de développement local pour mettre du lien dans vos territoires.