Le libre-échange, pilier essentiel de l’économie mondiale depuis l’après-guerre, paraît ébranlé : Trump remet en cause le TAFTA (« Transatlantic Free Trade Agreement) –également appelé TTIP–, l’ALENA (Accord de Libre Echange Nord-Américain) et le Partenariat transpacifique (TPP) lancé par Obama ; le Brexit ou les programmes électoraux de souverainistes ou populistes font de même. Certes, le 30 octobre, le Canada et l’ Union européenne ont signé le CETA (Comprehensive Economic and Trade Agreement, ou Accord économique et commercial global). Mais le refus de la Wallonie a manqué de le faire capoter et il doit encore être ratifié par les pays. Dans ce contexte, quels effets attendre d’un retour au protectionnisme ?
Résurgence d’un vieux débat
Il était une fois … la naissance de l’économie politique –Montchrestien au XVII°. Une première école s’impose en France (Bodin, Colbert) et au Royaume Uni (Petty, Cantillon) : les Mercantilistes. Objectifs : faire rentrer l’or pour l’Etat, élever la puissance du roi et la prospérité du pays. Moyens : promouvoir les exportations en aidant ses manufactures royales, et empêcher les importations par des taxes. C’est du protectionnisme, offensif et défensif. Un siècle plus tard, l’école classique anglaise (Smith, Ricardo) prône au contraire le libre-échange. L’idée-force, c’est la spécialisation : en s’ouvrant à l’échange, chaque nation se spécialise dans les activités où elle est relativement meilleure (ses « avantages comparatifs ») et importe à bas prix ce qu’elle ne produit plus. Un jeu « gagnant-gagnant » ? Sans doute, mais que fera un pays en développement – comme la Prusse – qui veut s’industrialiser ? Selon Friedrich List (1840), elle doit développer un « protectionnisme éducatif » temporaire pour permettre à ses industries naissantes de se « muscler » à l’abri de la concurrence. Ce débat resurgit avec les négociations autour du TAFTA et du CETA.
Les menaces du TAFTA
Le Tafta, projet d’accord commercial entre l’UE et les États-Unis, est en gestation depuis 2013 : création d’une zone de libre échange – couvrant presque la moitié du PIB mondial- . Mal vécu, car les négociations sont secrètes. Hormis une version « pirate » fuitée en février 2014, et des documents récupérés en mai 2016 par Greenpeace, seuls quelques responsables connaissent le contenu véritable de l’accord. Ses promoteurs estiment – sans le démontrer – qu’il créera 2 millions d’emplois et qu’il augmentera de 0.1 % par an le PIB de la zone –cela représente 350 milliards de $. Les chiffres avancés sont discutés . Rappelons que Clinton promettait des millions d’emplois grâce à l’ALENA et qu’au final, si le bilan de sa présidence fut bien une création de 20 millions d’emplois, on estime que, directement, la concurrence accrue en détruisit 900 000. Les documents dévoilés par les ONG font craindre un abaissement des normes sociales et sanitaires et l’instauration de tribunaux d’arbitrages. Les menaces sur la qualité de vie sont difficiles à évaluer. L’exemple récurrent est le procès du poulet au chlore qui est sans doute exagéré. Mais cet accord fragilisera encore des secteurs déjà sinistrés comme l’agriculture, le transport ou la métallurgie. Au final, on retrouve la logique dénoncée par les critiques du libre-échange : au service à la fois du pouvoir des États – et des firmes multinationales exerçant leur domination asymétrique.
CETA un accord gagnant-gagnant ?
Pour Juncker , c’est « le meilleur accord jamais signé par l’Union. Il permettra la protection des appellations ( feta, reblochon…), ouvrira les marché publics canadiens aux grandes entreprises de BTP européennes, mais en retour augmentera le quota de viande bovine importée du Canada. Il maintiendra aussi les normes de protection sanitaire européennes en prohibant les OGM, l’élevage aux hormones, les poulets chlorés, etc . Point sensible les services culturels et financiers sont exclus de l’accord. Le CETA réglerait l’épineuse question des « tribunaux d’arbitrage » qui jugent des plaintes des entreprises qui se considèrent lésées par les législations d’un Etat en réclamant des dommages et intérêts. Ex : la marque Philip Morris récemment déboutée d’une plainte contre les paquets neutres instaurés en Australie. Le CETA sera doté d’une instance spécifique d’arbitrage (ICS) dotée de juges exclusifs pour éviter les conflits d’intérêts. Pour les opposants, cela ne suffira pas à empêcher que le CETA ne devienne le cheval de Troie des multinationales américaines dans l’Union.
La protection, vrai problème fausse solution
Le graphique montre le lien très fort entre les variations de croissance et celles encore plus marquée du commerce international. Lorsque l’économie mondiale se retrouve en panne de croissance, il est tentant de fermer les frontières et d’affirmer la préférence nationale. Mais ce choix aurait un coût estimé entre 200 € et 300 € par ménage et par mois de perte de pouvoir d’achat ! Car cela reviendrait à renchérir les importations non substituables. Et puis, le protectionnisme entraîne la rétorsion des partenaires. Dans une période de probable réduction durable de la croissance – le protectionnisme devient un jeu « à somme nulle » : ce que l’un gagne, l’autre le perd. Et si tout le monde joue ce jeu « non coopératif », nous finirons tous par y perdre . 1929 a montré que le protectionnisme avait aggravé la crise. Le mécanisme fut proche en 2008-2009. De plus la « segmentation des processus productifs » rend quasi impossible une fermeture des frontières car la plupart des biens que nous achetons, incorporent des composants provenant des quatre coins du monde. C’est encore plus vrai pour le e-commerce. Il ne reste plus qu’une piste : des accords de commerce négociés dans la transparence pour prendre en compte l’ensemble des acteurs. Il faudrait aussi préciser l’enjeu écologique et faire le bilan carbone d’un accroissement des échanges. Faute de quoi l’opacité et la technocratie nourriront les populismes et leurs raisonnements simplistes.
Christian Branthomme et Loïc Steffan