Il est hasardeux de construire un scénario plausible, alors que de fortes incertitudes politiques pèsent sur l’économie mondiale. Trump réalisera-t-il l’intégralité des mesures protectionnistes annoncées pendant la campagne ? Après les résultats élections françaises, allemande, de la démission de Renzi en Italie, la zone euro va-t-elle imploser par suite de « jeux stratégiques non coopératifs » entre les 28 … bientôt réduits à 27 avec le Brexit ? En ce début d’année, nous préférons formuler quelques pistes de réflexion et des proposition à moyen terme : nos « vœux d’économiste » pour l’Europe et la France.
Protéger les entreprises et non les biens.
Faut-il remettre des droits de douanes sur les produits importés ? Ou bien mettre fin à l’euro et revenir aux monnaies nationales, afin de permettre aux pays périphériques de la zone euro dévaluer ? Ce débat sur le protectionnisme est mal formulé. Le retour des monnaies nationales ne modifieraient pas les jeux non-coopératifs. Depuis 20 ans une « segmentation des processus productifs » a fractionné la production de n’importe quel bien en composants multiples, en provenance de nombreux pays. On ne reviendra pas en arrière : impossible, à court terme, de substituer du 100 % « made in France ». à ces importations. Taxer les importations ou dévaluer conduirait simplement à augmenter les prix sans réduire le volume des importations. Ainsi, on observe depuis 2014 une dévaluation de l’euro de 30 % par rapport au dollar … et pourtant le solde commercial de la France ne cesse de se dégrader. Par contre, le développement du rachat d’entreprises françaises ou européennes par des capitaux étrangers, et surtout les délocalisations, industrielles doivent être freinés. Dans les secteurs stratégiques où nous avons des savoirs faire, il faut sans complexe protéger nos entreprises, par la commande publique (Alsthom) ou la participation temporaire de l’Etat au capital (Peugeot).
Investir dans la transition énergétique
Avec la COP 21, le monde s’est engagé dans la transition énergétique. Double objectif : substituer des énergies propres aux énergies fossiles, préparer l’après -pétrole. Les données de l’Agence Internationale de l’Energie sont sans appel : nous entrons dans un monde où l’approvisionnement en énergie sera de plus en plus contraint. Or, sans énergie, pas de création de richesse. G. Giraud et Z.Kahraman établissent que l’énergie est un facteur primordial de la croissance potentielle, la croissance de demain. La hausse du brut est un signal … positif, puisqu’elle rentabilise les investissements les énergies du futur… à condition que les compagnies pétrolières n’en soient pas les bénéficiaires. D’où la proposition de l’Accord sur le Climat de cesser d’aider la recherche pétrolière qui reçoit la plus grand part des subventions. Sur le renouvelable, La France est en retard. Avec son domaine côtier, elle disposerait pourtant du premier « parc » à éoliennes d’Europe, mais en produit peu. Voilà une filière stratégique Par des incitations fiscales, l’isolation des bâtiments, l’efficacité énergétique des véhicules ouvre d’autres pistes à un investissement massif.
Différencier emplois nomades et sédentaires
Il y a en France, selon J-N Giraud, environ 30 % d’emplois « Nomades » – et 70 % d’emplois « Sédentaires ». Les « nomades » sont des emplois très qualifiés et mieux rémunérés, mais exposés à la compétition internationale. Si nos entreprises perdent leur compétitivité, ou ne savent plus les attirer, ils disparaissent vers d’autres pays. Pour les garder et les développer, il ne faut pas les « matraquer » et tenter d’harmoniser la fiscalité en Europe. Il faut surtout prioriser la formation : la médiocre 25 ° place de la France au classement PISA invite à réformer un système éducatif trop élitiste qui débouche sur un nombre suffisant de jeunes diplômés. Il est nécessaire d’investir massivement dans la formation continue longue et qualifiantes pour toutes les personnes qui peinent à rejoindre durablement le monde du travail. Les « sédentaires » sont souvent des emplois de services à la personne, dépendent principalement de la demande nationale, avec une concurrence limitée. Car on est encore prêts à se faire coiffer à l’autre bout de la France ou extraire une dent en Hongrie ! Et la Commission vient de limiter le risque de concurrence déloyale (« plombier polonais ») en imposant des conditions de salaire et de travail conformes aux normes nationales. Comment développer aussi ces emplois et réduire le chômage de moins qualifiés ? Il faut supprimer les charges sur les bas salaires, flexibiliser sans précariser, éviter l’ « ubérisation » en protégeant l’actif plus que l’emploi.
Plaidoyer pour une Europe coopérative
Selon Patrick Artus, 2017 s’annonce périlleuse pour l’Europe. Elle risque d’être confrontée à plusieurs « chocs » : la hausse des taux d’intérêts à long terme (initiée par la Fed qui remonte peu à peu ses taux) qui réactiverait la crise de la dette souveraine (Grèce, Italie) que Mario Draghi avait réussi à endiguer par des émissions massives de monnaie centrale (80 milliards chaque mois) ; la hausse du pétrole risque de fragiliser la reprise de la consommation ; un retour du protectionnisme (Trump, Brexit) et des dévaluations offensives ( Livre, Yen) pourraient affecter le commerce extérieur de la zone euro , qui dégage actuellement un excédent de commercial record de 300 Milliards d’euros. Dans ce contexte, on doit souhaiter une stratégie enfin coopérative entre Européens. D’Abord , les pays excédentaires de la zone, comme l’Allemagne, au lieu d’avoir un excès d’épargne qu’ils placent à l’extérieur, pourraient l’investir dans la zone , soit une « relance » de plus de 1 % de leur PIB agrégé (30 000 milliards) . Cette manne importante permettrait d’apurer les dettes des pays périphériques. Ensuite, l’Europe devrait mettre fin à une ruineuse concurrence fiscale (graphique) qui appauvrit les Etats, et salariale, qui appauvrit la classe moyenne. Mais il faudra attendre l’issue des élections pour espérer la réalisation de ces vœux…
Christian Branthomme et Loïc Steffan