« C’est un point de droit talmudique bien connu que la peine capitale prononcée à l’unanimité par un tribunal invalide la sentence. »
«L’unique extrêmisme admis pour le croyant est celui de la Charité»
C’est la première fois que je partage un point de vue religieux et politique sur ce blog mais je trouve que la situation l’exige. J’espère que je n’aurai pas à le refaire.
Face à la belle unanimité qu’on tend à nous imposer, je voudrai maladroitement réagir et défendre la position des évêques de France.
Mais avant de commencer, je voudrai vous livrer un extrait un peu long d’un livre de commentaire sur le Talmud. « Les secrets de la Torah orale: La méthodologie rabbinique au fil des siècles » de Yossef Berdah,Patrice Bloch A la fois une tentative de décentrage de mon point de vue et une belle formulation de mon état d’esprit.
« l’unité doit toujours demeurer une démarche, un horizon, et ne jamais devenir un objectif réalisé. Affirmer la possibilité d’atteindre l’unité absolue, c’est être guetté par la démarche sectaire : tout le monde dit alors des choses différentes avec les mêmes mots.
C’est à l’époque des commentateurs médiévaux (Rishonim) qu’apparaît vraiment cette éclosion du multiple dans la confrontation à la relativité des exils d’Orient et d’Occident. C’est précisément à cette époque que naissent des œuvres qui dans leur diversité vont concrètement démontrer l’unité du multiple, la préservation de l’invariant qui va fonder la Loi (hala’ha).
- La haine occidentale du relatif
C’est un point de droit talmudique bien connu que la peine capitale prononcée à l’unanimité par un tribunal invalide la sentence. L’unanimité, qui devrait porter l’absolu du jugement parfait, dévoile en fait un vice caché fondamental. Car l’unité est problématique quand elle s’affirme a priori. C’est pourquoi la Loi orale apparaît comme un ensemble d’opinions plurielles lui permettant de résister au temps et de vivre avec le monde tout en restant elle-même. Ces deux points sont liés :
Du moment que la loi doit suivre l’avis des Sages, pourquoi a-t-on enregistré l’opinion de Hillel et Shamaï ?
Afin d’enseigner aux générations futures qu’il ne faut pas s’en tenir qu’à son opinion personnelle, les grands hommes Hillel et Shamaï ayant respecté ce principe (Edouyoti, 5).
Mais la deuxième réponse avancée est d’ordre juridique et répond à la question suivante : À partir du moment où la loi est tranchée selon la majorité, pourquoi citer les avis minoritaires ?
Pour qu’un tribunal puisse fonder ultérieurement une autre décision (commentaire de Rabbi Samson de Sens sur le traité Edouyot).
Cette deuxième réponse jette un éclairage important sur la théorie du droit talmudique : des positions contraires peuvent être toutes les deux « paroles du Dieu vivant » selon l’expression de Rabbi Yéhouda.
Les opinions contradictoires sont toutes fondées, mais le tribunal n’adoptera que celle qui répond le mieux aux exigences du temps. Et cette même logique se retrouve à l’époque de la Mishna, du Talmud ou plus tard avec la diversité des Rishonim médiévaux. Cette plasticité et cette pluralité peuvent apparaître comme impossible mais au contraire, elles sont l’affirmation de l’unicité divine du fait que selon le message monothéiste, l’homme ne peut se prendre pour Dieu :
Seul l’Éternel délibère Seul ! [Avotvi, 8)
La pluralité est l’expression spécifique de la phénoménologie humaine, le lieu même de la perception de l’unité. Passer par le multiple pour atteindre le Un et ne jamais penser accéder au Un directement. Les entreprises autocratiques les plus folles se nourrissent de l’illusion que cet idéal est déjà accompli. »
Il me semble difficile d’afficher une si belle unanimité sans risquer une entreprise autocratique.
Les critiques que l’on peut adresser aux deux candidats en lice sont connues pour un chrétien. elle sont magnifiquement résumées dans un texte de monsieur Ponsot. « par exemple l’argent (le fameux Mammon de Luc 16,9-13, qui se fait si facilement oublier), l’orgueil, le mensonge, la rejet du prochain (celui dont on se rend proche, d’après la parabole du Bon Samaritain en Lc 10,29-37), le refus du partage, le massacre de la terre, l’euthanasie etc. A ce compte, tout le monde l’aura compris, les deux candidats qui sont proposés aux suffrages des Français le 7 mai prochain sont deux représentants d’un unique paganisme, et je trouve vain d’essayer de partager les bons ou les mauvais points, comme beaucoup de gens autour de moi, et beaucoup d’amis en particulier qui veulent se rassurer dans leur choix, s’y essayent… »
La voie que nous propose les évêques de France est celle de l’extrême discernement. Je trouve cette voie digne et courageuse. On intime l’ordre aux évêques de s’exprimer mais il y a peu on refusait de les entendre. Je les remercie de cette position collective et de la responsabilité qu’ils prennent individuellement face à l’histoire. C’est une dignité exemplaire comme après l’assassinat de Père Hammel dont le reste de la société devrait s’impirer. Nous n’en serions pas là si c’était le cas.
Nous autres chrétiens, nous avons un verset de l’Apocalypse (3 :16) qui peut prêter à confusion et nous conduire à des positions radicales : « ainsi, puisque te voilà tiède, ni chaud ni froid, je vais te vomir de ma bouche. ». Il peut inciter les plus radicaux à maudire leurs frères qui sont plus modérés, ou s’affichent comme tels, sans se rendre compte ce qui nous est demandé est un extrême discernement. Avec ce 2ème tour, nous sommes bien dans un dilemme. Se croire dans le « camp du Bien » pour disqualifier son adversaire en toute bonne conscience empêche d’écouter la part de vérité qu’il défend. Très problématique. Un ami m’a soufflé cette magnifique formule d’Henri Lacordaire o.p. : «Je ne cherche pas à convaincre d’erreur mon adversaire mais à m’unir à lui dans une vérité plus haute.». Cette ouverture esprit, même si elle retarde et complique le discernement est indispensable. Sinon nous prenons un risque inconsidéré.
Et notre pape François a raison de rappeler cette vérité essentielle : « L’unique extrémisme admis pour les croyants est celui de la charité ! Toute autre forme d’extrémisme ne vient pas de Dieu et ne lui plaît pas ! »
Personnellement, je sais ce que j’ai à faire. Mais mon jugement est précaire. Je ne l’imposerai pas.
Il se base sur cette vision des choses :
Pratiquer les œuvres de miséricorde (Matthieu 25)
Nourrir les affamés, abreuver les assoiffés, vêtir les personnes nues, accueillir l’étranger, visiter les malades s’occuper des prisonniers et annoncer l’évangile. Enterrer les morts.Réfléchir aux béatitudes, instruire les ignorants, empêcher de faire du tort et corriger l’attitude de ceux qui le font. Vous voyez donc qu’un des choix et d’ore et déjà impossible.
J’aimerai que la raison l’emporte et que les candidats en course entendent ce positionnement.