Le collapse est un grand voyage vers l’inconnu

Et c’est très bien aussi. Chouette j’adore les expériences nouvelles et j’aime le laisser surprendre. L’hypothèse du collapse (car cela reste une hypothèse) est cette expérience de pensée qui permet de voyager hors de soi et en soi. Et sans prendre l’avion en plus. De toute façon, cela sera très difficile dans quelques décennies, voire infaisable pour la plupart des gens. Pas assez de pétrole. C’est en tout cas l’augure que l’on accepte si on choisit d’écouter la narration du collapse qui prévoit entre autres l’épuisement des ressources. J’ai travaillé de nombreux aspects par des traductions et des partages de résumés de livres.

Revenons sur cette aventure du voyage   
Si nous aimons tant le voyage, c’est qu’il représente l’occasion d’un regard neuf sur le monde. Il est la métaphore vécue ou philosophique de l’étonnement et du questionnement de nos habitudes. Acceptons donc l’idée des effondrements et voyageons avec elle, car ce concept peut être très fécond. « Les sentiers battus n’offrent guère de richesse; les autres en sont pleins. »[i] Nous dit Giono. Souvent c’est la résistance à cette idée qui nous guette. Nous voulons contrôler et continuer dans la consommation. Volonté insensée. Giono a écrit « L’homme qui plantait des arbres »[ii] dans lequel Elzéard Bouffier, le personnage principal façonnait les paysages physiques, mais aussi les imaginaires. Une résistance sans bruit à la barbarie du monde comme le ressentent de nombreux collapsonautes qui ont décidé de parcourir le chemin. Écoutons de nouveau le poète. « Celui qui prie pour empêcher la mort est aussi fou que celui qui prierait pour faire lever le soleil par l’ouest, sous prétexte qu’il n’aime pas la lumière matinale.»[iii] On sait bien que son entreprise est vouée à l’échec. Par contre on sait qu’il est possible de planter des arbres. Ces courts propos sonnent presque comme des évidences ou des tautologies. Alors, pourquoi résister autant quand il s’agit de la finitude du monde face à nos désirs infinis et notre déraison ou pour accomplir les actions nécessaires ? Je ne sais pas quand j’entrepris ce voyage de collapsonaute car le souvenir s’efface. En tout cas je n’y donnais pas ce nom, car il n’existait pas. Il me semblait déjà en ses prémices et aussi évident que la mort et le deuil. Inéluctable.  Je trouvais stimulant de me poser ce genre de questions. Au moins pour étudier le fil prospectif qu’il énonçait. Je devrais le faire et j’acceptais cette finitude. Mais je rencontrerai un jour ma mort , c’est qu’il y a eu d’abord ma naissance.  Dès celle-ci, la vie amorce sa conversation avec nous.

Une histoire d’enfant

« Un paysage de campagne. Une odeur d’herbe mouillée, le vol gracile d’un papillon blanc dans la lumière irisée de la rosée des regains d’un jardin permacole au-dessus d’un cocon. Un enfant qui s’émerveille à ce spectacle pourtant si simple. Le printemps et là pour effacer les frimas de l’hiver. Son rire bruyant et enfantin arrête momentanément le chant des oiseaux. Il regarde et ne comprend pas la fonction du petit cocon juste au-dessous de l’envol mais s’émerveille. Il peut maintenant s’assoupir dans l’herbe fraîche du printemps, réchauffé par les rayons du soleil et se  faire bercer par le chants des oiseaux et le bruissement du vent dans les feuilles.»

Mais nous adultes, nous savons. Nous acceptons que le papillon fut chrysalide, car c’est une connaissance intériorisée. C’est le cycle de la vie. Les enfants ont ce regard extraordinaire, car ils savent accueillir l’inconnu et répondent à la vie par une poésie et un génie qui nous charment. Mais petit à petit, avec l’âge, nous cessons ces conversations au monde et cherchons l’attendu. Nous nous réfugions dans le confort et la recherche du bonheur sans discernement. Souvent, cette course au confort matériel et à un univers prévisible ne débouche sur rien. Au mieux, l’ataraxie (absence de trouble provisoire) nous rendra visite pour quelques instants. Mais si nous connaissons ce mot, c’est que nous avons entrepris la recherche philosophique nécessaire pour affronter la vie. J’adore les tricksters pour reprendre l’image Jean-François Vézina[iv]. Le Trickster est l’équivalent du lutin dans la culture des indiens des Amériques. Le fripon divin qui joue des tours pendables et possède une activité désordonnée incessante. Il sème le chaos dans l’équilibre de notre univers. Mais justement, il donne une occasion de retrouver notre enfant intérieur. Apprenons à nous laisser déstabiliser par les aléas de la vie et dansons avec le chaos. De toute façon nous n’avons pas le choix. Et comme le dit un proverbe : « faites attention à ce que nous demandons à la vie. Elle pourrait nous l’offrir. »

Le pouvoir de création de sens de la collapsologie

Jacques Igalens[v] a dit quelque chose de puissant à propos de la collapsologie à laquelle il promet un brillant avenir : « elle devrait déboucher sur une réécriture de nos mythes fondateurs à propos de la nécessité de la croissance, des bienfaits de la science ou du caractère indépassable du libéralisme économique, par exemple. […]elle produira une narration nouvelle de notre vie en commun, et c’est certainement aussi utile. »

Ces propos peuvent sembler anodins ou critiques. Pourtant ils sont importants à double titre. D’une part ce chercheur, ancien directeur de la Toulouse School of business, collabore avec les grands groupes industriels français et a écrit de nombreux articles de références sur la RSE. Il valide donc cette idée. D’autre part il associe cette narration à l’idée de sensemaking développé par Weick[vi]. Dans ces travaux le chercheur a étudié des catastrophes mal gérées (on peut penser qu’on en prend le chemin). Il a voulu comprendre les dysfonctionnements qui conduisirent au désastre. L’article sur les pompiers donne un exemple éclairant. Comment des personnes aussi entraînées pouvaient-elles arriver à cette absence de coordination et à un tel blocage rendant l’action impossible ? La réponse fut l’inconnu. Ils n’avaient jamais été confrontés à ça. Or des situations inconnues, il en existe de nombreuses et le collapse nous en offrira probablement quand on regarde en détail les hypothèses qui circulent. Dans le cas spécifique de nos pompiers, la nouveauté se traduisit par une perte des repères habituels de coordination. Les gens paniquèrent. Weick se rendit compte que la perte de sens et de compréhension de ce qui se passait était la cause. Le non respect des rôles aussi. Ces professionnels aguerris se replièrent sur eux-mêmes en envisageant d’abord leur survie individuelle au détriment du collectif (la première réflexion de nombreuses personnes qui découvrent le collapse et d’ailleurs celle-ci). Il y eut donc des pertes matérielles colossales et des morts et des blessés inutiles (cela sera aussi le cas si on prend cette direction).  Il fallait donc apprendre à gérer l’inconnu.

Il considéra que dans ce type de situation nouvelle il ne faut pas se fier à des repères inutiles mais à des principes. Pour prendre une analogie, mieux vaut savoir s’orienter et décoder le terrain par quelques éléments (relief, vent, mousse, course du soleil) que de vouloir lire une carte des Alpes en se baladant dans les Pyrénées. Car vouloir utiliser une carte des Alpes c’est aller à un désastre certain. C’est pourtant ce que nous faisons quand nous utilisons nos vieux schémas de pensée avec cette situation nouvelle. Mais cela n’allait pas de soi. La gestion de l’inconnu est un processus qui doit se construire. Il permet de créer un sens nouveau qui permettra le plus souvent de faire émerger des solutions innovantes. Mais pour que le changement ne conduise pas à un effondrement de sens, il faut correctement identifier les éléments importants et s’assurer que des moyens permettant de reconstruire ce sens sont toujours opérationnels. Le sensemaking était en train de naître. Il se basait sur le principe de résilience des organisations, mais ces principes peuvent s’étendre aux sociétés. K.E. Weick identifia quatre sources de résilience  :

  • « l’improvisation et le bricolage » : même sous la pression, il ne faut pas se replier sur les réponses habituelles. Les défricheurs des low-techs et des modèles alternatifs rendent un service incommensurable à la société. Ils testent des réponses possibles. Toutes ne seront pas robustes, mais l’accumulation de tentative et le partage d’expériences permettront de faire émerger les plus prometteuses. Dans le système actuel, elles ne peuvent être rentables ou efficaces. Il faut donc les accompagner. Les militaires ou les spécialistes des secours avec qui je discute me disent souvent l’importance de ses retours d’expérience.
  • « Les organisations en rôles virtuels » : le système de rôles, même lorsqu’il n’est plus opérationnel dans la réalité, demeure intact dans l’esprit des individus quand ils les ont pratiqués en simulation. On voit donc l’intérêt de mettre en place des scénarios de coordinations qui permettront aux individus de retrouver une place dans l’organisation nouvelle et de l’accepter pour peu qu’elle respecte les principes de justice et d’égalité qui émergent systématiquement dans les modélisations disponibles comme dans le modèle HANDY[vii]. Cela doit aussi s’appuyer sur des aller-retour avec le terrain.
  • « La sagesse comme attitude » : La sagesse c’est d’abord douter de ses connaissances et de ce qui a fonctionné dans le passé. Ce n’était qu’un contexte donné et tout ne marchera pas dans le futur. Il faut savoir imaginer et les arts et la création sont importants. Il faut donc raisonner par analogie et exercer un regard critique. Cela nécessite d’être curieux, ouvert et d’aborder de nouveaux domaines complexes. La réflexion en systémique et évidemment un plus appréciable.
  • « Le respect et l’éthique de la relation » : la confiance, l’honnêteté et le respect sont nécessaires. Toutes les composantes pro sociales ont un rôle à jouer. D’autres travaux montrent qu’elles sont contagieuses. Comme les composantes antisociales qu’il faut combattre. Cette attitude est tout sauf naïve. Elle nécessite de savoir que pour soigner la haine, il n’existe que la fraternité. Pas la fraternité des bons sentiments. Juste apprendre à voir les autres humains comme des frères, cela signifie seulement qu’ils sont comme nous, capables de folie, de violence, de cruauté, de bêtise, d’aveuglement. Cela veut dire que nous devons éventuellement parfois combattre « ces frères en humanité », les empêcher de nous faire du mal. Donc une réflexion sur les réactions humaines et les liens dans la société est absolument obligatoire[viii].

Les conséquences de cette nouvelle narration

Pour K.E. Weick, il ne s’agit pas uniquement de principes généraux, mais de concepts opérationnels qui se conjuguent avec un apprentissage d’une forme de discipline[ix].  Ces pistes d’action sont réelles et opérationnelles si l’organisation offre aux acteurs les trois sources de sens que sont la culture, la stratégie et la structure. La culture est prise au sens de « valeurs reconnues ».  Elle produit des repères idéologiques, philosophiques ou de valorisation sociale absolument indispensable à une vie en société. De nombreuses personnes n’arrivent pas à faire le lien entre la réflexion philosophique ou spirituelle[x] et sur le lien entre compréhensions des mécanismes sociaux. Weick ajoute aussi la nécessité d’une stratégie (donc d’une narration raisonnablement optimiste et crédible sur le futur.) Il faut donc savoir communiquer un certain nombre de nouvelles avec pédagogie[xi].  La stratégie est un discours prévisionnel qui conditionne les contrats et la position de chacun. Les militaires sont passés maîtres dans ce genre de scénarios et les serious-games et les simulations sont importantes[xii]. Elle apporte une lisibilité sur les décisions, mais également sur la contribution des acteurs qui participent au système d’action collective. En outre, on commence à avoir des réflexions sur les vulnérabilités[ix]. J’en évoque quelques-unes dans un article. Ce terme quand on le comprend bien permet de prendre en compte les relations société/environnement à des échelles spatiales et temporelles relativement longues et diversifiées. Il implique de s’intéresser à la capacité plus ou moins importante de la société à « encaisser » l’événement (résistance), à gérer l’éventuelle crise qui en découle et à retrouver un fonctionnement « normal », relativement proche de son état initial (résilience). Mais il suggère aussi de prendre en compte des situations plus ordinaires comme l’usage et la  gestion de l’espace et des ressources et d’appréhender les politiques ou prises de décision- influençant la gestion des risques. Nos sociétés complexes ont produit des vulnérabilités nouvelles précisément du fait de leur complexité. Dans le cadre des changements globaux qui alimentent la chronique scientifique et politique, la question des perspectives à venir (« à quoi peut-on s’attendre ? ») face aux risques et crises de et pour l’environnement, est une question fondamentale. L’enjeu est celui de la sécurité humaine, voire même, dans des environnements risqués, celui de la survie et des arbitrages nécessaires. Ces arbitrages douloureux avaient donné lieu à une réflexion[xiii].  La société a su prendre en compte de nombreux risques (incendie, inondation, tempête, risques industriels, etc). Il lui faut donc intégrer ce risque de collapse lié aux limites physiques des ressources et des capacités porteuses de la planète. Et comme pour les autres risques il faut investir les sommes nécessaires à cette gestion.

Quelques pistes pour des scénarios

Le collapse a déjà défini les risques potentiels. Il me semble inutile d’y revenir. Vous pouvez les retrouver dans cet article. Énonçons quelques éléments pour améliorer la possible résilience.

Laisser des initiatives germer. Accepter que des personnes se mettent « en marge » et expérimentent autre chose. Cette inventivité par les low-tech ou les pratiques d’échange sera un vivier formidable le moment venu. Accepter de leur allouer des espaces de créativité. Un ami clown (c’est très sérieux les clowns) me disait qu’il voulait qu’on l’aide à créer la maison des idées. Ça, c’est une idée ! Surtout que le rire permet de dire des choses difficiles parfois. Surtout quand l’idée peut avoir des conséquences négatives.

Revoir les espaces de mobilisation pour les choses essentielles. Il faut réorganiser les luttes pour tenir compte des nouveaux enjeux. Les inégalités et l’attention à l’écologie[xiv]. Il faut accepter de renoncer à des clivages profondément ancrés (droite/gauche par exemple). Il faut redéfinir ou redécouvrir ce qu’est, un terrain de vie. Il faut lister ce dont l’homme a besoin pour sa subsistance et, par conséquent, ce qu’il est prêt à défendre, au besoin par sa propre vie. Ce qu’il faut documenter, ce sont les propriétés du « terrestre » — dans tous les sens du mot propriété — par lesquelles il est possédé et ce dont il dépend. Au point, s’il en était privé, de disparaître. La difficulté, évidemment, n’est pas uniquement de dresser une telle liste. Il faut aussi engendrer les conditions de la mise en place des protections nécessaires. Pour notre survie.

Accepter la cohabitation de l’ordre et du chaos. J’ai parlé de la nécessité de laisser un certain désordre et de laisser foisonner les idées alors que plus haut, je parlais de discipline et d’organisation. Contradictoire ? En apparence seulement. On peut trouver des cohabitations qu’il est nécessaire de promouvoir. Cela passe par une valorisation des mécanismes prosociaux et de la construction de sens. Il faudra s’entendre tout en restant souple. il faut aussi apprendre à dialoguer à partir de représentations différentes[xv]. Lorsqu’on dialogue avec les spécialistes de la sécurité il nous disent les choses suivantes. « Aujourd’hui on théorise trop. On fait trop de plans trop détaillés mais on n’aura jamais tous les paramètres. Dans l’opérationnel, qu’il soit pompier ou médical, ce qui marche est de valoriser les capacités de l’expérience qui s’améliorent par l’apprentissage ou le tutorat, auprès de praticiens confirmés. On n’est jamais conditionnés à aucune situation particulière. On travaille des clefs réactionnelles qui nous permettaient d’adapter nos réactions aux moyens existants. Dans un domaine connexe j’aime bien cette phrase : «on improvise et on s’adapte » La méthode de raisonnement tactique basique, c’est un chef, une mission, des moyens. Les tâches urgentes, qu’il faut mener avant toute autre action, et des impossibilités réactionnelles qui obligent à revoir son dispositif pour aller voir ailleurs si c’est possible…Le tout en prenant le moins de risques pour les personnels ou les matériels. La gestion de crise n’est donc pas particulièrement adaptée à la collapsologie, dans la mesure où elle est basée sur des certitudes, tout à fait contestables comme par ailleurs l’économie. Les protocoles trop encadrés ne marchent pas. Il de l’intuition aussi. Un collègue me racontait que les anglais lors des exercices de secours arrêtaient tout face aux difficultés, pour refondre le plan de secours en temps réel et reprendre avec les nouvelles données…Quoique séduisant le système est pervers, car il enferme l’intervenant dans un carcan opérationnel qui supprime toute initiative.»

Former les décideurs à la compréhension des risques. Cette formation est en partie faite mais elle s’appuie trop sur la gestion des risques qui est trop rigide. On sait aujourd’hui que les aléas statistiques sont souvent mal pris en compte[xvi]. il est juste nécessaire de les convaincre que les risques et les vulnérabilités nouvelles nécessitent une méthodologie et une prise en compte nouvelle. Que celle-ci peut s’appuyer sur des outils qu’ils utilisent déjà. La nourriture qui est un bien vital ne peut pas par exemple être laissée aux seules forces du marché. Celui-ci est peut-être un puissant outil d’allocation des ressources à court terme, mais l’efficacité allocative de long terme est mauvaise. Il faut donc réguler et accompagner l’autonomie sur les territoires notamment sur l’alimentation[xvii].

Oser parler intuition, psychologie et spiritualité. C’est un des aspects qui dérange le plus dans la collapsologie. Elle nécessite le courage d’avoir peur[xviii]. Elle nécessite une forme de réflexion philosophique. Basu, ancien économiste en chef de la Banque Mondiale, défend l’intuition. Il montre que souvent elle peut être un guide de réflexion si on n’en reste pas là et que certaines perceptions non techniques peuvent être assez justes. Pensons aux parents d’un enfant atteint d’un trouble psychologique qui le comprennent et le cernent avant l’avis médical qui lui posera les mots.  Il pense que lorsqu’on regarde les modèles normatifs dominants, notamment en économie, les économistes oublient l’intuition et le pragmatisme. La littérature dominante commet deux autres erreurs : elle ne reconnaît pas que, dans la plupart des situations, l’ensemble des actions possibles des individus évolue au fur et à mesure des situations, des opportunités et des compréhension des relations car ils découvre de nouvelles actions qu’ils ignoraient auparavant. Par ailleurs, et plus fondamentalement, la théorie dominante n’admet pas que le nombre d’actions envisageables pour une personne puisse être si vaste et complexe qu’il ne constitue même plus un ensemble définissable. Or mathématiquement, il est souvent impossible de cerner un ensemble regroupant toutes les possibilités. Cette question philosophique à des conséquences dans le domaine de la logique sur la signification d’un ensemble et des systèmes de résolutions qui doivent bien faire appel à l’intuition et à des hypothèses.  J’avais résumé un de ces livres dans un article[xix]. Il est aussi d’un grand secours pour comprendre comment les systèmes sociaux et juridiques façonnent la qualité des représentations ou  des réponses collectives. Certes le collapse n’est pas certain. Pas plus qu’un ouragan. Mais la certitude qu’il n’aura pas lieu non plus. Donc, ne pas traiter cette incertitude est problématique, car les solutions sont tout autant incertaines.  Pour les spiritualités il faut accepter de se frotter aux systèmes religieux et à leur discours sur l’écologiex. Cela permet aussi de se poser les questions essentielles sur le sens d’une vie et sur la valeur de la nature, de l’homme et d’une vie en harmonie possible. Le travail de Nussbaum sur les capabilités est aussi remarquable[xx].

Comprendre que j’aurai besoin de l’autre. «Nous devons apprendre à vivre ensemble comme des frères, sinon nous allons mourir tous ensemble comme des idiots » disait Martin Luther-King. Cette réflexion sur le politique doit nous permettre de comprendre que nous ne ferons pas de société sans les autres et que nous ne pourrons pas leur imposer notre point de vue. S’il n’y a pas des degrés de liberté, les gens refuseront les solutions par un phénomène de réactance. Il faut malgré tout laisser des espaces de liberté donc des choix[xxi]. Cela marche aussi pour l’action qu’on propose. Mais cependant, cela ne veut pas dire qu’il n’y aura pas de conflit. Souvent les intérêts sont antagonistes. Il faut donc accepter des rapports de forces dans les systèmes de valeur à défendre. Cela ne passe pas nécessairement par la violence, mais par l’art de convaincre.

 Comprendre les mécanismes psychologiques et de coordination des marchés. Il est nécessaire d’avoir une approche importante des fonctionnements du marché et des relations sociales.  Le livre de Basu dont j’avais produit un résumé traité très bien ces questions[xxii]. Il faut aussi comprendre ce qui bloque les réactions des gens avant de passer à l’action[xxiii]. On connaît les principaux. Notre difficulté au traitement cognitif de cette masse d’informations et à faire le lien entre elle. L’échelle de Chefurka l’aborde. Les idéologies qui sont des représentations du monde simplifiée et le mirage de la technosalvation. Notre volonté en nous comparant à autrui d’avoir plus. C’est plutôt les inégalités qu’il faut traiter. La peur des coûts irrécupérables et l’inertie comportementale. La défiance dans le discours des scientifiques qui alertent. Les risques perçus et les changements de comportements limités.

L’enfant se réveilla

« L’enfant se réveilla. Il était engourdi. Il avait un peu froid et se sentait secoué. Il ne savait pas combien de temps avait duré son sommeil. Il ne comprenait pas. Il se voyait à présent dans un paysage dégradé. La pollution l’entourait. Le bruit de conflits au loin et les détritus qui jonchaient sa douce prairie aux abords de son jardin permacole. Pourquoi tout cela ? Il se mit à observer et à penser les conséquences de ce qu’il voyait. Pourtant quand il se mis à songer, il trouva étrange sa capacité de réflexion. Il n’était pas semblable au Petit Prince de Saint-Exupéry. Pourquoi cette référence alors qu’il ne savait pas lire ? Si maintenant, il savait. Étrange de décoder le monde sur du papier et pas dans l’observation des mouvements ondoyant de la brise sur les arbres.  Beaucoup trop mature pour son âge malgré son long sommeil. Mais la sieste avait réparatrice. Il se sentait plein d’énergie. Il ressentait une sensation bizarre. Comme s’il avait été secoué. Peut-être ce fripon divin qui le suivait depuis sa naissance. Le trikster avait été plus sauvage que d’habitude. Il devait avoir une sacrée colère. Mais après tout ce lutin vivait au contact de la nature. On avait tellement dégradé son habitat qu’il pouvait comprendre sa colère. Il devait informer ceux qui l’entourait. La leçon de ce réveil brutal avait été rude. Quelque chose de nouveau apparaissait dans son esprit. L’enfant devait tenir compte de ce réveil inhabituel. Mais il avait confiance. Il avait ses outils. Sa tête, son cœur et ses mains. On lui avait appris à essayer et à chercher des solutions par lui-même. Il savait se servir de sa tête, de son cœur et de ses mains. Il pouvait avancer et se projeter dans ce nouveau monde même si l’ancien était mort. Il était finalement survivant et il avait rendez-vous avec l’inconnu de son premier âge. Il y aurait d’autres choses à découvrir et des éclats de rire pour, à nouveau, arrêter un instant le chant des oiseaux et de la nature qui se régénérait.»

L’enfant, c’était moi. C’était mon enfant intérieur. Je l’avais laissé trop longtemps endormi. je n’avais pas su lâcher-prise et revivifier la source de mon émerveillement pour sauvegarder ce qui pouvait l’être. J’avais agi mais peut-être pas assez. Mais ce n’était pas trop tard. Il n’est jamais trop tard. Sinon plus rien n’a de sens. Je pouvais modifier à ma mesure les choses. Je n’ôterais pas toutes les souffrances. Mais elles ne devaient pas me dominer. Certes, « il n’y a qu’à la souffrance qu’on ne ment pas » disait Giono. Mais il avait su la dépasser en plantant des arbres. Elzéard Bouffier son personnage avait composé une ode à l’opiniâtreté, à la patience, à l’humilité, et à l’amour de la terre dont je dépendais. Pour ne pas désespérer. Pour donner du sens à son monde absurde. Je ferai pareil.  Tout ne serait pas facile maintenant. Je comprenais la dégradation de mon environnement et des écosystèmes. Je savais que la souffrance use l’espoir et la foi et qu’il ne fallait pas céder. Mais je l’acceptais. Une vie sans souffrance n’existe pas. Le bouddhiste ou les autres religions ou spiritualités le disent aussi. Elles donnent des clefs pour la dépasser. Comme l’impermanence des choses.  Moi aussi, j’allais renaître et veiller à ne plus laisser s’endormir l’enfant.  Je m’avançais dans le jardin. Comme un flash. Je respirais. Un souvenir. Un éclair de lumière blanche attira mon attention. Il était bien là et débutait maladroit son envol. Je pouvais encore m’émerveiller du papillon. Encore, l’odeur d’herbe mouillée,  et ce vol gracile dans la lumière irisée de la rosée des regains du jardin permacole. Le printemps était- là pour effacer les frimas de l’hivers. Le cycle de la vie reprenait. Je pouvais avancer. Il restait peu de temps et j’avais tant à faire. Déjà il fallait aider les gens qui ressentaient ça. Il leur fallait un espace. La collapso heureuse leur serait destinée. Je savais aussi qu’elles étaient mes valeurs et pourquoi j’agissais. Ma participation à des collectifs ou à des combats nécessaires en serait facilitée.

 

[i]  Jean Giono; La chasse au bonheur

[ii] Jean Giono ; L’homme qui plantait des arbres

[iii] Jean Giono ; L’Oiseau bagué

[iv] Jean-François Vézina ; Danser avec le chaos

[v]  https://theconversation.com/la-collapsologie-est-elle-une-science-87416

[vi] David Autissier et Faouzi Bensebaa (dir.), Les Défis du sensemaking en entreprise. Karl E. Wieck et les sciences de gestion.

[vii] http://loic-steffan.fr/WordPress3/dynamique-homme-nature-handy-modelisation-des-inegalites-et-de-lexploitation-des-ressources-dans-leffondrement-ou-la-soutenabilite-des-societes/

[viii] http://loic-steffan.fr/WordPress3/analyses-economiques-et-societales-sont-liees/

[ix] La discipline, dimension oubliée de l’action en contexte extrême ? L’exemple des sapeurs-pompiers de Paris Anne Dietrich, Jérôme Riberot et Xavier Wepp Revue française de gestion » 2016/4 N° 257

[x] http://loic-steffan.fr/WordPress3/religions-et-ecologie/

[xi] http://loic-steffan.fr/WordPress3/climat-et-effondrement-peur-ou-optimisme-comment-communiquer/

[xii] Serious games et gestion de crises, Sophie Cros Patrick Ruestchmann

[xiii] http://loic-steffan.fr/WordPress3/effondrement-qui-vivra-qui-mourra/

[xiv] http://loic-steffan.fr/WordPress3/ou-atterrir-le-dernier-latour/

[xv] http://loic-steffan.fr/WordPress3/methodologie-pour-penser-leffondrement/

[xvi] http://loic-steffan.fr/WordPress3/puissance-queues-et-cloches-nous-gouvernent/

[xvii] http://loic-steffan.fr/WordPress3/lagriculture-est-un-des-principaux-enjeux-de-demain/

[xviii] deux références différentes mais complémentaires. Eric Chevet, le courage d’avoir peur : réflexions sur le catastrophisme  et Marie-Dominique Molinié, le courage d’avoir peur (réflexion théologique).

[xix] http://loic-steffan.fr/WordPress3/au-dela-du-marche-un-livre-essentiel/

[xx] http://www.ethikos.ch/3118/les-capabilites-selon-martha-nussbaum

[xxi] http://loic-steffan.fr/WordPress3/ne-pas-ceder-a-la-panique-pour-le-climat-ou-leffondrement/

[xxii] http://loic-steffan.fr/WordPress3/au-dela-du-marche-un-livre-essentiel/

[xxiii] http://loic-steffan.fr/WordPress3/barrieres-psychologiques-pour-agir-pour-le-climat/