– Salut Loïc, ça va, toujours à Albi ?
– Oui super, tu le sais, j’adore ma ville. Ma femme m’a surnommé le bernique. Elle dit que je suis attaché à la ville comme le bernique à son rocher. Pas question de bouger. Du coup, elle se moque gentiment de moi. J’aime la ville et les gens.
– C’est une chouette ville, tu as raison. En plus, elle est super, non ?
– Oui elle est super. Les gens aussi. Mais franchement l’évolution m’inquiète on dirait qu’elle devient un village Potemkine… La ville ne profite qu’à quelques uns. Il y a trop de laissés pour compte. Moi, je suis du bon côté de la barrière, mais je trouve la situation injuste.
– Un quoi ?
Un village Potemkine. C’est une expression. Ca désigne un trompe-l’œil à des fins de propagande. La légende raconte que Potemkine, un ministre russe avait érigé des façades en carton-pâte afin de masquer la pauvreté des villages lors de la visite de l’impératrice Catherine II en Crimée au 18e siècle. Albi c’est un peu ça. Une super façade avec la cité Episcopale, des décos et des animations à Noël et un super festival, des photos pour Albimag mais des problèmes qui se font jour. Il faut être aveugle ou de mauvaise foi pour ne pas les voir.
– Tu n’exagères pas un peu, non ?
– Pas vraiment en fait. Tu sais quand tu aimes ta ville, ça fait mal au cœur de critiquer. Mais il faut être lucide. Déjà on a le cinquième quartier le plus pauvre de France avec Cantepau. C’est franchement le genre de performance dont on se passerait. Dans ce quartier, l’argent de la drogue c’est deux fois les revenus du travail. C’est intenable. Pour le reste, j’ai découvert l’ampleur des dégâts l’an dernier en cours. Je parlais de finance publique locale à des étudiants. On a regardé des villes pour prendre des exemples. D’abord Rodez. rien à signaler. Puis d’autres villes. Un étudiant m’a demandé pour Albi. Il y a un truc qui m’a alerté. 9 € de fond roulement par an et par habitant. La moyenne nationale est à plus de 300 € et Rodez à plus de 500 €. Du coup, j’ai dit aux étudiants qu’il y avait une erreur sur le site et que je revenais la semaine d’après avec les bons chiffres. Le problème c’est qu’il n’y avait pas d’erreur. Si tu ne sais pas ce que c’est, le fond de roulement c’est ce qui te permets de payer tes factures parce que tu as assez d’argent. Là on est plus que limite.
– A oui quand même. Va y développe.
– En regardant de plus près, j’ai vu que la mairie avait sacrément embauché alors que des compétences partaient à l’agglo. plus 100 personnes c’est énorme quand tu as moins de 600 personnes au départ. Ce n’était pas cohérent. Et comme les recettes stagnent et que les dépenses augmentent tu te retrouves à sec. Les fameux 9 € de fond de roulement. Là j’ai découvert que ma taxe d’habitation et ma taxe foncière augmentaient de plus de 8 %. De manière vicieuse en plus. En jouant sur les abattements. Je t’explique. Imagine que tu as 100 €. Avant de t’imposer on applique un abattement. Disons 20 %. Du coup tu paies ta taxe (10 %) sur 80 €. Ca fait donc 8 € d’impôts. Si je baisse l’abattement à 10 % par exemple, tu seras imposé sur 90 €. Du coup, tu paies 9 € d‘impôts. Ils ont augmenté de 12,5 % dans cet exemple. C’est ce qu’ils ont fait à Albi. Ca donne + 8 %. Du trompe-l’œil comme dans mon village Potemkine.
– Tu es sérieux ?
– Ben oui. Hélas. C’est dur de critiquer une ville que tu aimes. Franchement, je ne pensais pas que les finances pouvaient se dégrader aussi vite. Le maire d’avant, je ne l’avais jamais critiqué. Il avait laissé une situation très correcte et il avait mis en place l’élue actuelle. Je n’avais aucune raison de m’inquiéter. Sans le cours avec les étudiants, je n’y aurais pas prêté attention. J’étais dans l’idée que ça allait continuer parce qu’il avait choisi son successeur. En plus comme elle était catho et que c’était une femme, je me disais que c’était un bon choix. Je n’ai rien dit pendant longtemps. Il a vraiment fallu charger la barque pour que je réagisse.
– Je comprends. C’est pas aussi lié à l’Etat qui donne moins d’argent ?
Ben non. Si tu regardes en détail, tu vois qu’ils mettent tout sur le compte de la baisse de la dotation que leur fait l’Etat. C’est faux parce qu’elle ne baisse plus depuis deux ans. En plus elle ne représente qu’une faible partie des recettes. De l’ordre de 15 %. Et 15 % de baisse sur 15 % de recettes, ça ne fait que 2 % de baisse. Ca n’explique pas la dérive financière. Elle vient de la mauvaise gestion des dépenses essentiellement. On a perdu presque 8 millions d’excédent. C’est un truc de malade. En plus, elle a le culot de charger le type qui l’a mis en place. C’est d’autant plus nul que lui on ne peut lui reprocher sa gestion. Tu peux critiquer ses choix politiques si tu n’es pas de son bord mais pas sa gestion.
– Tu as d’autres exemples comme ça ?
– Oui. La dette par exemple. Ils disent qu’elle a baissé. hier encore un élu par exemple. Mais ils s’arrêtent à 2017. Or en 2018 et 2019, ils ont recommencé à s’endetter Elle était de 70 millions au début du mandat mais il y avait un excédent de 9 millions. En gros en 7 ans tu pouvais rembourser. Elle est descendue à 56 millions pour remonter récemment. Résultat. 68 millions et 2 millions d’excédent. Il faut plus de 30 ans pour rembourser. Heureusement, il n’y pas d’emprunts toxiques comme dans d’autres communes. Tout est à l’avenant. Les frais généraux sont presque 2 millions au dessus de ce qu’ils devraient être quand tu regardes les ratios de gestion. La politique de subvention aux associations, c’est du saupoudrage. Mais comme c’est hyper technique personne ne s’en aperçoit.
Il n’y a personne qui alerte ?
Si si. Vivalbi par exemple. Mais on peine à être entendu. On n’a pas les outils de communication de la mairie et pas assez de notoriété. On a produit plein d’analyses. Et puis il y a eu un rapport de la chambre régionale des comptes. Un vrai désaveu. Mais l’opposition n’en a rien fait. L’équipe actuelle a essayé de charger l’ancien maire mais quand tu connais les chiffres c’est assez faux. L’investissement du grand théâtre est absorbé. Et la presse n’a pas relevé les points les plus saillants. Tu sais parfois, quand le sage montre la lune, l’idiot regarde le doigt. La politique touristique, l’augmentation du personnel, etc. Tout ce qu’on avait pointé a aussi été relevé par la Chambre Régionale des Comptes. Au moins, ça prouve qu’on sait ce qu’on raconte. Le plus drôle, c’est que l’élu communiste, au lieu de profiter de la situation pour dénoncer la politique municipale, a dénoncé la vision comptable de l’organisme d’Etat. On croit rêver. Je pense que les gens préfèrent l’illusion à la gestion. C’est inconfortable d’admettre qu’on n’a peut-être pas fait le bon choix avec l’équipe actuelle. Et comme ils communiquent bien…
– Mais Albi a de supers projets. Il y a un super battage sur l’autonomie alimentaire. La ville est dynamique.
– Parlons-en. De la com. Autonomie alimentaire en 2020. Tu parles. La réalité, c’est 1,57 % d’autonomie alimentaire. Rien n’a avancer. La ville a fait son plan alimentaire territorial dans son coin alors que c’est pertinent à l’échelle de l’agglomération. Là, ils vont annoncer un petit projet de formation et une régie mais ils ont perdu 6 ans pour des questions d’ego et de pouvoir car ils ont mis de côté les écolos et ils viennent de jeter un maraîcher comme un mal propre. C’est assez dégueulasse. Pareil pour le transport collectif. La ville parle de businova, de sa politique et des déplacements doux et elle est classée 96e sur 100 pour les transports collectifs. Tu parles d’une performance ! Je peux multiplier les exemples. Pour les surfaces arborées c’est pareil. Tu vas sur le site nosvillesvertes et tu découvres que la ville est mal classée. 4 point derrière Toulouse ou Castres par exemple. Même Carcassonne qui est ville sèche fait mieux. Et puis il y a la qualité de l’air. L’indice Atmo oscille en permanence entre 4 et 6 à minima sur une échelle de 1 à 10. Bon y a quelques trucs sympa. En ce moment la LPO et d’autres associations environnementales font un inventaires de la biodiversité. Mais il n’est pas utilisé et mis en valeur. Il y a peu de communication dessus et à part quelques spécialistes la population n’est globalement pas au courant.
– Mais la ville se développe quand même.
– Ca dépend du critère que tu prends pour l’analyse. On vient d’avoir l’étude de l’INSEE. Albi perd des habitants. Quand tu regardes en détail, tu vois que le nombre de ménage est constant mais que la taille des ménages diminue. Heureusement l’ancien maire avait mis des logements en production. Sinon cela aurait été pire. Mais là, il n’y a plus de résultats. On dirait qu’il y a un effet d’éviction des jeunes ménages à causes des impôts et du prix de l’immobilier et de l’accès à la propriété. Peut-être un effet Airbnb à cause du tourisme. Mais il faudrait une étude pour le voir. Il va falloir sacrément étudier la question. Pour l’économie c’est pareil. Il y a un dispositif sympa d’accueil des jeunes pousses mais Albi perd des emplois. J’avais produit une analyse la dessus. Dyrup dans l’agglomération par exemple. Et le centre-ville se vide. Il y a le taff d’un lanceur d’alerte qui le montre avec les emplacements commerciaux vides et on a même eu droit à un reportage dans le New-York times sur la question. Pour la circulation, c’est pas mieux. On a mis trop de commerces en périphérie et on a saturé la circulation. Et par effet de vases communiquants on pénalise le coeur de ville. Or un centre vide et mort, c’est pas le top pour les touristes. Comme il n’a pas les parkings relais promis et l’offre de déplacement doux adéquate, donc ça bloque. Le quatrième pont n’a pas démarré. C’est l’arlésienne. Un vrai village Potemkine, je te dis.
– C’est assez noir comme scénario ton truc.
– Pas tant que ça en fait. Albi a toutes les cartes en main. Il y a une fac et une école des Mines. Il y a un gros potentiel et la proximité de Toulouse. On est sûr la diagonale européenne. On peut aussi imaginer des tiers-lieux en ville pour le redynamiser et le rendre vivant. Des gens qui consomment et qui sortent. Le monde attire le monde. Il faut des animations pérennes. Pas uniquement l’été. Il existe plein de solutions de bon sens qui ne coûtent pas forcément cher. Mais comme l’équipe actuelle est dans l’autocongratulation et qu’elle n’écoute personne… Dans la vie, tu peux régler les problèmes à condition de regarder la réalité en face. Il y a des choses dynamiques, un sacré tissu associatif, culturel et économique qui ne demande qu’à être aidé et un fort sentiment d’appartenance à la ville. Elle est belle et il y fait bon vivre quand même. A condition de régler le problème de la pollution de l’air et le problème de l’accès aux soins et à des services. Il y a de la place sur les communes limitrophes pour des équipements et des l’installation d’activité et un vrai partenariat avec ces communes de l’agglo permettrait de trouver des solutions. Pour ça, il faut les respecter et bosser conjointement avec eux. Il y a plein de personnel technique en place très compétent qui n’est pas suffisamment écouté. Il y a plein de ressources en ville. Mais les élus actuels ne bossent qu’avec et pour leurs potes ou obligés.
Pour moi, il suffit de virer les gens en place et mettre des gens compétents avec un autre projet politique. En gros il faut juste corriger l’erreur de casting. J’y crois. J’espère que les albigeois vont comprendre que le miroir aux alouettes, ça ne fonctionne qu’un temps. Et plus on attend, plus cela sera douloureux de corriger le tir. Il faudrait mieux le comprendre maintenant plutôt que de perdre 6 ans de plus… Mais ça, c’est pas moi qui décide. C’est les électeurs albigeois. Et comme je n’ai pas leur armada de communication et qu’ils n’hésitent pas à mentir ….