Albi : commerces de centre-ville

Le problème du centre-ville semble être un objet de préoccupation et il y a eu une passe d’armes entre une ancienne élue de la majorité et l’équipe en place. Essayons d’y voir un peu plus clair. Tout d’abord, on peut regarder les principales fonctions d’une ville. Je les ai résumées dans ce schéma.

Comment se faire une idée grâce aux études existantes
Jusqu’en 2016 PROCOS publiait une carte de France de la vacance commerciale. Ce n’est plus le cas, car chaque année les résultats étaient relativement « mauvais » et ils ne souhaitaient pas passer pour des oiseaux de mauvais augure. Sur Albi, un lanceur d’alerte a pris le relais et publie chaque année un état des lieux de la vacance commerciale. Il devrait être remercié, car il permet d’objectiver les choses. Et une étude de ce type réalisée par un cabinet serait assez onéreuse. À la place, et ceux depuis 2016, Procos réalise chaque année, le classement des centres-ville les plus dynamiques. Le classement 2019 vient d’être publié.

Les points clefs de l’étude 2019
Tout d’abord, il réside dans la place du commerce indépendant dans le dynamisme commercial des villes qui réussissent dans la catégorie villes moyennes comme Albi. Il faudrait donc plus d’indépendants reconnus pour leur savoir-faire ou leur typicité. Or si on en croit l’étude du lanceur d’alerte albigeois, on constate au contraire, une surreprésentation des commerces d’habillement et de chaîne.  On voit donc un hiatus entre ce critère d’excellence et la réalité. Ensuite, l’attractivité d’un centre-ville réside dans sa capacité à se démarquer en termes d’ambiance urbaine, à créer de la convivialité, à proposer de nouveaux services et a avoir une identité. Enfin, ce n’est plus le commerce qui rend le centre-ville attractif. L’offre commerciale est pléthorique ; elle ne constitue plus un appel suffisamment puissant. De plus, les consommateurs ont désormais un choix important grâce aux nouvelles technologies. Ils se rendent donc dans un lieu pour chercher autre chose.

L’étude Procos appelle les élus à agir

Un constat ne suffit pas.  Il est préférable de donner des pistes pour agir.  Cette situation n’est peut-être pas une fatalité. Procos l’affirme : « Prise de conscience, diagnostic, anticipation, politique volontariste et mesures opérationnelles » sont au final les points communs entre toutes les villes lauréates du palmarès 2019. Autrement dit, un choix politique avec une véritable vision de la ville à long terme et surtout un dialogue avec les usagers et les professionnels. C’est ce que nous souhaitons pour notre agglomération.

Peut-on dire que la ville d’Albi n’a rien fait ?

La ville semble avoir essayé .Elle avait voté un plan de mesures dont elle avait fait la promotion dans un dossier d’Albimag en octobre 2016. Il y avait entre une conciergerie et la volonté de faire venir de nouvelles enseignes (ce qui est contradictoire avec l’intérêt des indépendants), mais on peut constater que les mesures ont été peu efficaces. De plus, l’an dernier la ville a signé une convention avec le ministre en charge de la politique de cohésion des territoires dans le cadre d’ « Action coeur de ville ». C’est assez tardif. Il existe des documents de travail et de cadrage, mais ils ne sont pas en ligne. Nous ne les avons pas trouvés. C’est dommage, car c’est la base de sur laquelle s’appuiera le porteur de projet.

L’évolution du commerce

On assiste a deux phénomènes concomitants. D’une part la montée en puissance du commerce en ligne qui est passé en 10 ans que quelques milliards à près de 100 milliards prévus en 2019 et 9 % de part de marché. Il offre au consommateur un choix pléthorique que n’est pas capable de reproduire le commerce traditionnel. D’autre part l’hégémonie des grandes surfaces en périphérie des villes. Le nombre de m² évolue bien trop vite et beaucoup plus vite que le pouvoir d’achat des Français. Il y a forcément de la casse. A Albi, il y avait 50 000 m² de grande surface en 2014. En l’espace de 2 ans 25000 m² ont vu le jour.  Au nom du pouvoir d’achat, la France a choisi de ne pas brider le développement de la grande distribution et fait de ce secteur le plus puissant de l’économie française. C’est le fruit d’une volonté politique délibérée remontant à 2007 et à la loi de Modernisation de l’Économie du 4 août 2008. En intensifiant la concurrence entre les enseignes de la grande distribution, le gouvernement d’alors espérait créer une relance de l’économie. Ce fut un échec. Chaque acteur tente d’asseoir sa suprématie sur sa zone de chalandise pour asphyxier ses concurrents quand une extension ou une création est accordée. Et qu’importe si cette guerre présente un coût élevé sur le plan environnemental et urbain. En plus, Il est en effet plus facile d’investir en périphérie, car les contraintes architecturales sont moins fortes, le foncier moins cher, car il n’y a pas besoin de démolir pour reconstruire et les taxes d’aménagement sont plus basses. Par ailleurs,  la peur paralyse et bloque les réactions. À quelques exceptions près (les livres de Christian Jacquiau, Les coulisses de la grande distribution et de Philippe Moati, L’avenir de la grande distribution, remontent déjà à 2000 et 2001), le silence gêné et les commentaires en off dominent aussi bien parmi les acteurs économiques qu’au sein d’une classe politique qui s’emploie à relativiser la gravité de la situation. Peur des représailles d’un secteur qui dispose d’une puissance de négociation sans commune mesure. Peur d’un acteur qui a investi tous les pans de l’économie et sait le rappeler à chaque fois que nécessaire. Il n’est qu’à voir le peu d’articles universitaires  et d’initiatives parlementaires sur l’impact économique, social, environnemental et urbain de la grande distribution pour s’en convaincre. Ensuite la loi Cela conduit a maintenir les créations et l’artificialisation des terres qui est peu compatible avec les objectifs des SCOT et PLUI. En plus les grands centres commerciaux sont devenus des lieux de destination. Les gens y vont pour se divertir au détriment de la ville qui perd son attractivité et sa capacité à drainer du monde.

Un Moratoire sur les grandes surfaces ?

D’une part, les CDAC peuvent restreindre les autorisations. C’est rarement le cas. Ce moratoire serait contraire aux règles européennes de la libre concurrence. D’autre part, chaque centre-ville a une problématique territoriale différente. Pour les territoires qui veulent se prémunir de nouvelles surfaces commerciales, leurs élus ont déjà la possibilité de le faire, via les schémas de cohérence territoriale (SCOT) qui peuvent déclarer inconstructibles les zones à protéger. Mais le SCOT albigeois n’a pas beaucoup réglementé ce problème.

Le problème spécifique des parkings en centre-ville

Le commerce peut se répartir en deux catégories. Les commerces de proximité qui nécessitent un stationnement de courte durée pour pouvoir fonctionner et les commerces qui sont visités dans le cadre d’un parcours plus déambulatoire en ville. Pour les premiers il faut organiser un stationnement court à proximité. Mais la ville d’Albi a une particularité. Tous les grands équipements (CG, lycées, préfecture, hôpitaux, etc) sont au cœur de ville. Ils nécessitent des stationnements longs ou une offre de transport en commun alternative qui est pour l’instant insuffisante. Il faut aussi revoir les contrats qui lient la ville aux opérateurs de stationnement. Ce travail aura un coût pour la collectivité. C’est une question qui sera traitée dans le débat sur la mobilité qui a déjà fait l’objet d’un article.

Le problème spécifique de l’amplitude horaire des commerces de centre-ville.

Le métier de commerçant est déjà un métier difficile qui nécessite de nombreuses heures de présence sur le lieu de vente. Les commerçants sont des gens qui ont une véritable passion pour leur métier. Pour, Olivier Dauver ou David Lestoux, il est grand temps d’adapter les horaires des commerces du centre-ville aux nouveaux temps sociaux. Les commerces ne sont ouverts que 22% du temps dont disposent les actifs pour consommer. Et les deux auteurs de se questionner : «Pourquoi ouvrir entre 10h et 12h s’il n’y a personne ? » Mieux vaudrait ouvrir le midi, plus tard le soir, le dimanche jusque 13h… Oui mais pour augmenter l’amplitude horaire, il faut pouvoir embaucher. Or pour embaucher, il faut augmenter le chiffre d’affaires. Difficile à envisager quand on développe les achats en périphérie de ville. Les budgets des ménages n’étant pas extensibles, on consomme à un endroit ou à un autre. Mais la part de budget consacré à une dépense ne varie que très peu. Où alors il faut augmenter le nombre de clients et la zone de chalandise. Mais une évolution de la population prend du temps.

Les politiques globales favorables.

Quelle que soit la taille de l’agglomération, on constate un travail particulier des villes qui résistent mieux sur les 5 éléments suivants :

– renforcement des transports en commun
– développement de l’attractivité touristique
– Politique événementielle autour de la culture et des loisirs.
– Lieux atypiques à forte personnalité qui drainent une clientèle affinitaire
– Commerces qui sont autant des lieux de vie que de vente

Les villes moyennes à suivre

Il s’agit d’Annecy, Quimper et Amiens. Il faudrait aller voir ce qui s’y passe. À Annecy, « de nombreuses boutiques ont ouvert dans des domaines d’activités qui ont tendance à fermer : deux boucheries, une crémerie, une librairie… ». La politique officielle de la Mairie est de « préserver le commerce de proximité, mais aussi préserver le commerce dans sa diversité ».Le centre-ville d’Amiens a lui été classé meilleur centre-ville marchand dans la catégorie villes moyennes. Son centre-ville possède « des indépendants de grande qualité dont la notoriété dépasse les seules limites communales » ! C’est un élément clef à travailler avec les chambres des métiers et avec la chambre de commerce. Certains commerces de bouche peuvent devenir des commerces de destination. On s’y rend pour la qualité des produits proposés.

 

À quoi ressemblent les nouveaux commerces qui fonctionnent ?

Selon David Lestoux, consultant spécialisé dans l’attractivité commerciale, il s’agit de commerces hybrides et qui proposent une ambiance atypique. Par exemple, un commerce de prêt-à-porter sans rayonnages où les vêtements sont présentés comme dans un appartement où on peut aussi acheter les meubles et les objets de déco présentés. Les points de vente qui fonctionnent bien sont très scénarisés. Le commerce hybride – où on va acheter ce dont on a besoin et où on craque de façon imprévue pour un bijou, un bouquet de fleurs ou une pâtisserie – est pile dans la tendance.

Les générations Y (nées entre 1980 et 1995)  et Z (nées après 1995) sont à la recherche d’univers et d’atmosphères ; le commerce cloisonné ne leur parle pas. La vitrine numérique, permettant d’avoir accès à une gamme de produits bien plus large que celle en boutique, fonctionne bien aussi. Le client bénéficie de conseils du vendeur lors de sa commande. »

Travailler le centre-ville

La question de l’attractivité comme lieu de vie sera un des enjeux de la prochaine campagne municipale. Elle devra se faire de concert avec la vacance d’habitation au coeur de la ville et les problèmes de mobilité. En lisant attentivement l’étude très complète de Procos, on constate donc qu’un équilibre entre commerçants indépendants et enseignes est indispensable à la vitalité des centres-villes. Une condition nécessaire, mais non suffisante. « Prise de conscience, diagnostic, anticipation, politique volontariste et mesures opérationnelles » sont au final les points communs entre toutes les villes lauréates du palmarès 2019. Autrement dit, un choix politique avec une véritable vision de la ville à long terme.