L’économie doit être pensée au service de l’homme. Bien sûr, celui-ci ne vit pas en autarcie et échange avec des territoires plus ou moins grands et lointains des marchandises en fonction du développement de l’économie dans lequel il est inséré. Pour que le système soit pérenne, il faut que l’économie soit durable. Or, nous vivons une époque où se cumulent plusieurs crises qui rendent notre situation instable. Cet empilement rend la situation complexe.
Jean-Pierre Dupuy écrit : « penser les catastrophes permet parfois de les éviter ». Je vais de ce fait essayer de tracer un chemin possible, au risque de la simplification.
Une croissance durablement faible ?
Tout d’abord, nous risquons de connaître une croissance durablement faible. Phénomène récent apparu au XVIIIème siècle, la croissance nous a accompagné ensuite pour connaître son apogée durant les Trente Glorieuses. Celle-ci est déterminante pour les équilibres économiques. En effet, elle est nécessaire au maintien de l’emploi, à la résorption des déficits et à la préservation d’un consensus social. Or, de nombreux vents contraires soufflent sur la croissance comme le montre R. Gordon. La démographie est aujourd’hui moins favorable ; les performances éducatives plafonnent ; les inégalités pèsent sur la croissance ; les politiques d’austérité limitent les Etats-providence ; la mondialisation génère des comportements de mise en concurrence des Etats et enfin, les contraintes environnementale empêchent de projeter une croissance future.
De plus, Gaël Giraud montre que la croissance est fortement liée à la consommation énergétique dont le coût va fortement augmenter dans un futur proche malgré l’illusion actuelle. Il faudra alors apprendre à vivre dans un monde stationnaire tout en repensant nos solidarités. Cela ne se fera pas sans difficultés.
Par ailleurs, elle n’est pas un indicateur toujours pertinent. En effet, au delà de 15 000 $ par an et par habitant, il n’y a plus amélioration du bien être mais production de CO2 et destruction de la planète.
Réagir à l’appauvrissement des ressources et au problème climatique
Ensuite, nous allons connaître des problèmes de ressources et de changements climatiques. La France est d’ailleurs très en retard. La période des ressources bon marché s’épuise. Le pic d’Hubbert est franchi pour le pétrole par exemple et le prix actuel donne un mauvais signal. Il va y avoir des problèmes sur de nombreux secteurs et notamment sur les terres rares qui sont indispensables aux produits technologiques. Le développement des économies mondiales risque de produire des effets déstabilisateurs récurrents comme l’indique entre autres Jancovici.
En outre, le rapport du Giec vient d’être rendu et il est alarmant. Le coût des catastrophes et leurs caractères hiératiques va provoquer des problèmes agricoles. L’équation de Kaya est redoutable. C’est l’effort qu’il serait nécessaire d’opérer pour limiter le réchauffement climatique à 2 °c. On sait qu’un réchauffement de 4 ° c a des conséquences délétères sur la biodiversité, les catastrophes naturelles et l’agriculture notamment. Pour schématiser au risque de la caricature, il faudrait soit réduire drastiquement le CO2 contenu dans l’énergie nécessaire à la production de richesse, soit réduire celle-ci d’un tiers par habitant (on ne résout pas le problème des inégalités incroyables entre le Nord et le Sud), soit supprimer un tiers de la population mondiale (une extermination de masse). De plus, les territoires sont très dépendants des échanges et des transports. Or, notre urbanisme découle d’une époque ou les transports individuels en automobile étaient la norme. Nous avons mité le territoire et éloigné la production de denrées des lieux de vie. A la moindre crise, il sera très difficile de nourrir les populations et de se déplacer. Notre agriculture est très dépendante de la mécanisation et des intrants phytosanitaires qui sont liés au pétrole.
Nassim Taleb nous dit que les systèmes en apparence robustes peuvent être fragiles car au dessus d’un certain niveau de choc, ils cassent. Il est préférable de construire des modèles « antifragiles » ou résilients. Le problème vient du fait que les coûts pour solutionner les problèmes sont immédiats et les bénéfices, hypothétiques et futurs. Si nous ne faisons rien, les bénéfices seront immédiats et les coûts ultérieurs.
Penser la résilience et le local
Le concept de résilience a été introduit par l’écologiste canadien C.S. Holling en 1973, pour décrire la persistance des systèmes naturels face à des perturbations naturelles ou causées par l’homme. Brian Walker indique :« La résilience est la capacité d’un système à absorber un changement perturbant et à se réorganiser, tout en conservant essentiellement la même fonction, la même structure, la même identité et les mêmes capacités de réaction. »
Les cultures régionales sont ancrées sur des territoires. Elles promeuvent donc des liens de proximités sur la logique des cercles concentriques. Ces territoires plus modestes sont moins stables mais adaptables. A l’inverse, les systèmes centralisés sont stables mais peu adaptables. Le fait de vivre dans un système entièrement globalisé constitue un affaiblissement de la résilience. Les producteurs exportent leurs productions et les consommateurs importent ce qu’ils consomment. Tous sont dépendants, au quotidien, du bon fonctionnement du commerce international, du système boursier, de transports nombreux, efficaces et fiables. S’ils ne le sont plus, le système est en danger.
La relocalisation et l’augmentation du niveau d’autosuffisance est un des moyens d’améliorer la résilience locale et de penser différemment les liens sociaux. Des initiatives existent. Les villes en transitions ou les incroyables comestibles en sont des exemples. Eric Dupin est allé à la rencontre des expériences qui émergent et les a regroupées dans un livre « les défricheurs ». Guidés par un idéal lesté de pragmatisme, ces défricheurs d’un monde nouveau expérimentent et innovent dans des domaines fort divers. Certains, souvent en rupture franche avec la société, vivent dans des yourtes ou dans des « habitats légers ». D’autres, à l’opposé, sont des « alterentrepreneurs » qui se fraient un chemin exigeant, socialement et écologiquement, dans l’économie de marché. Et le champ des expérimentations est vaste : agriculture paysanne et circuits de proximité, écovillages et habitats partagés, renouveau coopératif et solidarité inventive, éducation populaire et écoles alternatives souvent bilingues.
Les promoteurs des langues régionales, souvent épris de rapport sociaux de proximités et inlassables défenseurs de modes culturels non globalisés ont toute leur place pour comprendre et participer à ces initiatives car ils défendent un élément potentiellement liant pour toutes ces initiatives sur les territoires.