Au-delà de la croissance, l’urgence d’un contrat naturel

PIB&Population-bisLors  d’une conférence  tenue à Champollion le 15 mars dernier, dans le cadre de l’Université Pour Tous, François Dutrait, notre invité agrégé de philo, présenta les réflexions des philosophes Michel Serres  et Bruno Latour  sur les périls écologiques qui  nous menacent. Pour ces penseurs, il est  urgent de revoir  radicalement notre  rapport à la nature et  par voie de conséquence, notre modèle économique fondé sur la croissance.

 

 Economie et écologie

Ces sciences sont  forgées à partir de la  même racine : « oikos »  la maison, et des termes voisins de « logos », la science,  et  « nomos »,  la règle de conduite.   Si la Terre  représente notre  maison commune, ces deux sciences  semblent poursuivre  le même but   : la  connaissance et la gestion globale de  la « maison-terre ».  Il y a tout de même  une différence  « L’économie est la science qui étudie comment des ressources rares sont employées pour la satisfaction des besoins des hommes vivant en société. » : cette définition de Malinvaud place l’homme au centre et soumet la nature à son service. A l’inverse,  Ernst Haeckel, inventeur de l’  écologie (1866),  les situe  au même niveau : «l’écologie est  la science des relations des organismes avec le monde environnant, c’est-à-dire la science des conditions d’existence ». Si la science économique moderne s’en préoccupe en intégrant  dans ses modèles les effets « externes » de la croissance sur l’environnement , elle n’a pas renoncé à  produire un maximum de  richesses  pour une population croissante.

 

Les limites de la croissance

A partir  du XVIII° siècle, l’Angleterre puis l’Europe au XIX°, et enfin  le reste du monde au XX°   connaissent une croissance  extraordinaire  de la population et de la production.   Depuis 1700,  la  population mondiale est multipliée par 10  et  le PIB global  par 100 !  Cette croissance  exponentielle serait -elle indéfinie ?   En raison de la limitation des ressources, le bon sens dicte non.   Ainsi,   Kenneth Bouding  (1988) : « Celui qui croit que la croissance peut être infinie dans un monde fini est soit un fou, soit un économiste » !   Déjà en 1971,  le  rapport  Meadows  «  Halte à la croissance » avait extrapolé  l’ épuisement des  matières premières au cours du XXIe siècle.   En 1979 ,  Georgescu-Roegen  popularisera le thème de la  « décroissance ». Pour Giraud, du CNRS : « Le vrai rôle de l’énergie va obliger les économistes à changer de dogme » : nous sommes au «peak oil», où nous devrons réduire notre  dépense d’énergie fossile. Les énergies renouvelables ne suffiront pas et cela bloquera la croissance. Ce pessimisme « néo-malthusien » peut être  discuté, mais un danger plus grave encore nous menace.

 

L’homme  contre  Gaïa

Dans la mythologie grecque, Gaïa  représente la Terre dont elle est  la « Déesse mère ».  Unie  au Chaos,  elle enfanta  des dieux et de nombreuses créatures. Protectrice mais « chatouilleuse »  ses colères sont terribles.   En  1970 le biologiste-écologue anglais  James Lovelock  a fait de Gaïa la métaphore  du système complexe d’échanges entre l’atmosphère, les mers, les organismes vivants

(qui maintient sur notre planète les paramètres nécessaires à la vie (oxygène , température).  L’ « hypothèse Gaïa » serait que la planète s’autorégule de manière à permettre le maintien de la vie. Celle-ci a failli  être détruite à plusieurs reprises il y a des  centaines de millions d’années et des espèces ont disparu.  Longtemps l’activité humaine préleva  une part négligeable.  Après 2 siècles  de croissance, ce  n’est plus le cas :  le réchauffement climatique provient   plus des activités  humaines ( « anthropocène »)   que du cycle géologique normal (holocène). Michel Serres envisage la possible disparition de l’espèce humaine : «  La Terre exista sans nos inimaginables ancêtres, pourrait bien aujourd’hui exister sans nous et existera demain et plus tard encore, sans aucun d’entre nos possibles descendants, alors que nous ne pouvons exister sans elle».

 

 Un nouveau pacte social  entre Homme et  Nature

Michel Serres  (Le contrat naturel, 1992)  reprend  l’idée  de « contrat social » avancée par Hobbes (1650), Locke (1689) et Rousseau (1762), pères de notre modernité politique. Il s’agissait de mettre fin aux guerres civiles et aux violences que s’infligent les individus par un contrat implicite entre les citoyens,  abandonnant une part de liberté,  et un Etat  omnipotent assurant leur sécurité. Il faut désormais passer contrat avec la Nature, pour lui donner des droits qui la préservent de nos violences. Goya a peint un tableau célèbre où deux lutteurs à chaque coup porté s’enfoncent dans des sables mouvants.  C’est notre cas depuis Hiroshima et risque de conflit thermonucléaire. Ajoutons  la  pollution industrielle, les émission de gaz à effet de serre liés à notre modèle de croissance. La concurrence économique mondialisée bat son plein et  inflige à la nature  des dégâts collatéraux irrémédiables.  Pour  Michel Serres : « … il nous faut donc, à nouveau, sous menace de mort collective, (…) envisager un pacte nouveau à signer avec le monde : le contrat naturel ».  Droits et devoirs :    « Chacun des partenaires en symbiose  doit donc de droit, à l’autre, la vie, sous peine de mort ».

 

 Qui  va signer  le contrat naturel ?

Comment imaginer le fonctionnement  d’un   « Parlement des choses » (Bruno Latour) où les autres espèces et leurs biotopes auront leur voix côté des humains ?  D’une certaine manière,  il existe déjà. A la Cop 21, à côté des Etats, des  collectifs représentant la nature (ONG et communauté scientifique comme le GIEC) on participé et tous ont pris à Paris un engagement solennel.  La reconnaissance des droits du règne animal existe déjà  (protection du tigre du Bengale,  du loup européen). Il existe des contre exemples tragiques  comme  Sivens,   où « l’homo oeconomicus », défenseur de la croissance,  ne parvient pas à s’entendre avec « l’homo oecologicus », défenseur du biotope.  Michel Serres appelle de ses vœux la formation d’un « Tiers Instruit »,  nouvelle génération de citoyens modérant  la science par le jugement et le meilleur de la tradition.

 

Christian Branthomme,  Loïc Steffan et François Dutrait