Pour et contre le revenu universel

L’idée d’un revenu universel réapparait à chaque crise comme tentative de lutte contre les conséquences sociales d’une société qui se fracture. On trouve des défenseurs à gauche comme à droite même s’il ne s’agit pas de la même version. Il existe même aujourd’hui un mouvement pour le revenu de base universel.  Désigné aussi comme « revenu d’existence », « revenu de base », « revenu inconditionnel », etc., le revenu universel (RU) est une proposition  qui  fait florès.  Bien au-delà de la « simple »  fusion des actuels minima sociaux évoquée récemment  par le premier ministre,  il s’agirait d’un changement considérable.   Mais que  recouvre-t-il   exactement ?  Quelles lacunes de notre système de protection sociale prétend-il  combler ?  Avec quels avantages ou/et  inconvénients ?

 

Un contexte porteur

Pour les défenseurs du revenu universel, nous affrontons une  triple   mutation qui  menace les  revenus  de beaucoup d’actifs. Tout d’abord une mutation des emplois. En effet, la nouvelle révolution industrielle notamment de l’internet entraînera  le  chômage massif des moins qualifiés.  Il faut trouver des solutions pour lutter contre la pauvreté. Ensuite une mutation du travail : l’exigence de flexibilité (liée à la concurrence mondiale, à l’évolution des objets et services, des modes de consommation)  transformera  les parcours professionnels en séquences plus ou moins longues ou courtes d’activité suivies de recherche d’emploi.  Comment  maintenir les  droits des travailleurs ? Enfin une mutation du salariat : sous le nom d’ « ubérisation » se développe un secteur d’auto-entrepreneurs  créateurs de  leurs jobs (livreurs, taxis, logeurs, restaurateurs  etc.), mais destructeurs d’emplois traditionnels. Comment faire que les conditions de vie des uns et des autres ne se précarisent pas ?   Puisque le « filet de la  protection sociale » aura de plus en plus de trous,  ne convient-il pas de  le retisser  entièrement en garantissant à tous le même revenu d’existence? C’est là que le revenu universel entre en scène.

 

La version « libérale »

Il convient d’emblée de préciser  qu’il existe plusieurs  versions  du RU,  fondées sur des  philosophies sociétales  bien différentes. L’analyse libérale  critique la manière  dont l’Etat redistribue les richesses notamment via la protection sociale.  Tuteur  abusif, il soumet nos prestations (telles que : allocations familiales,  Revenu de Solidarité Active,  prime d’activité, allocations chômage,  etc.)  à des conditions d’octroi  restrictives  et à un « fléchage » vers des populations spécifiques.  Selon eux, cela peut engendrer des comportements d’assistés et un contrôle  tatillon des bénéficiaires   Ne serait-il pas  moins coûteux, et plus conforme  aux respect des libertés et de  l’égalité des droits,  de fusionner ces prestations en une allocation d’un montant  unique, versée  sans condition à tout citoyen majeur (à leurs  parents pour les mineurs). C’est une idée que l’on retrouvait  sous la plume du très libéral Milton Friedman.  Quel montant ?  Cela  irait  de 500 euros (= RSA « socle » en France)   au double – mais pas davantage –  chez les  ultra libéraux …  qui envisagent de   supprimer purement et simplement la sécurité sociale. Comment le financer ?  Par  une « flat tax », un pourcentage égal  du revenu. Ainsi chacun  cotiserait à proportion de son revenu,   et recevrait la même somme, libre d’en faire l’usage qu’il entend mais la protection sociale reposerait  sur les assurances privées.

 

La version « sociale »  

Ce second modèle de  RU  propose un choix   sociétal bien différent. Il s’agit de préparer une société post-salariale et post-capitaliste ou le revenu serait  dissocié de la contribution libre de chacun  à la production.  D’une part l’essor des robots va « mettre sur le carreau » des masses croissantes de salariés. Déjà Sismondi au 19ème siècle proposait de verser une rente aux salariés qui remplacés par une  machine. D’autre part le développement de l’économie collaborative avec ses échanges non monétaires (sur le modèle des transferts de fichiers sur Internet) va saper le profit des capitalistes (Jeremy Rifkin, La fin du travail).  La dimension productiviste en moins,  cela  rappelle  l’utopie communiste telle que  Louis Blanc  la définissait  en 1839  «  de chacun selon ses moyens,  à chacun selon ses besoins ». Dans ce scénario futuriste,  un RU d’un montant important (certains auteurs proposent 1,5 fois le SMIC)  financée  par un impôt sur le revenu très progressif,   permettrait de faciliter cette « grande transition »,  en évitant l’explosion des inégalités.

 

Les coûts et les risques  

Tout dépend de l’ambition : pour 500 € par adulte  de plus de 18 ans (contrairement au  RSA limité aux plus de  25 ans) et 200 € par enfant à charge,  si le RU remplace les actuelles  allocations,  il faut quand même trouver entre 150 et 350  milliards. A 1000 €, il faut trouver  environ 700 milliards qui correspondent peu ou prou au coût de la sécurité sociale, qui basculerait  alors dans un système  d’assurances privées.  . Un revenu inconditionnel largement distribué à tous, sans l’exigence du moindre travail, s’oppose encore fortement à notre culture et à nos principes moraux. Un travail épanouissant est largement constitutif de notre identité et  source de lien social. On  connaît   la souffrance de ceux qui en sont privés. Du  point de vue économique  il y a deux grands risques : d’aggravation de la pauvreté laborieuse le RU  jouant le rôle d’une   « trappe à bas salaires » en fournissant  aux employeurs  un prétexte à  réduire les rémunérations ;   mais surtout, de  disparition du salariat, dont on oublie qu’il est aujourd’hui la principale  source de droits sociaux et  d’affiliation (Robert Castel). Plutôt que le détricoter,  on  devrait  l’adapter au monde nouveau,   par exemple en appliquant  les principes déjà votés  du  « compte  personnel d’activité » et de la « garantie jeunes ».

Christian Branthomme et Loïc Steffan

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