L’enjeu de la réforme du collège

Depuis le tout début des années 80, les jeunes non ou faiblement qualifiés sont les principales victimes du chômage et de la précarité et de l’exclusion sociale. Aujourd’hui, la réforme du collège cristallise les oppositions sur le rôle et les fonctions de l’école. Le débat est d’importance. En France, le budget 2014 consacré à l’enseignement est de presque 65 milliards d’euros auxquels il faut ajouter les 23 milliards d’euros pour l’enseignement supérieur et la recherche. Le pays consacre environ 7 % de son PIB. Cela peut sembler beaucoup mais cela nous place à peine dans la moyenne des pays de OCDE.

 

Révolution pédagogique

A la suite de ces enquêtes PISA et pour réduire drastiquement l’échec scolaire, le projet ambitionne de transformer de fond en comble les méthodes pédagogiques. Ainsi, les 3 heures hebdomadaire d’ « enseignements pratiques interdisciplinaires » invitent les profs à préparer en équipe des séquences de travail autonome de leurs élèves évalués en commun autour de 8 thématiques (ex : corps, santé, sécurité ; développement durable ; monde langues et cultures de l’antiquité, etc ). Les heures d’accompagnement individualisé seront intégrées à l’emploi du temps. Autres innovations qui peuvent « fâcher » les classes bilangues, réservées à 16 % des collégiens cèderont la place à une seconde langue pour tous à partir de la 5 ° ; avec la disparition de l’option de latin, il s’agit d’offrir à tous un même socle commun de connaissances et de compétences. Cela bouscule les habitudes de parents et de profs qui s’inquiètent encore du remplacement probable de la bonne vieille note/20 par l’évaluation des compétences (ex : vert = je maîtrise les accords de participe … au rouge = je confonds le « é » et le « er » ).

Les évaluations PISA

Tous les trois ans, l’enquête internationale PISA évalue les compétences acquises par les élèves à 15 ans, âge qui correspond peu ou prou à la fin d’obligation scolaire dans le monde. Ces compétences recouvre des savoirs pratiques de la vie quotidienne en compréhension de l’écrit, des mathématiques et des sciences. La réforme de Mme Vallaut-Belkacem s’ est largement inspirée de ce programme International de Suivi des Acquis. Il ne s’agit pas de savoirs théoriques mais de savoirs pratiques jugés indispensables dans la vie quotidienne. Si la performance française, en 2012 est globalement moyenne (18° sur 34 pays « riches » de l’OCDE, ou 25 ° sur 64 avec les pays associés) elle régresse de 5 places par rapport à 2003 et se caractérise par des fortes inégalités entre le petit groupe d’ élèves très performants (1 élève sur 8) et beaucoup d’élèves en difficulté (1 élève sur 5). Par comparaison Shanghai a une moitié d’élèves au meilleur niveau et seulement 4 % de très faibles. Ces compétences ne concernent pas le niveau théorique dans tel ou tel domaine. La performance française, globalement moyenne, inégalitaire, régresse et se caractérise par un très bon niveau des meilleurs élèves et un grand nombre d’élèves en difficulté

La France, championne des inégalités scolaires, selon PISA

L’enquête, dont la valeur scientifique est reconnue, démontre qu’en France plus qu’ailleurs l’ origine sociale pèse sur les destins des élèves. Cela rejoint les observations des sociologues (Bourdieu, Baudelot, Dubet) : en traitant « également des enfants inégaux » l’école républicaine ne donne pas des chances égales. A contrario, les pays qui progressent au classement PISA sont ceux qui sont parvenus à réduire le nombre d’élèves peu performants. L’enquête pointe d’autres traits de notre école : taux de redoublement record (au moins une fois chez 38 % des élèves), cours de maths anxiogènes, surcharge des programmes, situation critique des ZEP, etc.

Les coûts élevés de l’éducation

L’objectif est donc d’améliorer la performance de tous plutôt que de prioriser les meilleurs. Car 150 000 personnes sortent sans aucun diplôme chaque année et près de 30% des adultes de 25 à 64 ans ont arrêté leurs études à la fin du collège. Le problème ne se limite pas au collège ni au lycée : il importe d’offrir une formation tout au long de la vie aux personnes avec de faibles qualifications. Cet investissement a un coût. Or, contrairement à une idée reçue , le budget de 88 milliards que la France consacre à l’éducation (université et recherche comprises) est juste moyen. La dépense annuelle pour le secondaire est un peu au dessus de la moyenne de l’OCDE (10 880 $ contre 9500 $) un peu au-dessous dans le primaire (avec 1 année d’études en moins) et à l’université (12000 € par étudiant contre 22 000 € aux Etats-Unis ). Les élèves des prépas sont les mieux lotis (15000 € par étudiant) : preuve supplémentaire de la préférence française pour la formation de ses élites … au détriment des boursiers sous représentés (650 mille sur 2,3 millions d’étudiants).

Le rôle de l’éducation pour l’économie

Selon les études disponibles, l’éducation affecte aussi bien la capacité à produire des richesses que la santé ou la qualité des institutions. Même si aujourd’hui Robert Gordon considère que les performances scolaires plafonnent dans les pays développés, les économistes évaluent généralement à 6 à 8 % la productivité supplémentaire apportée par une année scolaire de plus. L’objectif serait donc d’amener toute la population scolaire le plus haut possible sans se concentrer sur les meilleurs. Mankiw , Romer et Weil on d’ailleurs étudié un lien positif entre richesse par individu et niveau scolaire global. or 150 000 personnes sortent sans diplômes chaque année et près de 30% des personnes âgées de 25 à 64 ans ont arrêté leurs études à la fin du collège. Le nombre de diplômés au delà de Bac + 2 plafonne. Nous payons aussi les choix du passé. Selon cette logique il importe d’offrir une formation tout au long de la vie performante pour toutes les personnes avec de faibles qualifications. Le problème ne se concentre donc pas sur le collège mais sur tous les mécanismes de formation susceptibles d’améliorer l’insertion et l’efficacité professionnelle.

Pour les économistes deux mécanismes jouent et se complètent.

D’une part, la formation rend les individus plus productifs et augmente les possibilités de production. Cette relation est connue sous le nom « d’équation de Mincer », premier économiste à proposer ce type d’estimation.

D’autre part, l’éducation peut aussi influencer la croissance en influençant le progrès technique et la technologie. En effet, un niveau élevé d’éducation permet soit d’adapter plus facilement des technologies développées par d’autres (Nelson et Phelps 1966) ou de développer de nouvelles technologies par l’innovation (Romer 1990).

Finalement, l’éducation est susceptible de déplacer la « frontière technologique » pour reprendre l’expression d’Acemoglu, Aghion et Zillibotti. L’éducation est un facteur immatériel qui présente des rendements croissants et de fortes externalités utilisables par tous. Le primaire et secondaire permet d’acquérir la capacité d’imitation et d’adoption des technologie alors que le supérieur et la recherche développe la capacité d’innovation et la montée en gamme dans la compétition internationale. A ce titre la France est en retard par rapport à d’autres grands pays de l’OCDE comme les Etats-Unis en terme de dépenses en pourcentage du PIB.

 

Le rôle plus général des diplômes

Un diplôme certifie l’acquisition de savoirs et de compétences, un « capital humain », mais il fonctionne également comme un « signal » pour les employeurs, sur le rang occupé par ses détenteurs dans une hiérarchie implicite. Il sert autant de filtre que d’attestation d’un savoir et de compétences. Si seul le filtre compte, il ne sert à rien de poursuivre l’inflation des diplômes. Si le diplôme renforce la compétitivité et les compétences il faut se soucier des élèves les plus fragiles. Il serait peut être judicieux de réduire les redoublement par des aides spécifiques moins onéreuses que le coût d’une année complète et surtout s’attaquer aux 150 000 départs sans diplôme du système éducatif qui induisent des individus durablement exclus du marché du travail.

 

Des critiques en partie justifiées

les critiques de la nouvelle réforme se concentrent sur l’effacement réel ou supposé des humanités qui permettent de comprendre le monde et d’enraciner ses savoirs dans une vision de la société qui conduit à devenir citoyen. La disparition lente du latin intégré dans les EPI risque de réduire la capacité de comprendre les origines de notre langue et effacer des éléments culturels nécessaires à notre compréhension du monde. Les EPI ont déjà existé sous forme d’IDD (itinéraires de découverte) et il faudrait bien plus de moyen pour les faire vivre durablement. Nous l’avons déjà dit, si l’éducation reste le premier poste de dépense de l’Etat nous n’avons qu’une dépense moyenne par rapport à d’autre pays. Il est dommage que l’Etat n’investisse pas plus dans l’éducation et notamment le supérieur pour préparer l’avenir. Concrètement, certains collège vont utiliser les EPI pour compléter les services incomplets de certains enseignants et la préoccupation principale sera de sauver des postes au détriment de la cohérence pédagogique. Enfin cette réforme ne s’attaque pas véritablement aux difficultés rencontrées par les élèves les plus fragiles qui peinent à acquérir les compétences nécessaire en lecture/compréhension et calcul.

Répondre à l’attente des citoyens :

La fonction du collège – du système scolaire en général- a été longtemps réduite à la sélection des meilleurs : c’était l’époque de l’élitisme républicain. Aujourd’hui les attentes des citoyens autant que l’impératif économique lui désignent une autre mission : la réussite de chacun, pour le bénéfice de tous. Utopie ? Citons Condorcet « l’instruction publique est un devoir de la société à l’ égard des citoyens » et « elle (…) contribuera au bien de tous, les talents comme les lumières deviendront le patrimoine commun de la société » . (Rapport sur l’Instruction publique, 1792).

Mais du principe à l’application il y a une difficulté importante. La difficulté actuelle vient autant des différents points pratiques du programme et de la réforme que de sa mission qui doit conjuguer acquisition des savoirs, éducation des adolescents quels qu’ils soient et missions connexes d’information et de sensibilisation à des thèmes liés aux priorités nationales (la santé, la sécurité routière, la sexualité, etc.) et aux politiques européennes (l’environnement, la parité, les discriminations, etc.).

Du fait des enjeux, il eut été préférable que cette évolution majeure se fasse dans un consensus plus large. Le passage en force risque d’aboutir à un rejet de la part des enseignants et donc à un échec de cette réforme.