L’Avent, Noël et la précarité. Une vie derrière les statistiques

Je voudrais vous parler de la précarité. Pas avec la froideur des chiffres et des statistiques comme le fait généralement un économiste et comme je le fais généralement parce que je vois ce que je vais raconter maintenant. Non, juste vous raconter une vie. Celle de Sylvie (le prénom a été changé), la cinquantaine et sa reconnaissance de travailleur handicapé. Un rétrécissement du canal de la moelle épinière, c’est invisible. Mais ça limite drôlement. On ne vous racontera jamais son histoire parce qu’elle n’est pas assez misérable. Mais elle dit beaucoup de la classe populaire qui se désagrège. Qui ne trouve plus de travail dans notre société malade.  On se connaît depuis notre enfance dans un quartier populaire de la ville. On avait de la chance d’être dans les petits pavillons ouvriers et pas dans les barres d’immeubles. Dans des familles unies et aimantes . On s’est perdu de vue puis les réseaux sociaux nous ont fait dialoguer. Elle, l’athée communiste et moi le catho, on se taquine parfois avec respect. Je la lis toujours avec attention. Son HLM et, le bruit des enfants au dessus qui résonne sur les planchers mal isolés. Les soucis, l’entraide, les copines et les petits tracas de la vie. Une conversation sur le travail avait suscité de la passion. « marre car les aides sont toujours pour les autres. marre d’être pris pour des assistés. On se bat pour exister et travailler ».  Je voudrais son point de vue. Elle me reçoit dans son salon. Une décoration simple mais soignée aux accents africains. Des tasses de cafés disposées sur une table basse. Je suis touché par l’attention. Je prends mon stylo et j’écoute. Le schéma classique des vies en système-D. CMU et reconnaissance de travailleur handicapé mais jamais de boulot fixe depuis 2007. Elle a toujours des stages et des formations pour ne pas sombrer. Un passage par l’alcool. Parfois la douleur était trop dure à supporter.  Elle a remonté la pente. Elle se tient là devant moi et la conversation est riche. Elle a un bac en poche. Elle a fait deux ans de droit même si elle n’a rien validé. Elle a une conscience politique forte. Sa vie et sa famille de gauche lui ont transmis ça. Au début, des boulots, des opportunités. Chez un avocat, puis la compta dans une petite boîte de sérigraphie. La passion de la moto avec son mec. Les enfants. Elle avait fait le choix d’arrêter de travailler pour s’occuper d’eux puis avait enchaîné des petits boulots. Ménage, aide à domicile, travail pour une mairie et travail dans la restauration rapide. Tout a basculé après son divorce mais surtout après les ennuis de santé. Quand le corps ne suit plus, on se débarrasse de vous. Le dos en vrac elle a dû passer à autre chose. Mais quoi faire ? Aujourd’hui elle enchaîne formations inutiles, intérim quand ça va, ou chômage. Il y a aussi ses petits enfants aussi dont elle prend plaisir à s’occuper. Parfois elle se dit que rien n’est prévu pour elle. Avec ses compétences accumulées au fil du temps pourquoi l’envoyer de stages en stages ? Il manque juste du travail. Les filets de sécurité sociaux sont pour les gens justes en dessous. Avec la CMU et un HLM vous avez toujours des gens juste en dessous qui sont plus prioritaires. Vous êtes parmi les pauvres mais c’est pas pour vous.  Une fois elle a failli ouvrir un commerce. Tout était ok. Oui mais voilà des aléas de la vie. Une brouille de famille. Victime d’une histoire stupide et malveillante, elle se retrouve interdit bancaire. Pas de levée de fond possible. La galère dans tous les actes de la vie. Parfois je note frénétiquement pour contenir mon émotion parce que je sais qu’un rien peu faire basculer et que ce genre de situation ce n’est pas que les autres. Tout le monde peut se retrouver ans cette situation.  « J’ai 50 ans et je me relève. Je veux vivre debout  avec dignité. Je ne suis pas une assistée». Évidemment qu’elle a le droit d’être fière. je me dis que j’aurais craqué à sa place. Je médite Luc «tu as caché ces choses aux sages et aux intelligents, […] tu les as révélées aux petits». Et je me dis que c’est quand même un problème parce que « les sages »  rédigent les lois et qu’ils ne rencontrent jamais des gens comme elle. . C’est eux qui prennent les décisions lourdes de conséquences. Je repense au voile d’ignorance de Rawls. Est-ce que cette situation parmi les moins enviables, je l’accepterais pour moi-même ? Je ne crois pas. Je peux esquiver et croire que j’aurai mieux fait. Est-ce si sûr ?  La pauvreté touche 8,5 millions de personnes en France. Le secours catholique a produit une étude sur les près de 90 000 personnes accueillis dans ses centres. Beaucoup de femmes. De plus en plus de personnes de plus de 50 ans. 2 chômeurs sur trois qui ne touchent aucune indemnité et de nombreuses personnes étrangères sans statut. On gère les files d’attente des filets sociaux et de la pauvreté dans une société d’opulence. A méditer avant d’entrer dans l’ authentique Avent ou dans la folie consumériste de Noël, voile des solitudes aux conséquences humaines et écologiques.  On parle trop d’économie. Pas assez de lien social, d’humanité et d’avenir. La faible croissance est inégale. Les choix publics doivent en tenir compte. Il suffit que les ultra riches fassent sécession. Il suffit de fermer les yeux. Parce qu’elle perdure cette situation finira de fracturer la société et elle nous explosera à la figure.