Comment concilier le management des entreprises et l’éthique ?

Dans un sondage récent, les trois quart des salariés se disent plutôt heureux dans leur travail, mais près de la moitié en déplorent la pénibilité, le manque d’intérêt ou de reconnaissance. Plus grave, voilà vingt ans que le psychiatre Christophe Dejours tire la sonnette d’alarme sur les suicides au travail, symptômes d’une crise de la « gestion des ressources humaines ». La question est d’importance car ce mal être coûte cher et réduit la compétitivité de notre économie. Nous avons voulu  savoir comment concilier éthique et management ?

Quand l’éthique s’accommode mal de l’économique

Le consultant en accompagnement de dirigeants castrais Pascal Hennequin revisite la « pyramide de Caroll (1971) ». Il distingue quatre niveaux dans les raisons d’agir 1° technico-économique (est-ce possible de le faire ?) 2° légal (a-t-on le droit ?) 3° moral (est-ce bien ou mal ?) 4° éthique (cela apporte-t-il du bonheur ?) Ainsi l’économie de marché est par nature amorale : elle ne vise que la compétitivité et le profit. Les lois imposent des contraintes et la déontologie incite au respect de la morale, qu’il faut distinguer de l’éthique : idéal de vertus et de bien être partagés. Mais dans la réalité, les principes moraux doivent souvent s’effacer devant les dures lois de l’économie. Christian Zullo, ancien DRH, montre qu’il y a des cas où la survie du groupe passe par la fermeture de certains sites : ce sont des expériences déchirantes.

Mais l’éthique peut aussi être rentable.

Dès 1932, Elton Mayo observant un groupe d’ouvrières de la Western Electric et démontra que tout changement programmé– amélioration ou dégradation – de l’environnement du travail (lumière, bruit, horaires) augmentait le rendement, car il prouvait l’intérêt que la firme leur portait. Cette idée est reprise dans la « règle des 3 M(inimums) » : l’entreprise a intérêt à répondre aux besoins de sécurité , d’avenir et de reconnaissance de ses salariés, qui le lui rendent en productivité . Les entreprises adeptes de ce principe sont souvent rentables. En 1953, Henry Bowen propose l’idée d’une responsabilité sociale des entreprises qui dépoussière le paternalisme d’entreprise du 19ème siècle.  Elle est à l’origine des normes ISO de qualité d’environnement, de santé et sécurité. Il y a encore le « marketing éthique » comme les produits du commerce équitable qui moralise les choix des consommateurs.

Le choix de l’éthique peut être une valeur forte.

Lore Camillo, responsable de Clair-de Terre et de La Poterie d’Albi, entreprise familiale depuis 1891et six générations, montre que l’éthique est un choix qui permet de durer. Elle nous parle de « ses gars » et de son métier avec amour. Au delà de la rentabilité, l’objectif premier est de maintenir l’emploi local à travers une production artisanale de qualité : 120 formes et 1200 références,. C’est en équipe que s’élaborent formes et couleurs (25% renouvelées chaque année). Savoir « écouter les histoires individuelles » et « laisser les clef de l’entreprise au personnel » sont les maîtres mots. Cela rejoint l’industriel graulhétois Jean-Luc Jolimaître : « une entreprise familiale se développe sans référence constante à un profit immédiat comme c’est devenu presque la règle aujourd’hui « («Weishardt , des hommes, une passion », Editions Odyssée, 2013). De son côté, Christian Zullo met en avant l’exemple des coopératives : quand l’entreprise appartient aux salariés « chacun sait qu’il défend les emplois de tous ». Le profit, certes, profit mais pas à importe quel prix : sont exclus les licenciements économiques dans le but de faire des « surprofits ».

Valoriser la boussole des vertus managériales pour créer du sens.

Pascal Hennequin, qui est aussi philosophe, propose aux dirigeants qu’il accompagne de mettre le cap sur les vertus cardinales de Platon : prudence, tempérance, justice et courage… et d’autres choisies par les salariés. Comment ? :

  1.  « donner confiance et faire confiance »
  2. « donner du sens au travail de ses collaborateurs » ex : l’enthousiasme de l’ouvrier riveteur sur un A380 car on l’a associé à l’ensemble du processus,
  3. « accompagner et écouter» en expliquant comment atteindre les objectifs, et « c’est celui qui fait qui sait »
  4. « valoriser et remercier»

Avec la crise, ces principes peuvent sembler utopiques. Pourtant des Scops des entreprises familiales de taille intermédiaires les vivent au quotidien. Elles n’ont pas de difficultés à recruter et sont généralement performantes.  A méditer pour réconcilier les salariés avec leur travail et leurs entreprises.

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Christian Branthomme et Loïc Steffan