climat et effondrement : peur ou optimisme ? Comment communiquer

« Faites attention à ce que vous demandez à la vie,
elle pourrait vous le donner.»
Proverbe chinois
Donc je préfère garder une dose d’optimisme.

J’avais déjà écrit un article sur la nécessité de ne pas céder à la panique pour le climat ou pour l’effondrement. Mais je souhaite aller plus loin pour essayer de concilier les approches de peur et d’optimisme. Elles sont à mes yeux complémentaires et il faut savoir les manier avec discernement. C’est ce que nous allons voir dans ce travail de vulgarisation. L’illustration est une provocation volontaire à destination des « cavapétistes » et « toutestfoutus ». J’imagine déjà leur tête et ça me fait rire.

On sait maintenant de manière quasi certaine que les questions d’effondrement économique, de ressources renouvelables ou non renouvelables et de climat sont cruciales pour notre avenir.
Je l’ai suffisamment traité pour les ressources. Je l’ai aussi traité pour les empilements de crises. En plus, il se trouve que je suis avec Patrick Solignac, un ami, le traducteur du fameux modèle Handy qu’on appelle communément modèle de la Nasa que vous pouvez trouver rapidement expliqué dans cette vidéo.  On a aussi traduit la dernière actualisation du Modèle Word 3 de Meadows par Turner.  Difficile de penser que j’ai une vision bisounours des choses surtout quand on lit cet article sur les dilemmes moraux en cas d’effondrement qui reprend, en le contextualisant, le travail du livre « Qui vivra, qui mourra ». Mais il faut savoir relativiser et nuancer pour éviter de passer pour un prophète de malheur.  C’est ce à quoi je m’efforce depuis de nombreuses années.

Les questions écologiques de ressources, de capacité porteuses nécessitent une mobilisation globale de la société. Il faut sensibiliser au maximum pour que tout le monde s’en empare et agisse. C’est vraiment crucial.

 

Mais comment en parler ?

C’est une vaste question qui occupe de toutes les personnes déjà sensibilisées à ce sujet et les experts. Quels termes choisir aussi. De l’anthropocène, au collapse, en passant par l’enjeu climatique on assiste à un champs lexical assez vaste. Je l’avais développé dans un autre article. Cela importe peu. On n’aura pas tout à fait les même interlocuteurs et les même porte-paroles mais il se rejoignent car on est face à des objets frontières. C’est juste le point d’entré de la discussion. Comme je ne suis porte-parole de rien, cela m’importe peu.

Faire peur ou non ?
On a d’un côté les partisans de l’alerte, du risque, de la peur, du danger et de l’urgence. Cela peut être une bonne porte d’entrée et le livre « Pour un catastrophisme éclairé » de Dupuy est un incontournable. On a ensuite ceux qui mettent l’accent sur les solutions possibles, les actions concrètes et la transition. Cyril Dion et demain  est dans cette catégorie sans pour autant être un naïf. On pourrait aussi y mettre Isabelle Delanoy ou Pablo Servigne.

Au delà de l’opposition de principe les approches sont complémentaires et se renforcent si on sait les manier avec raison.

Comprendre les individus et leurs moteurs

Nos comportements sont idiosyncratiques. Pour le dire simplement, ils sont variables selon les individus. Pour certains cela passera par l’identification à une personne chère qui prendra une position, pour d’autres la parole de l’expert, etc. Pour d’autres cela sera une vision positive et pour d’autres cela sera la peur.

Venons-en à la peur

Plusieurs métaétudes (étude qui étudient le résultat de plusieurs autres études. Je n’en ai mise qu’une en lien) ont montré que l’être humain est plus susceptible de changer radicalement ses comportements lorsqu’il a peur ou qu’il se sent coupable plutôt lorsqu’il a des raisons de penser que ce changement peut lui être positif. « One point » pour la peur. On peut donc tirer les conclusions suivantes :

  1. Les messages basé sur la peur sont efficaces pour changer la perception et l’attitude voire les comportements (c’est plus nuancé)
  2. L’efficacité de la communication augmente lorsqu’elle contient des images, des éléments chiffrés et des probabilités sur la gravité du problème ou son occurrence.
  3. Les messages neutres où optimistes sont moins efficaces que ceux basés sur la peur

Mais il faut nuancer

La peur provoque aussi deux phénomènes connus. La réactance et la dissonance cognitive.
La réactance est une résistance à l’information pour maintenir sa liberté et résister à l’état émotionnel que cela provoque (peur, crainte, émotions négatives). Quand on dit à quelqu’un ce qu’il faut faire parce qu’il y a danger, il active ce processus.

A ce stade la réactance peut produire deux comportements. Une recherche supplémentaire d’information pour invalider ou confirmer l’annonce catastrophique. D’où la recherche boulimique sur le climat ou sur le collapse quand on découvre le phénomène.  Mais il tombe aussi des informations qui peuvent entrer en contradiction avec la nouvelle ou qui sont un échappatoire (pensez aux climatosceptiques ou aux antivax) si nos affirmations ne sont pas correctement étayées. Informer sur le climat ou les effondrements quand on est caricatural, mal informé ou peu crédible est contre-productif. Il vaut mieux être assez solide.

En plus, le lien est complexe car généralement on ne choisit pas correctement nos informations. Nous sommes dans des bulles informationnelles et des bulles de confirmation.  C’est que montre le schéma Argyris.

Ensuite on peut observer une réaction de dissonance cognitive qui fait que la personne refuse purement et simplement l’information. C’est un phénomène étudié au départ sur les sectes.

On ne peut rester à l’évaluation cognitive par les faits car il y a aussi des émotions. Je l’avais traité dans une traduction d’article. Les dragons de l’inactions pour le climat. Il y aura des barrières psychologiques et les économistes et les psychologues doivent trouver les mécanismes susceptibles de lever les barrières. Pour l’économie, je l’avais traité dans cet article qui fait bien le tour de la question.

Mais pour autant, il ne faut pas oublier l’optimisme.

La peur c’est aussi le carburant des gourous et autres vendeurs de solutions miracles. Il faut donc la manier avec précaution. Elle permet aussi la manipulation  dont il faut se prémunir en lisant « petit traité de manipulation à l’usage des honnête gens ». Mince j’ai perdu la possibilité de vous manipuler. Tant pis, je pourrai pas finir gourou.

Par ailleurs, une forme d’optimisme facilite la courbe de deuil. Il est donc nécessaire.

Ensuite, il vaut mieux passer à la joie, à la sérénité ou à toute autre réflexion moins destructrice. Pourquoi ? Parce que les études montrent aussi qu’après la période d’acceptation de l’information pénible, il renforce la propension au changement de comportement et à la persévérance dans le comportement. J’administre avec des amis un groupe FB qui s’appelle la Collapso Heureuse (LCH pour les habitués). Les gens sont déjà au courant. Et ils arrivent avec beaucoup de peurs. Pourquoi cultiver la noirceur ? Elle tend à inhiber et à bloquer l’action quand on a accepté l’information et qu’on est au courant. Les émotions sont contagieuses. Un petit exemple dans la vidéo en lien.

Donc entourez-vous de personnes qui vous font du bien. Faites du bien à votre entourage. Essayez de résister aux émotions négatives que veulent vous transmettre les tenants d’un collapse violent et darwinien. Le rire est aussi contagieux et nous permet de nous ressourcer et de mieux gérer. Les émotions positives contagieuses permettent aussi d’avoir des réactions plus efficaces dans le collapse. Plus prosociales aussi. Il faut des instants de bonheur pour affronter la difficile situation. Essayons autant que faire se peut de garder cela à l’esprit. Ce que je dis sur le bonheur est basé sur les  travaux de Easterlin, Deaton et Kahneman en économie et sur ceux des psychologues sociaux.
Je l’avais résumé simplement pour une présentation à des lycéens. Au passage réduire les inégalités est une des conclusions du fameux modèle de la NASA dont vous avez le lien plus haut.

Pour résumer

Il faut souvent avoir une crainte pour réagir (donc alarmez les gens qui n’ont pas conscience du danger) et une perspective de bonheur ou de moindre mal pour ne pas rester tétanisé par la crainte. Et la perspective que le changement est rationnel et peut conduire à des comportements plus prosociaux.

Pour être plus sérieux. Si la peur vous fascine ou vous fait peur (c’est le cas de le dire) et que vous aimez jouer à vous faire peur, il y a une magnifique thèse sur l’utilisation de la peur en médecine avec son efficacité et ses limites.

La joie malgré tout ?  Oui. Pensons à la cité de la joie.

Le titre semble paradoxal tant la misère saute aux yeux dans le livre ou dans le film. Il en sera probablement de même si le collapse est sévère. Mais même à travers la misère des habitants de Calcutta, les opprimés gardent le sourire en tout temps et s’estiment heureux lorsqu’ils ont un travail stable pour subvenir aux besoins de leur famille. De plus, l’intense pauvreté qui sévit dans cette ville leur fait prendre conscience du bonheur que leur apportent les petites choses. On peut trouver la morale du film dégoulinante. Et pourtant…. Malgré la manière dont on vit (avec richesses ou non), il est important de prendre conscience de la manière dont les gens autour de nous et dans le reste du monde vivent pour avoir conscience de la chance que l’on a de pouvoir jouir de petits plaisirs comme des soins de santé, un travail ou une utilité sociale, une maison, un simple repas ou des amis. Le héros, occidental désabusé qui nous ressemble tant, lui aussi redécouvre des choses essentielles et un sens à sa vie. Malgré l’adversité. Une leçon à méditer.

A quoi pourrait ressembler un collapse.

A vrai dire on n’en sait rien. La prospective n’est pas une science exacte et les liens au tout début de l’article montraient mon travail pour y voir plus clair.  Mais Un effondrement est un processus probablement assez lent à l’échelle d’une vie. J’insiste car la peur, c’est le carburant des gourous et de ceux qui veulent vous vendre leurs « solutions » miracles. Fuyez ceux qui ne respectent pas votre libre-arbitre. C’est valable aussi pour ce que j’écris. Vous pouvez ne pas être d’accord. Prenez-le avec du recul.

Dans la vie, il faut se hâter lentement. Surtout pour prendre certaines décisions. Je vois pas mal d’inquiétude dans la découverte du collapse. Il faut essayer de relativiser sans pour autant nier la gravité du problème. Et notamment avant un changement radical de vie pour ceux qui serait tenter en apprenant la nouvelle. Il faut toujours peser le pour et le contre. J’avais résumé le dernier livre de Servigne, Stevens et Chapelle. Un passage me revient en mémoire :

« La deuxième leçon est qu’on ne peut pas annoncer que « tout est foutu » (et encore moins sans préciser ce qui est foutu). Il y a un exemple intéressant d’un parent de malade qui maigrit à vue d’œil et à qui on répond alors : « Ne vous mettez pas dans des états pareils : ça peut prendre vingt-cinq ans ! ». Tout comme avec le collapse. Effectivement, il faut vivre et profiter de ce qui nous reste à vivre. »

Je le redis, un effondrement est un processus probablement assez lent à l’échelle d’une vie. Même avec une falaise de Sénèque comme la décrit Ugo Bardi. En tout cas, ce fut le processus pour les exemples étudiés dans le passé. Si vous lâchez tout aujourd’hui et que vous vivez mal pendant 10 ou 15 ans, vous perdez de l’énergie pour la suite si les choses vont vraiment très mal. Il vaut mieux apprendre à ralentir, a accepter la sobriété et à déconsommer.

Entre 1960 et aujourd’hui nous avons multiplié par 4 notre richesse. Beaucoup plus à l’échelle du globe. Pas notre bonheur. Il faut certes déduire l’inflation mais globalement on peut considérer qu’on est 3 fois plus riche qu’il y a 50 ans en moyenne. Donc même si on revient en arrière, il me semble que les années 60 ce n’est pas l’âge de pierre. On en est loin. Les économistes considèrent que le bien-être se dégrade réellement en dessous de 20 000 $ (environ 18 000 €) par an et par habitant. Au-delà de cette somme on n’améliore pas le bonheur mais on crée de la pollution. Ca laisse donc un peu de marge. Par ailleurs, nous avons un certains nombre d’exemples d’effondrements. Blocus de Cuba. Situation de guerre soudaine, ou de mise sous embargo. Situation du Vénézuela, etc. Villes ou quartiers effondrés. Zones de guerre où les infrastructures sont détruites, ou alors catastrophes écologiques. A chaque fois on voit émerger des coopérations et des adaptations très rapides à la nouvelle situation. Des comportements violents aussi bien entendu mais pas toujours dans la proportion que l’on imagine. La plupart du temps la coopération reprend assez vite le dessus. La situation sera problématique surtout à cause du flux tendu et de l’interconnexion de nos systèmes. Mais même pendant la première et la deuxième guerre mondiales, le standard de vie était supportable pour la plupart des gens. Et bizarrement les suicides baissaient et les gens retrouvaient un instinct de vie. En fait il faut plutôt s’attendre à vivre comme les Amish à long terme mais avec les connaissances accumulées quand même depuis. C’est à dire des connaissances sur les plantes, sur les techniques low-tech et tout le reste.
On constate généralement qu’après une période initiale de relatif chaos, les choses se régulent et de nouvelles solidarités se mettent en place en l’espace de 6 mois, un an. Le plus dur est la période initiale car on ne s’est pas mis à faire du jardinage, donc on n’a rien a bouffer mais globalement on survit. Le Vénézuéla, qui connaît une crise sans précédent, réussit mieux aujourd’hui qu’il y a un an ou deux précisément parce que les gens se sont remis à cuisiner et ont développé des petits potagers. Certes le poids moyen de la population a diminué de 10 kg (c’est énorme), la mortalité a augmenté, tout un tas d’indicateurs sont mauvais et le pays est très mal mais il n’est pas rayé de la carte. Il faut donc raison garder. Et donc éviter de tout lâcher comme des sauvages en se préparant à la guerre de tous contre tous. C’est plutôt la solidarité que l’on doit préparer. Par ailleurs la pauvreté et l’acceptation des conditions de vie sont très relatives et dépendent de beaucoup de facteurs. Une étudiante africaine me faisait remarquer que le niveau de vie d’une personne au RSA en France la place au niveau d’un cadre moyen dans son pays en Afrique noire. Le cadre africain se plaint beaucoup moins. Les solidarités ne sont pas les même non plus.

Le grand risque du discours collapsologue est de produire un discours darwinien de désespérance qui est la porte ouverte aux gourous et aux régimes autoritaires si on le croit imminent et inéluctable. Je ne dis pas que tout cela sera rose mais la dystopie ou la catastrophe doivent être une réflexion limite nous aidant à envisager le champ du possible et des alternatives. Il ne faut pas oublier qu’il y a des aspects politiques et une réflexion philosophique sur ce qu’est une vie bonne. Avec un peu de nourriture, un toit et quelques bons livres qui n’ont pas une énorme empreinte carbone, de la musique entre amis (il faut savoir jouer) et quelques joies simples, on peut vivre de manière correcte. J’ai accumulé les trecks un peu engagés et les camps scouts un peu roots et ce n’est pas forcément mes plus mauvais souvenirs. Peut-être aussi parce que je savais que je retournerais à mon confort. Voyager (moins bon pour l’empreinte carbone) confronte aussi à ce type d’expérience dans certaines régions du monde. Enfin, l’exemple des économies monastiques (empreinte carbone défiant toute concurrence) est à ce titre intéressant.